Bouchor, Maurice (1855-1929)
[Bibliographie]
Les Chansons joyeuses (1874). — Les Poèmes de l’Amour et de la Mer (1876). — Le Faust moderne, histoire humoristique en vers et en prose (1878). — Contes parisiens en vers (1880). — La Messe en ré de Beethoven, compte rendu (1886). — Dieu le veut, drame en cinq actes et six tableaux (1888). — Les Symboles, poèmes (1888). — Tobie, légende biblique en vers et cinq tableaux (1889). — Noël ou le Mystère de la Nativité, en vers (1890). — Trois mystères : Tobie, Noël, Sainte-Cécile (1899). — Les Mystères d’Éleusis, pièce en quatre tableaux, en vers (1894). — Les Symboles, nouvelle série (1895). — Les Chansons de Shakespeare (1896). — Conte de Noël, un acte, en vers (1897). — Chants populaires pour les écoles (1897). — Aux femmes d’Alsace (1897). — Lectures et récitations (1898). — La Chanson de Roland, traduction en vers (1898). — Vers la pensée et vers l’action (1899).
OPINIONS.
Charles Morice
Le grand mérite de M. Bouchor, ce pour quoi nous l’aimons, c’est qu’il a entendu la voix profonde qui conseille au poète, en ce temps, de se ressouvenir des plus anciennes leçons, d’écouter l’enseignement immémorial des mages primitifs, de se pencher au bord des métaphysiques et des religions antiques. Malheureusement, la foi manquant, tout risque de rester stérile. Art et philosophie : les vers, savants et froids, ne chantent pas ; les pensées, niant, ne créent pas. Le manque de foi, voilà ce qui fait, à ce trop gai d’antan, une âme aujourd’hui trop triste.
Émile Faguet
M. Bouchor me paraît marcher d’une très jolie et charmante allure dans une fausse route. Il veut ressusciter l’ancien-mystère, notre mystère du xive siècle, comme les Alexandrins voulaient ressusciter la poésie homérique. M. Bouchor veut faire de la naïveté, il veut faire de la poésie populaire. La naïveté ni la poésie populaire ne se font point. Ils sont où ils sont, et contrefaits par un artiste, quelque habile qu’il soit, ils ont un drôle d’air.
Henri Mercier
Si la joie d’être débordait dans les Chansons joyeuses, les Poèmes de l’Amour et de la Mer, qui vinrent ensuite, révélèrent en Maurice Bouchor un autre poète, un poète du cœur, plein de tendresse pour la nature, de délicatesse en sa conception de la femme et de douce mélancolie. Je soupçonne que, de tous ses livres, c’est celui-là, qu’il préfère encore, non peut-être pour sa perfection poétique, mais pour la qualité de l’émotion qui s’en dégage, pour sa jeunesse attendrie.
Jules Lemaître
Le Noël de M. Maurice Bouchor me paraît un petit chef-d’œuvre de grâce et d’onction. Quelques-uns ont dit que c’était de la « fausse naïveté ». Ce n’est nullement mon avis… Le sentiment qui anime le poème très simple et très sincère de M. Maurice Bouchor, c’est un sentiment que Michelet a souvent traduit avec passion, et M. Renan avec beaucoup de finesse, et que le poète de Noël exprime à son tour avec plus de candeur et de sérénité qu’on n’avait fui avant lui : la piété sans la foi.
Gaston Deschamps
Voyez l’évolution de M. Maurice Bouchor. Je déclare, tout d’abord, que j’admire et que j’aime, plus que personne, le poète de Tobie , de Noël et de Sainte-Cécile… Je me reproche de considérer ses poèmes comme des documents historiques, au lieu de m’abandonner au murmure berceur de sa chanson. Mais les deux périodes bien distinctes de sa vie intellectuelle et morale méritent d’être comparées brièvement.
Les imagiers d’autrefois gagnaient parfois le ciel en coloriant des diptyques, tableaux doubles qui figuraient, d’un côté, la laideur du péché ; de l’autre, les délices de l’état de grâce. Si jamais les hagiographes entreprennent de commenter les Symboles, ils pourront résumer la vie de l’auteur par une allégorie en deux morceaux.
Premier compartiment : L’Enfant prodigue. Occupations frivoles et littérature profane. Paganisme rabelaisien. Ripailles avec Raoul Ponchon. Admiration pour les truculences plus ou moins touraniennes de Jean Richepin. Odes anacréontiques et sonnets irrespectueux. En ce temps-là, M. Maurice Bouchor était plus près de l’abbaye de Thélème que de la montagne des Oliviers.
Deuxième compartiment : Le poète s’éloigne, de plus en plus, des compagnies et des divertissements où il a usé sa jeunesse. Il est renié par M. Jean Richepin, qui l’accuse de n’avoir dans les veines que du sang bleu. Il purifie le théâtre en substituant, aux comédiens, qui sont d’os et de chair, des personnages de bois, qui sont parfaitement inaccessibles aux tentations et incapables de maléfices… Et le poète marche désormais vers l’amour avec une candeur de néophyte, en robe blanche, par des chemins fleuris, dans la nuit bleue, qui donne aux figures charnelles un air d’indécision et de spiritualité.
Louis Payen
On connaît l’abnégation et le dévouement avec lesquels M. Maurice Bouchor essaye de hausser vers la beauté l’âme populaire. Par des causeries, des lectures, il réunit autour de lui les ouvriers, écarte pour quelques instants les voiles suspendus sur leur horizon. Les chefs-d’œuvre de la littérature classique, parce que simples de sentiment et d’action, doivent d’abord être offerts aux auditeurs. Avec un soin infatigable, M. Bouchor annote les pièces de théâtre, les poèmes dont il propose la lecture, retranchant les hors-d’œuvre, expliquant brièvement les passages dont la lecture fatiguerait, facilitant ainsi à la fois la tâche du public et du lecteur. Il faut louer très haut ce patient et vaillant effort.
Voici qu’il édite maintenant chez Hachette un livre de poèmes au titre courageux : Vers la pensée et vers l’action. Cet ouvrage s’adresse plus spécialement aux jeunes gens des écoles et leur sera d’une utile méditation au moment d’entrer dans la vie. Je cueille au hasard ces beaux vers :
Ne te lamente pas, homme des nouveaux âges,Parce que, dans les yeux des voyants et des sages,Les rêves du passé ne resplendiront plus.N’épuisent point sa face en labeurs superflus,L’esprit, plus sûrement, maîtrisera le monde.Nous pouvons nous unir dans une foi profonde :Avant que les trésors du temps nous soient ouverts,Croyons que, dans les flancs du robuste univers,Rien ne peut dessécher les germes de la vie.
M. Maurice Bouchor nous offre ainsi un recueil de poèmes composés dans un but moral, dont la lecture n’est point ennuyeuse. Quel plus bel éloge pourrait-on en faire ?