(1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Conclusions » pp. 178-180
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(1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Conclusions » pp. 178-180

Conclusions

À suivre Anatole Baju et Léon Deschamps, nous nous sommes écarté un peu des limites tracées à cette étude où nous n’avions d’autre but que de marquer une étape du lyrisme français de 1870 à 1890. Il faut nous restreindre à ce cadre. Cette date choisie de 1890 n’est pas arbitraire. Elle ouvre l’ère d’une réaction de discipline classique. Il souffle une brise nouvelle. L’École romane se fonde. Fernand Gregh prépare l’Humanisme. Charles Morice médite l’École française et M. Henri de Régnier lui-même va préconiser le retour à la tradition. Dans l’intervalle, le Symbolisme a conquis ses lettres de naturalisation. En 1890 il n’a pas donné tous ses fruits, mais tous ses poètes de premier plan se sont manifestés. À ce moment son organe officiel, le Mercure de France, se fonde et le Symbolisme prend possession de la scène avec Paul Fort, qui crée le Théâtre d’Art. Les poètes de cette école ont chacun leur conception particulière du Symbolisme et il y a, chez eux, cette diversité que l’on retrouve chez les poètes de toutes les écoles. Vigny et Hugo, si dissemblables, sont tout de même enrôlés sous l’étiquette romantique. Sully Prudhomme et Coppée, qui n’ont rien de commun, sont, par la critique, réunis sous la même étiquette parnassienne. Il y a le Symbolisme de Gustave Kahn, celui de Henri de Régnier, celui de Vielé-Griffin, celui de Charles Morice, celui de Maeterlinck, celui de Verhaeren, celui de Jean Moréas. On trouve même chez les symbolistes des poètes comme Albert Samain et Laurent Tailhade, restés fidèles à la formule parnassienne, mais tous sont imprégnés du même esprit nouveau et se marquent initiateurs par un certain côté de leur doctrine.

Le Symbolisme fut émancipateur. Il a illustré cette vérité que la Poésie n’est pas contenue dans une question de forme et il peut se prévaloir d’un riche apport psychologique. La plupart des poètes ont repris de Baudelaire le mode de se raconter, comme dit Laforgue, sur un ton modéré de confessionnal. Le Symbolisme a introduit en Art un goût de spiritualité et le sens du mystère. Il est une des manifestations de cette Loi de Progrès incessant qui régit le Monde et qui fait que le moins tend au plus, « l’inconscient au conscient et le conscient au divulgué ».

Les symbolistes ont en effet acquis au conscient une bonne somme d’inconscient. Ils ont entrepris résolument la conquête du Moi ; ils ont défriché des terrains nouveaux, projeté une lumière vive dans les arcanes de l’être, éclairé des dessous jusque-là inexplorés. Ils ont enrichi et assoupli la langue.

C’est parce que nous dirons tout à l’heure leurs torts et leurs excès qu’il nous plaît d’insister aujourd’hui sur leurs vertus et les titres qu’ils se sont acquis à l’estime et à la reconnaissance des Lettrés.