(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 241-244
/ 5837
(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 241-244

Beauchateau , né à Paris d’un Comédien de ce nom, fut un des prodiges du siecle de Louis XIV.

A l’âge de sept ans, il parloit plusieurs langues, & composoit des vers François avec une grande facilité. Ces vers étoient si jolis, qu’on avoit peine à se persuader qu’ils fussent de lui. Pour s’en convaincre, Anne d’Autriche, le Cardinal Mazarin, le Chancelier Seguier, le faisoient renfermer dans une chambre, & lui prescrivoient des sujets, qu’il traitoit avec le même agrément que s’ils eussent été prévus à son choix.

Ce jeune prodige passa ensuite en Angleterre, où Cromwell le combla de bienfaits ; chose étonnante de la part d’un sombre esprit & d’une ame aussi farouche que celle de ce Tyran d’Angleterre ; il alla en Perse, où les Muses ne le suivirent pas sans doute, car il n’a plus rien produit depuis. Peut-être la mort vint-elle prévenir la défection de ses talens.

On a recueilli les Poésies qu’il avoit composées avant l’âge de dix ans, & elles forment un volume in-4°. avec tous les vers qui lui furent adressés. Loret dit dans sa Gazette, en assez mauvais langage, en parlant de ce jeune Poëte :

Je crois, quand Apollon eût épousé Minerve,
Qu’ils n’eussent pu tous deux faire un si bel Esprit.

Beaumarchais, [Pierre-Angustin Caron de] Ecuyer ; Conseiller, Secrétaire du Roi, & Lieutenant Général des Chasses au Bailliage & Capitainerie de la Varenne du Louvre, grande Vénerie & Fauconnerie de France, né à Paris en 17..

Rien de plus original, ni de mieux écrit que ses Mémoires contre M. Goësman ; la raison s’y trouve assaisonnée du sel de la meilleure plaisanterie. Le quatrieme, sur-tout, annonce un Ecrivain qui connoît les sources de la persuasion, & qui sait profiter de la dextérité de son esprit, pour tourner contre eux-mêmes les armes de ses Adversaires. N’eût-il fait que ce Mémoire, M. de Beaumarchais mériteroit de figurer dans le petit nombre des Gens de Lettres qui, au mérite d’écrire avec autant de clarté que de corrections, réunissent le talent de nourrir la curiosité du Lecteur, par un style aussi varié que piquant.

On a dit que les Comédies de cet Auteur étoient moins comiques que ses Mémoires : ce qui est certain, c’est que le succès soutenu de son Eugénie ne peut s’attribuer qu’au goût stupide du siecle pour les Comédies dolentes. Moliere ne se seroit pas attendu à se voir remplacer sur notre Théatre par des Successeurs plaintifs, qui viendroient nous faire pleurer où nos aïeux avoient trouvé tant de plaisir à rire. Le caractere de la nation est-il changé ? Non : mais comme il faut qu’elle s’amuse de quelque chose, elle s’amuse à peu près de ce que l’on veut. C’est à la magie de quelques Enchanteurs langoureux qu’elle doit la docilité qui lui ferme les yeux, & la porte à se nourrir bonnement de tout ce qu’on lui présente.

Quels sont donc les puissans ressorts de ces Enchanteurs, principalement en matiere de Comédie ? Un Théatre changé par leur baguette en maison bourgeoise, des hommes en robe de chambre, des femmes en déshabillé, des laquais en papillotes, un petit attirail domestique proprement étalé, des phrases entrecoupées, des exclamations perpétuelles, des sentimens emmiélés, des sentences Platoniques, des caracteres Paladins, de la prose léthargique, des Spectateurs benins. Voilà comme le prodige s’opere.

Combien durera encore cet enchantement ? Jusqu’à ce qu’il s’éleve parmi nous un Génie vraiment comique, qui guérisse Thalie de ses vapeurs, & lui rende sa premiere gaieté. Alors la Muse, délivrée de lourdes entraves qui la retiennent captive, verra s’évanouir en un instant tous ces fantômes pleureurs qui l’obsedent ; alors hurlemens de cesser, pantomime lugubre de disparoître, larmes comiques de tarir ; alors on aura honte d’avoir applaudi à des Comédies larmoyantes, & toutes les Pieces de ce genre seront universellement déclarées bâtardes & réprouvées, comme le Fils naturel de M. Diderot.