Réception de M. Émile Augier
Il y avait foule aujourd’hui à la séance académique, parce que c’était une séance académique : cette raison toute parisienne suffirait. Il y avait encore une autre raison excellente et plus particulière : on avait à entendre l’éloge de M. de Salvandy prononcé par M. Émile Augier, et l’éloge de celui-ci, l’exposé de ses titres littéraires, prononcé par M. Lebrun ; tous noms aimés du public et contrastant agréablement. M. Augier, accueilli avec une visible faveur, a commencé avec modestie. Il a été le premier à mettre en saillie ce contraste d’un simple homme de lettres comme lui, succédant à un homme politique qui avait joué un si beau rôle. L’entrée en matière, j’allais dire l’entrée en scène de son discours a été pittoresque, et telle que M. de Salvandy l’eût aimée : « En 1837, j’étais au collège Henri IV… » et ce qui suit. Il a dessiné en traits vifs et bien reconnaissables cette physionomie ardente et chevaleresque de M. de Salvandy, de celui que M. Lebrun a appelé l’Ajax du parti libéral sous la Restauration ; on n’a pas même assez rappelé qu’à un certain moment, à l’époque de la dernière censure, M. de Salvandy avait été, à lui seul, toute la presse périodique opposante. M. Augier a cité un mot heureux de M. de Chateaubriand, disant-de M. de Salvandy qu’il avait de la fougue dans la modération. Il a cité un mot de M. de Salvandy sur lui-même, dans une lettre qu’il écrivait à M. Laya : « Ce que vous appelez mon affectation (dans le style) est mon naturel. » J’ajouterai que cet homme bouillant et brillant, qui portait toutes ses qualités en dehors et qui les avait aussi en dedans, avait une véritable modestie littéraire sous un air de faste, de même qu’il disait avoir eu une timidité première à vaincre avant d’arriver à toute sa hardiesse. Publiciste plein de verve, et homme politique encore plus zélé qu’ambitieux, il ne se considérait dans les lettres proprement dites que comme un amateur, et son désir, son effort, dans les derniers temps, et quand des loisirs lui furent imposés par les circonstances, c’eût été de conquérir, en perfectionnant un de ses anciens livres, ce rang d’auteur durable dont il sentait tout le prix. Dans son premier et son second ministère à l’instruction publique, M. de Salvandy eut pour les hommes de lettres des attentions et, l’on peut dire, des délicatesses particulières ; M. Augier en a indiqué quelques-unes. Ce n’était pas assez pour M. de Salvandy d’être juste, il était généreux. Il ne se contentait pas d’accueillir un vœu ou une demande, il allait au-devant. Il avait les bonnes grâces prévenantes. Tel qui l’avait autrefois effleuré d’une épigramme légère ou d’un éloge équivoque, se trouvait non point pardonné, mais recherché, mais distingué par lui, et devenait, s’il le méritait d’ailleurs, l’objet de ses procédés les plus favorables. Il se piquait de courtoisie ; il avait de la bonté. Il a laissé partout des regrets et de vivants souvenirs dont M. Augier, qui l’avait trop peu connu, s’est fait l’interprète heureux et fidèlement inspiré.
M. Augier, vers la fin de son discours, n’a pas craint de dire quelques vérités au spirituel public qui l’applaudissait. Dans un parallèle, assez contestable d’ailleurs, qu’il a établi entre l’œuvre du littérateur et l’action de l’homme d’État, il a rappelé la difficulté qu’il y a quelquefois, pour le meilleur gouvernement, à être le bienfaiteur des peuples qui ressemblent trop aux Athéniens de l’Antiquité ; il a parlé de cet esprit qui était aussi celui de Rome en de certains siècles (Roma dicax), de cet esprit de dénigrement devant lequel rien ne trouve grâce, et il s’est plaint de ce qu’il a nommé notre dissolvante ingratitude. En applaudissant vivement à l’expression de ce reproche qui atteignait en partie la belle société, il est évident que le public académique prenait tout haut l’engagement de ne plus retomber dans pareille faute. Et puis il est des gouvernements qui ont le sentiment énergique et élevé de ce qu’ils sont, et qui ne se laissent pas dissoudre.
M. Lebrun, en prenant la parole pour répondre à M. Augier, a voulu d’abord rendre un nouvel hommage à M. de Salvandy, et compléter sur quelques points le portrait déjà fort bien esquissé. Le public, très attentif pendant cette première partie du discours, attendait cependant la seconde, celle où le directeur de l’Académie devait analyser et apprécier les œuvres de son jeune et nouveau confrère. Cette seconde moitié a surtout réussi, et de fréquents applaudissements ont salué les passages où M. Lebrun a parlé de La Ciguë, de Gabrielle, de la comédie en vers et du rang qu’il convient de lui maintenir dans l’ordre de l’art. On a ri à ce qu’il a dit de la collaboration à deux ; on a trouvé piquantes et justes les objections qu’il a faites à une théorie contraire ingénieusement exposée devant l’Académie il y a peu d’années55. M. Jules Sandeau, les collaborateur de M. Augier pour Le Gendre de M. Poirier, n’a pourtant pas été sacrifié, et il a eu sa part de louange. Quant au Mariage d’Olympe, M. Lebrun en a jugé bravement, et, tout en désapprouvant la crudité de quelques couleurs, il n’a pas hésité à louer l’idée même, à l’absoudre au nom de la morale. On est très prompt, dans notre pays, à faire intervenir la morale dans les questions d’art : le jugement public, porté par M. Lebrun sur une œuvre qui avait paru exciter bien des réprobations, devrait rendre peut-être plus circonspects ceux qui repoussent d’abord, au même titre, d’autres œuvres de talent.
Le succès de ce discours de M. Lebrun était particulièrement agréable aux auditeurs et aux confrères qui sont accoutumés à apprécier son caractère et sa personne. Il me semble que j’ai déjà défini autrefois M. Lebrun « le plus jeune des poètes du premier empire. » Il a gardé, des temps où il a préludé, l’habitude d’un art sérieux, noble, et qui se respecte toujours ; il y a introduit, dans une seconde époque, une veine de franchise et de naturel qui, en ce temps-là, était neuve encore ; il a été novateur avec frugalité. C’est cette double nuance de dignité et de naturel qui le distinguait à la fois parmi les classiques et parmi les romantiques, lorsque les camps se partageaient ainsi. Homme aimable, esprit conciliant et juste, académicien exemplaire, fidèle à tous les sentiments honorables, ami intime et constant de Béranger, il a justifié aujourd’hui tous ces titres et fait preuve des qualités qu’on estime en lui. Les paroles qu’il a prononcées sur l’exécrable forfait du 1456, sur ces tentatives sauvages « et d’autant plus irritées et féroces que la main qui les réprime est plus puissante et qu’elle présente plus de garanties à l’ordre français et européen », paroles qui correspondaient à d’autres, non moins énergiques, sorties du cœur de M. Augier, étaient séantes en pareille circonstance et en un tel lieu. L’Académie se devait à elle-même non moins qu’à l’empereur de ne pas laisser passer un tel acte infernal sans qu’on distinguât sa parole d’indignation entre toutes celles qui s’élèvent.
Un dernier trait du discours de M. Lebrun a été l’éloge de Béranger et cette espèce d’adoption académique posthume, si bien placée dans la bouche d’un ami qui l’avait tant de fois pressé de devenir un confrère. On ne pourra plus dire, après cela, que Béranger n’a pas été académicien. Quelqu’un disait en sortant : « Je viens d’assister à la séance de réception d’Émile Augier et de Béranger. »