(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « IV » pp. 16-18
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « IV » pp. 16-18

IV

lamaritine. — ponsard. — lecture de lucrèce chez bocage, etc.

La politique est retombée au calme plat. Les seuls petits événements, ridicules pour les salons, mais qui ont de la portée au dehors, au moins comme symptômes, ce sont les brochures qui éclosent autour de M. de Lamartine : il a ses publicistes à lui, qui le démontrent à la foule (comme nous-même l’avons démontré poëte il y a quinze ans) ; on le démontre réformateur et politique, philosophe, — révélateur. Un de ses amis et voisins de campagne, M. Dargaud, a écrit un petit opuscule de quelques feuillets : Nouvelle phase parlementaire, c’est le titre. « M. de Lamartine, dit-il, c’est Fénelon moins l’autorité 9, Rousseau moins le sophisme, Mirabeau moins l’insurrection. »

Un M. Chapuys-Montlaville, de la Chambre des députés, de la gauche, vient de faire une autre brochure panégyrique explicative de M. de Lamartine, avec images, gravures, illustrations. C'est ridicule ; oui, mais M. Rossi, dans la chronique dernière de la Revue des Deux Mondes, a raison de dire que Lamartine grandit au dehors. Est-ce que c’est le sens commun qui prévaut toujours en ce monde ? — Lamartine est une comète10 : il a certes une queue brillante et immense : mais a-t-il un noyau ?

Le salon de Lamartine est la plus singulière bigarrure, la banalité la plus variée et la plus imprévue : tous y sont ou y peuvent être. Madame de Girardin lui disait spirituellement : « Vous êtes le La Fayette de l’intelligence. » — Il donne l’accolade à tout ce qui est censé penser ou rêver.

— On parle beaucoup d’une tragédie de Lucrèce (Lucrèce et Tarquin) qui doit être donnée à l’Odéon. Elle est le coup d’essai d’un jeune homme du Midi, M. Ponsard, et on lui a fait tout d’abord une réputation d’être du Corneille retrouvé, du Romain pur et primitif. (Domi mansit, lanam fecit, épitaphe de la dame romaine primitive.) On a lu l’autre soir la pièce chez l’acteur Bocage : il avait invité force notabilités, et l’on a paru content, surtout du cinquième acte.

Frédéric Soulié, qui était présent, a dit : « Ce n’est pas de la rocambole. » — Théophile Gautier a répondu à Bocage, qui lui demandait son sentiment : « Je n’ai pas dormi. » — Le sculpteur Auguste Préault, qui assistait aussi à celte lecture, a résumé son opinion de la manière suivante : « S'il y avait des prix de Rome pour la tragédie, l’auteur partirait demain pour la Ville éternelle. »