Bornier, Henri de (1825-1901)
[Bibliographie]
Les Premières Feuilles, poésies (1845). — Le Mariage de Luther, drame en cinq actes et en vers (1845). — Le Monde renversé, comédie en vers (1853). — Dante et Béatrix (1853). — La Muse de Corneille (1854). — Le Quinze janvier ou la Muse de Molière (1860). — Le Fils de la terre, roman (1864). — Agamemnon, tragédie en cinq actes (1868). — La Fille de Roland, drame en quatre actes (1875). — Les Noces d’Attila, drame en quatre actes (1881). — Poésies complètes, 1850-1881 (1881). — La Lizardière, roman (1883). — Le Jeu des vertus, roman d’un auteur dramatique (1885). — Mahomet (1888). — Le Fils de l’Arétin (1806). — France… d’abord ! (1899).
OPINIONS.
Emmanuel Des Essarts
En sa qualité de méridional, dans le recueil de ses poésies complètes, Henri de Bornier devait insérer les Cigalières. Au nom de ses camarades, il a su répondre au grand poète Mistral. Il a fait entendre à Caen, au rendez-vous de la Pomme, la chanson paternelle des Cigaliers… Enfin il a payé sa dette avec un gracieux apologue aux fêtes données en l’honneur de Florian, tout près de ce parc de Sceaux où la duchesse du Maine avait tenu sa cour de petits poètes et présidé l’ordre de la Mouche à miel. — À la suite de ces poésies lyriques, parmi lesquelles se détache encore l’hymne éclatant à la mémoire de Paul de Saint-Victor, se placent des poèmes philosophiques qui ont aussi leur grande valeur, d’un symbolisme profond et d’une émotion communicative ; quelques-uns m’ont rappelé, avec une langue plus moderne, certaines inspirations très heureuses d’Émile Deschamps, qui présente quelques analogies avec notre poète, ne serait-ce que par un caractère commun dans leur talent, caractère de conciliation et de transaction. Ainsi qu’Émile Deschamps semblait le pacificateur des classiques et des romantiques, Henri de Bornier me semble un intermédiaire original entre l’École de 1840 et les nouveaux venus de la fin du second Empire, un médiateur entre les derniers romantiques et les Parnassiens. — Saluons encore ses chants patriotiques : Paris et la guerre. C’est toute une guirlande de beaux vers tressés pour le front meurtri de la France par le poète patriotique qui devait faire mieux encore dans sa Fille de Roland et dans son Attila. J’ai parcouru l’œuvre lyrique de Henri de Bornier ; nulle œuvre n’est plus variée. Elle traverse tous les modes du lyrisme.
Jules Lemaître
J’ai été souvent tenté d’être injuste pour ce qu’on appelle les ouvrages estimables, ceux d’un Casimir Delavigne, si vous voulez, ou d’un Paul Delaroche, ceux où l’on voit « qu’un monsieur très sage s’est appliqué ». Or, il est évident que par tout le reste de son œuvre, Attila, Saint Paul, Mahomet et les poèmes couronnés par l’Académie, M. de Bornier est « un monsieur bien sage », je veux dire un excellent littérateur de plus de noblesse morale que de puissance expressive, poète par le désir et l’aspiration, mais un peu inégal à ses rêves. Et ce n’est pas un reproche au moins ; l’esprit souffle où il veut, et nous attendons encore, vous et moi, qu’il souffle sur nous. Mais, le jour où il écrivait la Fille de Roland, cet honnête homme a, à force de sincérité, écrit, si je puis dire, une œuvre supérieure à son propre talent… Sans doute, le génie d’expression épique et lyrique n’est pas tout à coup descendu en lui par une grâce divine. Mais il a si clairement vu, si profondément senti, si passionnément aimé ce qu’il avait entrepris de faire, que la pensée a, cette fois, emporté la forme et que, même aux endroits où cette forme reste un peu courte et où se trahit le défaut d’invention verbale, une âme intérieure la soutient et communique à ces vers un frisson plus grand qu’eux. Car, bien que peut-être le mot de France y revienne un peu trop souvent à l’hémistiche ou à la rime, il n’y a rien, dans la Fille de Roland, de ce patriotisme de réunion publique et de café-concert qui force si grossièrement l’applaudissement de la foule et dont les déclamations sont si cruelles à entendre. L’amour de la patrie est ici l’âme même et comme la respiration de l’œuvre…
Ce qui manque dans la Fille de Roland, ce ne sont pas précisément les beaux vers (tous ceux qui devaient jaillir des situations, M. de Bornier les a trouvés) ; ce qui manque, ce sont les nappes largement épandues et tour à tour les retentissantes cataractes d’alexandrins des Burgraves ; c’est l’abondance jamais épuisée et l’éclat souverain des images, le lyrisme et le pittoresque énorme, et comme la gesticulation d’armures ; c’est la longueur de l’haleine épique, le jaillissement continu du verbe et, pour ainsi parler, l’incapacité d’être essoufflé ; c’est ce qui fait enfin que, quoi qu’on en puisse dire et quoi que j’en aie dit moi-même, Victor Hugo est dieu.
