(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

Jammes, Francis (1868-1938)

[Bibliographie]

Six sonnets (1891). — Vers (1892). — Vers (1893). — Vers (1894). — Un jour (1896). — De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir (1898). — Quatorze prières (1898). — La Naissance du Poète (1898). — Clara d’Ellébeuse, ou l’histoire d’une ancienne jeune fille (1899). — La Jeune Fille nue (1899). — Le Poète et l’Oiseau (1899). — Le Deuil des primevères (1901).

OPINIONS.

Louis Dumur

Cette mince plaquette se présente avec des allures mystérieuses bien particulières. Le nom de l’auteur est inconnu. Est-ce un pseudonyme ? Et il semble que l’orthographe n’en est pas très rigoureuse : James serait plus exact. Le livre est dédié à Hubert Crackanthorpe et à Charles Lacoste ;

« À toi, Crackanthorpe, déjà célèbre en ton pays, et qui a senti passer en toi le souffle de l’amour et de la pitié humaine (sic).

« À toi, Lacoste, qui resteras peut-être dans l’ombre, simple et beau comme ce rosier que tu as peint au fond du vieux jardin triste. »

M. Hubert Crackanthorpe existe. C’est un jeune écrivain anglais qui a publié un volume de contes, très remarquable, paraît-il, un peu dans le goût de Maupassant, et intitulé : Wreckage. Le second dédicataire m’est inconnu.

Autres allures mystérieuses : ce petit livre, aux apparences anglaises, est imprimé à Orthez, dans les Basses-Pyrénées. Et les quelques mots écrits à la main sur l’exemplaire que j’ai sous les yeux sont d’une graphologie de petite écolière maladroite.

Le contenu n’est pas moins bizarre. Qu’on en juge :

Le pauvre pion doux si sale m’a dit : J’ai
bien mal aux yeux et le bras droit paralysé.
Bien sûr que le pauvre diable n’a pas de mère
pour le consoler doucement de sa misère.
Il vit comme cela, pion dans une boite,
et passe parfois sur son front sa main moite…
[Mercure de France ().]

Lucien Muhlfeld

Vers, par M. Francis Jammes, maladroits et touchants.

[Revue blanche (octobre ).]

Henri de Régnier

Je serais fort embarrassé d’analyser la Naissance du Poète, de M. Francis Jammes et de dire ce qui en fait un poème beau, singulier et pathétique. Cela se sent et ne s’exprime guère, non plus qu’on expliquerait aisément en quoi M. Jammes est un poète tout à fait unique. Il n’écrit ni vers sonores ou martelés, ni strophes à combinaisons savantes ; il n’est ni naturiste ni symboliste ; son style est un mélange de précision et de gaucherie, l’une naturelle, l’autre voulue. Ce langage à la fois maladroit et exquis est un charme chez lui. On ne sait pourquoi tout d’abord, on ne sait pourquoi ensuite, mais il reste de tout ce qu’il écrit une impression profonde et qu’on n’oublie plus. Il ne parle que des choses les plus simples, les plus quotidiennes, les plus humbles, mais il en parle avec une grâce délicieuse, une émotion naïve, une exactitude qui les rend visibles et palpables. Il les évoque telles qu’il les a ressenties. C’est le poète le plus véridique que je sache. Sa sensibilité est d’une qualité particulière, il est grave et probe. Il vit en ce qui l’entoure. Le village qu’il peint est le village où il habite. Les oiseaux sont ses oiseaux, les blés ses blés, les roses ses roses. On est chez lui. C’est lui qui a écrit les véritables « intimités ». Sa rêverie est locale. La nature est pour lui ce qu’il sent de la nature. S’il imagine, il laisse voir qu’il imagine, s’il se souvient, il indique qu’il se souvient. Nulle tromperie. Il aime les jeunes filles, les bons chiens, les cruches, l’herbe, l’eau, les maisons, les jardins, les puits, les coquillages, les coraux, les estampes démodées, les noms d’héroïnes des vieux romans, les Antilles, Paul et Virginie. Il aime tout. La Naissance du Poète, avec Un jour et les Vers, lui composent une œuvre enviable, car elle a été pensée dans la solitude et dans le loisir.

[Mercure de France (mai ).]

