Guérin, Maurice de (1810-1839)
[Bibliographie]
Œuvres : Journal, lettres et poèmes, précédés d’une étude biographique et littéraire de M. Sainte-Beuve (1862.) — Le Centaure, avec frontispice de G. d’Espagnat et notice de Remy de Gourmont (1900).
OPINIONS.
Sainte-Beuve
L’originalité de Maurice de Guérin était dans un sentiment de la nature tel qu’aucun poète ou peintre français ne l’a rendu à ce degré, sentiment non pas tant des détails que de l’ensemble et de l’universalité sacrée, sentiment de l’origine des choses et du principe souverain de la vie. L’auteur suppose qu’un être de cette race intermédiaire à l’homme et aux puissantes espèces animales, un centaure vieilli, raconte à un mortel curieux, à Mélampe, qui cherche la sagesse, et qui est venu l’interroger sur la vie des Centaures, les secrets de sa jeunesse et les impressions de vague bonheur et d’enivrement dans ses courses effrénées et vagabondes. Par cette fiction hardie, on est transporté tout d’abord dans un univers primitif, au sein d’une jeune nature, encore toute ruisselante de la vie et comme imprégnée du souffle des dieux. Jamais le sentiment mystérieux de l’âme des choses et de la vertu matinale de la nature, jamais la poétique et sauvage puissance qu’elle fait éprouver qui s’y replonge et s’y abandonne éperdument, n’a été exprimée chez nous avec une telle âpreté de saveur, avec un tel grandiose et une précision si parfaite d’images.
George Sand
Georges Guérin ne fut ni ambitieux, ni cupide, ni vain. Ses lettres confidentielles, intimes et sublimes révélations à son ami le plus cher, montrent une résignation portée jusqu’à l’indifférence, en tout ce qui touche à la gloire éphémère des lettres… C’était une de ces âmes froissées par la réalité commune, tendrement éprises du beau et du vrai, douloureusement indignées contre leur propre insuffisance à le découvrir, vouées, en un mot, à ces mystérieuses souffrances dont René, Oberman et Werther offrent, sous des faces différentes, le résumé poétique. Les quinze lettres de Georges Guérin que nous avons entre les mains sont une monodie non moins touchante et non moins belle que les plus beaux poèmes psychologiques destinés et livrés à la publicité. Pour nous, elles ont un caractère plus sacré encore, car c’est le secret d’une tristesse naïve sans draperie, sans spectateurs et sans art ; et il y a là une poésie naturelle, une grandeur instinctive, une élévation de style et d’idées, auxquelles n’arrivent pas les œuvres écrites en vue du public et retouchées sur les épreuves d’imprimerie… Il a été panthéiste à la manière de Goethe sans le savoir, et peut-être s’est-il assez peu soucié des Grecs, peut-être n’a-t-il vu en eux que les dépositaires des mythes sacrés de Cybèle, sans trop se demander si leurs poètes avaient le don de la chanter mieux que lui. Son ambition n’est pas tant de la décrire que de la comprendre, et les derniers versets du Centaure révèlent assez le tourment d’une ardente imagination qui ne se contente pas des mots et des images, mais qui interroge avec ferveur les mystères de la création.
Remy de Gourmont
Le Centaure est à mettre parmi les plus belles et les plus précieuses pages de la langue française. C’est un poème et c’est un mystère. Maurice de Guérin, qui était un catholique, il est vrai, un peu inquiet, fut aussi, et à la même heure, un païen fervent. Car il y a de la ferveur et de l’amour dans son tremblement devant la nature. Il se livre vraiment aux dieux qu’il ne connaît pas et qui sont les dieux de son cœur ; le Dieu qu’il connaît n’est que le dieu de sa raison.