(1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Ponsard » pp. 301-305
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(1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Ponsard » pp. 301-305

Réception de M. Ponsard

La séance de l’Académie française, où M. Ponsard vient de prononcer son discours de réception, a été une des mieux remplies et à la fois des plus complètement littéraires qu’on ait vues depuis longtemps. M. Ponsard remplaçait M. Baour-Lormian, un poète qui n’avait été que cela, un versificateur élégant, harmonieux. On pouvait craindre qu’en se renfermant dans ce sujet qui se rattachait à des vogues fugitives et déjà si anciennes, si parfaitement évanouies, il ne rencontrât point des sources d’intérêt bien vives et bien actuelles. Mais M. Ponsard a su agrandir son cadre sans le briser et sans en sortir. Et d’abord, il s’est présenté lui-même, tel qu’il est, avec son propre accent, avec ses sentiments et ses doctrines ; il n’a pas emprunté aux traditions académiques les exordes tant de fois renouvelés : il a parlé à sa manière, modestement, honnêtement, traçant de l’homme de lettres et du poète le caractère et le rôle qu’il conçoit, et s’y peignant lui-même avec cette sincérité élevée qui vient du cœur : on a senti dès ses premières paroles quelqu’un qui ne se mettait ni au-dessus ni au-dessous de ce qu’il devait être. Il a parlé de son prédécesseur en des termes que je me permettrai tout bas de trouver indulgents, mais qui étaient convenables dans la circonstance et qui n’ont semblé que justes. On a repassé par les divers genres et les diverses modes poétiques où le talent peu inventif de M. Baour-Lormian avait cherché des prétextes et des thèmes d’exécution ; on a eu la période d’Ossian et de la poésie nuageuse, celle de Joseph et des sujets bibliques. À ce propos, et à l’occasion de la tragédie d’Omasis, M. Ponsard a fait une digression, toute naturelle dans sa bouche, sur la tragédie : elle est morte comme genre ? peut-elle mourir ? ne répond-elle pas à une faculté et à une disposition permanente de l’âme et de l’admiration humaine ? C’est précisément le sujet que M. Viennet avait abordé, l’autre jour, dans une de ces spirituelles et mordantes épîtres qui font tant de plaisir chaque année à son public académique et tant d’honneur à sa verte vieillesse. M. Ponsard a traité ce sujet avec sa franchise de bon sens, en homme qui a déjà sa propre expérience acquise, et qui ne craint pas d’exprimer avec mesure ses jugements à lui sur les plus grands noms. En quelques endroits, et notamment sur Shakspeare, il a pu prêter à la contradiction : M. Nisard s’est chargé de la réponse. Que M. Ponsard me permettre aussi d’ajouter que sur Goethe et les Allemands, tout en ayant raison peut-être dans le cas particulier, il n’a pas été juste pour l’ensemble : Goethe est un si vaste esprit et un critique d’un ordre si élevé, qu’il est mieux de ne pas prononcer son nom dans une grande assemblée littéraire que de ne l'amener uniquement que pour y rattacher une raillerie et un sourire. Mais nos grands auteurs dramatiques français y ont reçu, de la part d’un libre disciple, de vrais, de sincères, de pathétiques hommages. Un mot chaleureux sur M. de Lamartine a trouvé de l’écho et a excité un applaudissement universel. M. Ponsard a prouvé, une fois de plus, dans ce discours académique, que là, comme au théâtre, il y a des cordes qu’il sait faire vibrer, et que, sans trop d’art ni de raffinement, sans trop demander à l’expression, et en disant directement les choses comme il les pense et comme il les sent, son talent a en soi une force qui vient de l’âme et qui parle aux âmes. Son succès sur l’auditoire a été complet.

M. Nisard a eu également le sien, et avec la nuance de gravité et d’autorité qui sied au directeur de l’Académie. Le directeur a pour mission principale de louer le récipiendaire, mais de le louer en le jugeant, de reprendre les points principaux de son discours qui prêtent à une réponse, d’en rabattre légèrement ce qui excède, de rappeler et de réparer ce qui a pu y être oublié. M. Nisard s’est acquitté de ce devoir agréable avec cette vigueur de pensée et cette fermeté ingénieuse qu’il a en propre et qu’il développe de plus en plus chaque jour. Il a très bien expliqué les nobles motifs de la faveur de M. Ponsard, par les sources où son talent s’inspire ; il a montré comment le succès de cette chaste et sobre Lucrèce, qui est une date littéraire, était préparé d’avance et vaguement désiré, par suite des fatigues et des ennuis dus aux excès d’un genre plus turbulent. Il a marqué pourtant sa préférence pour le drame généreux de Charlotte Corday, et dans l’analyse qu’il a donnée de cette scène politique effrayante entre Danton, Robespierre et Marat, il a fait voir, par le burin qu’il a appliqué à la définition des trois caractères ainsi mis en présence et en contraste, que la critique aussi est une puissance : l’auditoire s’est senti tressaillir à des accents vertueux et éloquents. En louant les comédies populaires de M. Ponsard, le directeur a très finement indiqué ce qu’elles laissent à désirer quelquefois pour l’entière vérité des personnages. C’est que le poète travaille dans sa province, conçoit et exécute dans la retraite ses œuvres de conscience et d’émotion ; cela est bon pour la tragédie, pour le drame historique : « Les héros de l’histoire, a dit M. Nisard, peuvent venir d’eux-mêmes visiter le poète dans sa province ; mais les héros de la comédie ne sont pas si commodes ; il faut les aller chercher de sa personne au milieu du monde et à Paris, où se trouvent les plus illustres. » On ne saurait mieux penser ni mieux dire, et avec plus de piquant. J’indiquerai encore le passage dans lequel M. Nisard, reprenant l’éloge de Voltaire que le récipiendaire avait fait avec chaleur pour ses services rendus à l’esprit de tolérance et d’examen, l’a accepté sous bénéfice d’inventaire en quelque sorte, et en le réduisant par les seuls côtés où ce grand esprit a trop blessé en effet ce même genre humain qu’il prétendait servir. La discussion sur la tragédie, y compris la règle des trois unités (ce qui est peut-être de trop), a tenu une grande place aussi dans les paroles du directeur. Mais à quoi bon analyser un discours plein de pensées, et que chacun va lire ? Je n’ai voulu ici, pour me servir de l’expression même de M. Nisard, que constater la bonne qualité de ces deux discours et le retentissement que cette honnêteté, cette droiture de sens, et à plus d’une reprise cette éloquence, un peu accusée, mais sincère, ont laissé dans l’esprit des auteursab. C’est en ces termes que chacun en parlait tout haut en sortant. Le public n’avait jamais été plus nombreux ni plus empressé.