XXII
la princesse de joinville. — les lettres parisiennes de madame de girardin. — jésuitisme et gallicanisme. — conversion de m. ratis-bonne. — peinture religieuse et galante.
Dans la disette de toute nouveauté et quand on s’est demandé des nouvelles d’Espagne, on parle de la jeunette princesse de Joinville (la sœur de l’empereur du Brésil) qui nous est arrivée ces jours-ci. On se demande si elle est jolie, et ceux qui l’ont vue répondent qu’elle est très-agréable. En arrivant à Brest, son premier mot, en voyant la foule sur le port, a été : Que de blancs ! — Il paraît qu’à Rio la foule est presque toute composée de noirs. Elle est descendue sur la route au château de Bizy, et comme on lui faisait remarquer la beauté du parc et de la forêt, elle a répondu : « Oui, mais il n’y a pas d’arbres. » Les nôtres ne lui paraissaient que des baliveaux auprès de ses forêts vierges et tropicales de là-bas. Notre été, qui est détestable, lui fait l’effet d’un brouillard, et comme on disait devant elle qu’on ferait telle chose l’hiver prochain, elle a demandé avec effroi : « Quoi ! est-ce qu’il y aura encore un hiver ? » Elle trouve que c’est bien assez d’un été comme celui-ci, et elle a bien raison. Le fait est qu’elle est très-jeune, très-enfant ; on va tâcher de la distraire.
— On vient de mettre en vente dans la Bibliothèque Charpentier les Lettres parisiennes de madame Émile de Girardin : c’est le recueil de ses anciens feuilletons de la Presse depuis 1836 jusqu’à la fin de 1839, qu’elle a légèrement revus. Ce doit être assez agréable : il y a de jolies pages de moraliste du beau monde.
— Je lis dans le Semeur un excellent article de M. Vinet sur Bourdaloue ; sa vue sur le jésuitisme, qui n’est qu’une aggravation du catholicisme, me semble très-juste, très-féconde ; c’est ce qui peut s’observer en France aujourd’hui. Le jésuitisme est en train de regagner chez nous une partie de l’intervalle qui séparait l’ancien gallicanisme du catholicisme pur. La Revue Suisse a déjà expliqué cela. On pourrait dire encore plus nettement : le jésuitisme, c’est le catholicisme en habit de voyage.
Le gallicanisme est une chose tellement mourante et morte en France, que nos évêques et archevêques, qui étaient les gardiens et défenseurs perpétuels de cette Église gallicane, vont les premiers sollicitant le pape de les autoriser à introduire dans leurs diocèses le bréviaire romain et la liturgie romaine au lieu des vieilles coutumes et réformes un peu dissidentes et appropriées qui marquaient l’originalité traditionnelle et nationale (voir dans les Débats des 3 et 4 août la lettre du pape à l’archevêque de Reims, et la réflexion très-juste des Débats le lendemain). Le pape est plus sage et plus modéré que nos évêques.
— Notre religion romaine et italienne se manifeste de plus en plus dans les moindres détails, et par le caractère même des images exposées aux vitres des boutiques d’ornements catholiques. Plusieurs de ces images représentent la conversion de M. Ratisbonne à Rome, il y a un an ou deux. Il est à genoux, et tout d’un coup la sainte Vierge lui apparaît. Les paroles par lesquelles il exprime ce qu’il vit et ressentit alors sont écrites au bas, et dans les termes de la mysticité la plus suave : le sourire et le geste de la Vierge ne sont pas moins doux et attrayants. Notez que M. Ratisbonne est représenté comme un très-jeune homme, très-beau, à physionomie élégante, avec la barbe en pointe, et ayant la chevelure très-bien peignée et soigneusement partagée en deux (ce que les jeunes gens appellent avoir la raie.) Son habit à taille serrée est de ceux qu’on pourrait donner comme modèles dans le journal la Mode ou dans celui des Tailleurs. La Vierge et lui se tendent les bras. Toute cette image de conversion est du plus joli galant.