Bertrand, Aloysius (1807-1841)
[Bibliographie]
Gaspard de la Nuit, fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, avec une préface de Sainte-Beuve (184 2). — Réimprimé à Bruxelles par Poulet-Malassis, avec une préface d’Asselineau (1869). — Réimprimé à Paris par le Mercure de France (1895).
OPINIONS.
Sainte-Beuve
Son rôle eût été, si ses vers avaient su se rassembler et se publier alors, de reproduire avec un art achevé, et même superstitieux, de jolis ou grotesques sujets du moyen âge finissant de nous rendre quelques-uns de ces joyaux, j’imagine, comme les Suisses en trouvèrent à Morat dans le butin de Charles le Téméraire. Bertrand me fait l’effet d’un orfèvre ou d’un bijoutier de la Renaissance ; un peu d’alchimie, par surcroît, s’y serait mêlé, et, à de certains signes et procédés, Nicolas Flamel aurait reconnu son élève.
En répondant à la ballade du Pèlerin et en parlant aussi des autres morceaux insérés dans le Provincial, Victor Hugo lui avait écrit qu’il possédait au plus haut point les secrets de la forme et de la facture, et que notre Émile Deschamps lui-même, le maître d’alors en ces gentillesses, s’avouerait égale. Par malheur, Bertrand ne composa pas en ce moment assez de vers de la même couleur et de la même saison pour les réunir en volume ; mécontent de lui et difficile, il retouchait perpétuellement ceux de la veille ; il se créait plus d’entraves peut-être que la poésie rimée n’en peut supporter. Doué de liant caprice plutôt qu’épanché en tendresse, au lieu d’ouvrir sa veine, il distillait de rares stances dont la couleur ensuite l’inquiétait…
Bertrand est tout entier dans son Gaspard de la Nuit. Si j’avais à choisir entre les pièces pour achever l’idée du portrait, au lieu des joujoux gothiques déjà indiqués, au lieu des tulipes hollandaises et des miniatures sur émail de Japon qui ne font faute, je tirerais de préférence, du sixième livre intitulé les Silves, les trois pages dénature et de sentiment, Ma chaumière, sur les Rochers de Chèvremorte et Encore un printemps.
Charles Asselineau
Sans réclamer pour lui le premier rang qu’il convient sans doute de réserver à
des talents plus amples et plus robustes, je ne crains pas de dire que parmi les
écrivains du second, en ce temps-là, il est peut-être celui dont le nom est le
plus assuré de vivre, par cette seule raison qu’il s’est plus exclusivement
qu’aucun autre attaché à l’art. Il s’est placé lui-même dans la famille des
écrivains-artistes, « des architectes de mots et de phrases »
, des
Remi Belleau, des
La Fontaine, des
La Bruyère, des
Paul-Louis
Courier.
Champfleury
Le pauvre Bertrand mourut à l’hôpital, enlevé par la phtisie qui a dévoré tant de poètes ; mais son œuvre est restée pure, d’un travail qui fait penser aux admirables coupes de jade de la Chine.
Charles Baudelaire
J’ai une petite confession à faire. C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la Nuit, d’Aloïsius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n’a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux ?), que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue, et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.