Guérin, Charles (1873-1907)
[Bibliographie]
Fleurs de neige (1894). — L’Art parjure (1894). — Joies grises (1895). — Georges Rodenbach (1894). — Le Sang des crépuscules (1896). — Sonnets et un poème (1897). — Le Cœur solitaire (1898). — L’Éros funèbre (1900). — Le Semeur de cendres (1901).
OPINIONS.
Georges Rodenbach
Ils sont exquis de sentiment, de vocabulaire, d’image, ces vers choisis au hasard dans un livre soigné, et d’un métier sur de lui-même, qui, sans rompre avec toute la tradition d’une prosodie fondée en raison, profite des acquêts nouveaux, aère l’alexandrin, ductilise le sonnet, embrume la rime jusqu’à l’assonance ; et ce n’est pas un des moindres charmes de ce poème que la netteté des impressions et des pensées en une forme fluide et flottante, comme qui dirait des figures de géométrie faites avec de la fumée.
Edmond Pilon
Dernièrement les allitérations nuancées préludèrent à la réforme finale : Verlaine d’abord, puis, proche miroir de ce Sang des crépuscules, Le Jardin de l’Infante.
Variations et symphonies, préludes et andantes, en notes éparses, se groupent, par quatorzains. Un instant, les vers de M. Guérin rappellent le bruit que ferait le fuseau de Pénélope à tisser les voiles de pourpre : alors ils sont futiles ; mais, une autre fois, ils sont glorieux de rauques refrains ; ils évoquent les thèmes juvéniles de Beethoven.
Une Âme s’éveille, souffre et s’auréole de gloire. Il n’y a de méthode que celle — supérieure — de ses chants. L’adolescent Narcisse des Joies grises, l’androgyne déchu de l’Art parjure, est devenu, cette fois, en même temps que très humble et de plus en plus charmeur, somptueux. Le sceptre alourdit la main qui laissa choir l’archet, et, à ouïr les assonances frêles ou graves que le poète trouva, à se pénétrer de l’infinie délicatesse comme de l’écho sonore que dénote, voulu, le choix de ses mots, on se souvient, concis et formidables, de ces premiers poèmes orphiques dont le langage compliqué était, entre initiés, la parole par excellence.
André Theuriet
Avec le Cœur solitaire nous nous élevons sur de plus hauts sommets et nous goûtons le charme d’une facture plus savante… Seulement, ici, il nous faut dire adieu à la joie de vivre… M. Charles Guérin est un désenchanté ; il appartient à cette génération saturée de science qui ne sait plus croire, qui ne peut plus aimer, et qui exhale en chants amers le regret de son impuissance. Du reste, la plainte de M. Guérin est particulièrement noble et éloquente ; je recommande à ceux qui ouvriront son livre la série des poèmes intitulés : Fenêtres sur la vie. L’inspiration en est fort belle, encore que mélancoliquement désabusée.
Pierre Quillard
Dès longtemps nous n’avons entendu célébrer avec une pareille intensité de passion la douceur et l’amertume de la chair sensuelle, le dégoût des heures vaines dépensées en futiles plaisirs et l’âpre volupté des déchéances consenties, simultanément ; dès longtemps aussi, on n’avait associé avec une telle plénitude l’universelle nature, dédaigneuse de nous, aux sursauts passagers de la fragile et magnifique humanité. Non certes que l’œuvre de M. Charles Guérin soit exempte de toute tare ; il advient que, par recherche de simplicité, la langue d’ordinaire imaginée s’appauvrisse étrangement en formules abstraites et banales :
Tristesse de l’esprit qui dissèque les lisPour qui la volupté ne fut pas la luxure…
Mais ces défaillances sont peu fréquentes et jamais elles ne vont jusqu’à altérer gravement l’eurythmie générale d’un poème. Il est certes dangereux d’évoquer les noms sacrés et les œuvres définitives à propos de quelqu’un d’entre nous, fût-ce le meilleur, et cependant je voudrais redire que j’ai goûté ici, grâce à l’aisance du rythme et à l’art d’animer les choses familières d’une puissante vie intérieure, un peu du charme puissant et doux qui fait des Contemplations un livre à part en notre langue.
Paul Léautaud
M. Charles Guérin, dans ses premiers livres, ne faisait guère pressentir le poète très sûr que nous a révélé le Cœur solitaire. Mais depuis cet ouvrage, une place lui est due parmi les meilleurs des jeunes poètes récents. Sans rappeler en rien M. Sully Prudhomme, de qui la poésie, de bonne heure, devint purement intellectuelle, M. Charles Guérin fait penser en même temps qu’il émotionne. Il excelle souvent à commencer un poème par des paroles à la fois musicales et songeuses et qui, le livre fermé, pleurent encore dans la mémoire :
Ô mon ami, mon vieil ami, mon seul ami,Rappelle-toi nos soirs de tristesse parmiL’ombre tiède et l’odeur des roses du Musée.
Beaucoup des morceaux contenus dans le Cœur solitaire débutent sur ce ton. On lira la pièce intitulée : À Francis Jammes, si parfaite, et à notre sens une des plus remarquables de la jeune poésie. Nous sommes sûr qu’il n’est personne qui, l’ayant lue, n’en retienne, pour la goûter encore, la tristesse harmonieuse et tendre.