François Coppée

De M. Francis Jammes nous avons déjà et nous espérons encore des idylles ingénues, de naïves pastorales. Écoutez ceci : sont-ce des vers ? à peine. Mais c’est assurément de la poésie :

Où est ma mère ? Dans la salle à manger où sentent bon les fruits.
Elle coud le linge blanc près des capucines.
C’est la mère douce aux cheveux gris dont tu es né.
Il y a un grand calme qui tombe de la vigne.
La chatte sur la pierre chaude s’étire
En bâillant ou roule au soleil son ventre blanc.
La chienne allongée allonge un museau pointant
Sur ses pattes allongées, courtes et frisées.
Le ciel clair comme l’air entre par les croisées.
Dieu te rendra bon comme les hommes
Et doux comme le miel, le méture et les pommes
Où se collent les guêpes en or tout empêtrées.
Ta mère douce coud dans le salle à manger
Où sentent bon les fruits, près de te fiancée.

Sans doute, cela est maladroit, bizarre, et l’on croit lire, n’est-ce pas, la traduction de quelque poète étranger. Cependant, faites disparaître quelques assonances et quelques répétitions de mots, tout à fait inutiles. Ne reste-t-il pas une pénétrante impression de campagne et d’été, quelque chose de très fin et de très doux ?

[Le Journal (7 octobre ).]

Remy de Gourmont

Voici un poète bucolique. Il y a Virgile, et peut-être Racan, et un peu Segrais. Nulle sorte de poète n’est plus rare… Voilà donc un poète. Il est d’une sincérité presque déconcertante ; mais non par naïveté, plutôt par orgueil. Il sait que, vus par lui, les paysages où il a vécu tressaillent sous son regard et que les chênes tout secoués parlent et que les rochers resplendissent comme des topazes. Alors il dit tout cette vie surnaturelle et toute l’autre, celle des heures où il forme les yeux ; et la nature et le rêve s’enlacent si discrètement, dans une ombre si bleue et avec des gestes si harmoniques, que les deux natures ne font qu’une seule ligne, une seule grâce…

[Le Livre des masques, 2e série ().]

André Theuriet

Je me suis souvent reproché d’avoir été un peu dur, dans un précédent article, pour ce débutant. Ma seule excuse c’est que je n’avais vu de lui qu’un morceau de fantaisie médiocre. La lecture de son recueil (De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir) m’a fait changer d’avis. Il y a en F. Jammes l’étoffe d’un poète paysagiste et intime, auquel je prédis un franc succès lorsqu’il voudra bien s’astreindre aux lois de la rime et du vers nettement mesuré.

[Le Journal (15 juillet ).]

Charles Maurras

Que M. Jammes prenne garde. Lafargue (qui, lui, avait une âme lyrique) a laissé un très petit nombre de poèmes, d’une singulière brièveté et dont chacun forme un petit monde distinct. On n’a de Rimbaud que des débris, de Verlaine que des épaves. Tout est très fragmentaire. Or, le volume de M. Francis Jammes passe déjà les 300 pages ; il compte plus de cent poèmes qui se ressemblent terriblement. Rien de fastidieux comme cette litanie de mornes gageures.

[Revue encyclopédique (23 juillet ).]

André Gide

Francis Jammes est un grand poète ; il a l’audace la plus noble : celle de la simplicité. Il existe assez réellement lui-même pour pouvoir se passer d’adjuvants, des communes ressources littéraires ; de sorte qu’on s’étonne d’abord, tant sa littérature emprunte peu à celle des autres.

[L’Ermitage (novembre ).]

Gaston Deschamps

Je ne voudrais pas brutaliser M. Francis Jammes, dont j’ai déjà loué le talent de prosateur. Souvent, parmi les jolis motifs de ses poèmes, j’ai pris plaisir à entendre tinter

L’harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.

Mais nos jeunes poètes ont une si fâcheuse tendance à marcher courbés, qu’on est obligé, quelquefois, de leur donner, sans malice, un amical coup de poing, afin de leur redresser leur taille.

[Le Temps (28 janvier ).]

Paul Léautaud

À écouter les poèmes contenus dans le volume : De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir, poèmes dont la sincérité parfois touche à la naïveté et d’une notation directe souvent jusqu’au mot choquant, on respire un sentiment d’immense humilité devant la nature et de foi ingénue en Dieu. De tels vers semblent bien avoir été écrits, comme nous le confie çà et là, au cours du livre, M. Francis Jammes, dans une petite chambre ancienne, par des soirs de septembre lent et pur, devant un horizon de métairies et de campagnes, en compagnie du silence et de son seul cœur.

[Poètes d’aujourd’hui ().]