Chapitre VI. La littérature et le milieu social. Décomposition de ce milieu
Le milieu social, dont nous avons maintenant à rechercher les rapports avec la littérature, est si complexe qu’il est nécessaire de le décomposer, si l’on veut être certain de le sillonner en tout sens.
Or les phénomènes divers que l’on y rencontre peuvent se ranger en neuf classes :
1° Economiques ; 2° Politiques ; 3° Juridiques ; 4° Familiaux ; 5°, Mondains ; 6° Religieux ; 7° Moraux ; 8° Scientifiques ; 9° Artistiques.
Je ne nomme point les phénomènes littéraires, en vue desquels nous devons étudier tous les autres ; cependant il y aura lieu de réserver une place à certaines institutions ou à certains groupements ayant un caractère spécialement littéraire.
Il va de soi qu’on pourrait diminuer ou augmenter le nombre de ces classes, qui ne sont que des compartiments voisins et souvent difficiles à délimiter avec précision. Telle qu’elle est ; cette division, qu’on est libre de perfectionner, ne nous paraît rien laisser de côté qui soit essentiel. Elle groupe les faits dans un ordre, qui s’efforce d’être simple, naturel et logique, puisqu’il va des plus matériels aux plus spirituels, des plus éloignés aux plus rapprochés de la littérature. Nous traçons comme une série de cercles concentriques, de moins en moins vastes, autour du sujet de notre étude.
Ce sera déjà beaucoup de parcourir tous ces domaines ; ce ne sera pourtant pas encore assez. Une société n’est pas isolée dans l’espace ni dans le temps. Elle se rattache à d’autres sociétés qui l’entourent ou qui l’ont précédée. Il faut donc encore étudier les rapports que chaque époque a pu avoir soit avec le dehors, soit avec le passé et ces rapports, comme tous ceux que nous avons à relever, sont de trois sortes. Entre les œuvres d’une époque et les œuvres antérieures ou étrangères, on peut trouver ou bien un développement parallèle, par suite des causes semblables, ou un rapport d’effet à cause, ou un rapport de cause à effet.
Tantôt donc on découvrira une coïncidence entre ce qui s’est passé en France et ce qui se passait vers le même temps chez les nations voisines ; c’est le cas, par exemple, pour le retour à la nature qui a été un des faits saillants du dix-huitième siècle.
Tantôt on reconnaîtra une action exercée sur la nation qu’on étudie par quelqu’une des époques de sa propre histoire ou bien par les sociétés se trouvant en contact avec elle ; ainsi en France, par une espèce d’atavisme, le moyen âge, le seizième siècle, le commencement du dix-septième ont obtenu, sous le premier Empire et lors de la Restauration, un regain de popularité qui est sensible dans le développement de notre école romantique ; ainsi encore on sait quelle déviation la résurrection de l’antiquité grecque et latine fit subir au génie français, lors de la Renaissance, ou à quel point nos écrivains du siècle dernier furent les disciples de l’Angleterre.
Tantôt enfin on constatera que la littérature française déborde à certains moments au-delà de ses frontières naturelles et agit sur les pays environnants. Qui n’a remarqué ; par exemple durant le règne de Louis XIV et les cinquante années qui suivent, l’expansion de l’esprit français sur toute la surface de l’Europe ?
Quand nous aurons passé en revue tous ces facteurs sociaux de l’évolution littéraire, nous aurons enfin rassemblé tous les éléments qui nous permettront d’esquisser la formule d’une époque donnée.