Émile Faguet
Mahomet conquérant, Mahomet prophète, Mahomet amoureux, voilà le triple sujet. Voilà le gros inconvénient de notre affaire. L’admirable clarté, netteté et sûreté de marche de la Fille de Roland a des chances de ne plus se retrouver ici. Il faut bien reconnaître qu’en effet elles ne s’y retrouvent pas. Jusqu’au troisième acte, nous ne savons pas très nettement où nous pouvons bien aller. Cela ne laisse pas d’être un peu pénible. Il faut même dire que, jusqu’à la fin, Mahomet est comme partagé entre ses trois rôles sans réussir à s’y reconnaître lui-même très distinctement.
Émile Faguet
La reprise de la Fille de Roland a été une très belle soirée de la Comédie-Française. Nous avons été enchantés et nous n’avons pas été loin d’être enthousiastes. La surprise, très agréable du reste, n’a pas laissé d’être assez grande. Nous nous rappelions, nous autres vétérans de l’orchestre, la Fille de Roland comme un beau succès de 1874 et comme un bon ouvrage. Nous croyions donc à un regain de succès très honorable. Mais ce vrai triomphe de mardi soir, non, nous ne nous y attendions point. Il est très mérité, il va à une belle œuvre et à l’homme le plus sympathique du monde.
Jules Claretie
Il y avait, en effet, près de trente ans que M. Henri de Bornier attendait son heure, trente ans qu’il avait publié son premier ouvrage, un volume de vers, maintenant introuvable, disparu comme tous ces volumes de début, où les nouveaux venus mettent parfois le meilleur de leur âme. En 1845, M. de Bornier, arrivant de Lunel, faisait paraître chez l’éditeur Desloges, rue Saint-André-des-Arts, un petit volume in-18, portant ce titre : Premières feuilles, et cette épigraphe empruntée à Virgile : Versiculos. Ce premier livre a, d’ailleurs, son originalité ; la préface, qui est en vers, est écrite par le père de l’auteur, M. Eugène de Bornier, souhaitant, du fond de sa province, bon vent, bonne mer, aux écrits de son fils. Ils avaient tous, plus ou moins, ces Bornier, courtisé la muse de génération en génération, et M. de Bornier, le père, s’adressant au futur auteur d’Attila , lui disait, dès 1845 :
Tes vers ont plus de prix que les miens, je suppose.Qui pourrait entre nous décider de la chose ?Je l’admets. Feu mon père en fit, à mon avis,Qui sentaient leur Dorat ; à ce compte, tes filsEn feront d’excellents, et tout cela fait croireQue notre nom doit vivre au Temple de Mémoire.
Lucien Muhlfeld
Cette aventure (France… d’abord !), d’émotion assez mélodramatique, est contée en vers de M. de Bornier, riches d’antithèses et d’allitérations. La plus éperdue poésie n’est pas la meilleure au théâtre, et M. de Bornier a prouvé encore dans son premier acte qu’il s’entend au vers scénique. Par la suite, il a oublié souvent que la nécessaire vertu d’une telle poésie est la sonorité : trop d’alexandrins parurent sourds.