Franc-Nohain (1873-1934)
[Bibliographie]
Les Inattentions et sollicitations du poète Franc-Nohain (1896). — Flûtes (1898). — La Chanson des trains et des gares (1899). — La Nouvelle Cuisinière bourgeoise (1900).
OPINIONS.
Camille de Sainte-Croix
La blague de Franc-Nohain est volontiers panthéiste. Elle prête une âme aux choses, et sa verve jette un reflet de vie sur les pauvres objets, accessoires familiers de tous les ridicules humains, de nos faiblesses et de nos infirmités. Il chante l’angoisse des Chandelles d’hôtel meublé attendant le client imprévu qui les fera témoins, jusqu’à l’aube, de quelque frénétique adultère, ou de ses cauchemars… ou de ses indigestions ; — il chante la tristesse et la solitude de la pauvre bottine de l’invalide qui a son autre jambe en bois ! il chante les nostalgies de la petite éponge qui s’étiole parmi les objets de toilette et songe à sa jeunesse vécue sur un libre rocher couvert d’algues vertes, en pleine mer, dans la familiarité sauvage des crabes, des homards et des crevettes…
Les fables de Franc-Nohain, ingénues, falotes et charmantes, sont certes d’une puissante gaîté. Mais il y a quelque chose de plus en elles : ce quelque chose qui révèle le pur poète sous la grimace du bouffon, — le cœur du bon et subtil sous l’effrontée tabarinade. Et c’est ainsi qu’en riant à ces folies, on se sent parfois tout près d’un très sincère et très avouable attendrissement.
Francisque Sarcey
Depuis huit jours, je suis plongé dans ce volume, et je pouffe de rire. Il a pour titre : Flûtes, et pour auteur Franc-Nohain. C’est d’une fantaisie étonnante, avec une merveilleuse gravité de pince-sans-rire. L’auteur a signé de mon nom la préface de ce livre. J’en ai été un peu étonné d’abord et même offusqué. Car, enfin, ce n’est pas l’usage de prendre, sans y être autorisé, la signature d’un écrivain, cet écrivain fût-il un oncle. Mais j’ai pardonné à mon coquin de neveu en lisant ses badinages. Mon Dieu ! qu’il y en a de drôles. Celle des Pédicures est impayable, et que dites-vous de celle-ci, qui porte ce titre élégiaque : Solitudes :
À boutons, ou à élastiques,Ou à lacets, ô bottine mélancoliqueDes personnes qui ont leur autre jambe en bois,Ô bottine mélancolique,Sur ton isolement je pleure quelquefois.Ce n’était pas ta destinéeD’écouler ainsi tes annéesDans le veuvage ou dans le célibat ;Moins loin de la compagne, hélas !Que Crépin t’avait destinéeEt dont le sort te sépara,Tu vas, solitaire, ici-bas,Rencontrer de par la villeBottines et souliers agilesQui se promènent côte à côte — destin prospère !En paire !
Je m’arrête ; car je citerais toute la pièce. Elle ne passera pas dans les anthologies ; n’importe ! elle est bien amusante.
Gustave Kahn
On connaît la manière verveuse de M. Franc-Nohain, enfant perdu du vers libre, qu’il manie de toutes façons picaresques, et non, je le crois, sans par-ci par-là quelques parodies de ses contemporains. Nul mieux que lui ne conclut une strophe un peu burlesque, soigneusement découpée en ses principales parcelles rythmiques par un majestueux ternaire, et souvent le sérieux de la forme est complice de la drôlerie du fond pour exciter l’éclat de rire, ou plutôt le sourire, car c’est à susciter ce sourire que vise M. Franc-Nohain. Il désire que l’on soit tout à fait surpris par une une concordance verbale, inédite ou rare. Les personnes qui, selon la règle classique, tiennent à ce que le comique découle des caractères, et non des situations ou des mots, ne trouvent pas toujours leur compte aux petits poèmes de M. Franc-Nohain, mais on ne peut contenter tout le monde, l’Institut, le boulevard et les lettrés. Je crois que M. Franc-Nohain a lâché l’Institut, et qu’il tient particulièrement aux lettrés du boulevard, ce qui est une plausible ambition. Il y a là, en tout cas, un don de déformation logique des choses qui est du talent, et du talent amusant.
Ernest La Jeunesse
De Franc-Nohain, quelque chose échappera toujours un peu, sa poésie, son ironie, son rythme ou sa fantaisie. Ce jeune homme ne déteste pas le mystère. Dans sa pièce : Vive la France ! c’est de l’ironie, du lyrisme qui s’arrête pour sourire de soi, de la tendresse qui hésite, un rire qui se détourne pour ne pas pleurer ; c’est de la sensibilité qui dit : « Tu sais, je blague », pendant qu’elle frissonne, et c’est de la gaîté tout de même — et une gaîté qui chatouille, qui enveloppe, qui emporte ; c’est de la joie, de la joie philosophique.