(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVIII » pp. 113-116
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVIII » pp. 113-116

XXVIII

madame sand dans son berry. — départ de balzac pour la russie. — mort de la fille et du gendre de victor hugo. — affreuse catastrophe. — vers de victor hugo. — le discours du cardinal pacca. — sénilité fleurie. — notes de mon voyage a rome.

Madame Sand est dans son Berry et non pas à Constantinople. Balzac est allé en Russie, mandé, assure-t-on, pour devenir le réfutateur officiel de M. de Custine. Ce qui est certain, c’est qu’il est parfaitement impropre à ce rôle. Il ne défendrait pas mieux l’empereur de Russie qu’il n’a réussi pour le notaire Peytel.

— Le journal des Débats de ce matin 7 vous dira assez de nouvelles :

La triste et affreuse catastrophe arrivée à la fille aînée de Victor Hugo, mariée il n’y a pas plus de six mois, âgée de dix-neuf ans au plus25 ;

— Les inventions néo-surannées de Lamartine : la vieille réforme électorale ; — le discours enfin du cardinal Pacca. A propos de cette sénilité fleurie, paterne et tout à fait romaine, voici quelques notes tirées de mon voyage à Rome : le discours de ce cardinal me les a tout à fait remises en mémoire comme très-exactes :

notes d’un voyageur en 1839.

« Rome est morte depuis quasi l’heure où Jugurtha a prononcé sur elle, en se retournant, l’anathème fameux : O ville vénale ! etc., etc. Elle a semblé vivre à de certains moments sous de grands papes ; mais c’étaient des cabinets superposés : comme nation, elle n’a cessé d’être morte. »

Et encore :

« Rome est morte et bien morte. Ce n’est qu’une grande ville de province : il y a des gardiens pour les tombeaux. A travers cela un filet courant de voyageurs et de beau monde. L'imagination comble le reste. S'il y a sous cette solitude et ce silence une vie intérieure, pontificale, à petit bruit, c’est un pouls de vieillard : on continue. Dans la politique générale du monde, Rome me fait l’effet d’avoir désormais le rôle qu’a eu en France le ministère du cardinal Fleury :

Et le garda jusqu’à nonante ! (Voltaire).

Et encore :

« Il y avait aujourd’hui (six heures et demie), au Capitole, séance de l’Académie des Arcades : les cardinaux et les prélats en carrosse accouraient ; la place était remplie de livrée rouge. J'ai tout regardé descendre ; je me suis donné le plaisir de la parodie jusqu’au bout. Pauvre petit Capitole et assorti en vérité à toute cette gent ! On n’a pas cessé d’être au temps de Sidoine Apollinaire ; avec plus ou moins de goût, c’est la même chose depuis des siècles. Rome est finie.

» A Rome, dans cette solitude peuplée de monuments et de madones, entre le Colisée et le Vatican, chaque âme disposée à une dévotion la développe démesurément et sans que rien y fasse obstacle. C'est le séjour le plus commode à une idée fixe. On la cultive, on s’en enchante : chacun abonde à l’aise dans son sens. Les résultats pour moi sont frappants et se peuvent personnifier par quelques figures. Ici, Ingres dévot à l’antique et à Raphaël, et qui trépigne à ce seul nom ; là, Fokelberg, le sculpteur suédois, tout Grec, dont l’œil se mouillait de larmes en nous montrant l’Apollon au Vatican et les contours lointains des paysages d’Albano. Aujourd’hui j’ai visité telle princesse russe, toute chrétienne, toute catholique et propagandiste, comme les autres sont tout païens. J'ai encore visité dans son atelier Overbeck, le peintre ascétique, dévot à l’art pur chrétien. Chacun d’eux s’étonne qu’on n’habite pas Rome à jamais quand on y a une fois touché ; chacun, dans cette masse diverse, se creuse sa Rome à lui, sa catacombe, et ne voit qu’elle, et n’est troublé par rien alentour dans ce grand silence. C'est juste le contraire de Paris, où l’on est percé à jour en tous sens, à chaque heure, par l’idée du voisin. — A Rome, chacun choisit son idée et y habite éternellement. On y passe la vie à être d’accord avec soi-même, sans contradiction de personne.

» Saint-Pierre, que je viens de voir, m’aura appris à ne pas trop dire de mal en détail des mauvaises qualités et du mauvais goût. Il y a un certain degré de puissance, d’ordonnance et d’abondance qui couvre tout et qui désarme ! Cela va ici à la sublimité. — C'est comme pour le gouvernement papal de Rome même : tout ce mélange de faux et de pompe a fait par moments une sublime grandeur. »