Ackermann, Louise (1813-1890)
[Bibliographie]
Contes (1855). — Contes et poésies (1863). — Premières poésies (1874). — Poésies philosophiques (1874). — Les Pensées d’une solitaire [précédées d’une autobiographie] (1883).
OPINIONS.
Théophile Gautier
C’est une note qu’on n’est plus habitué à entendre et qui nous cause une surprise pleine de charme. Mais si, par quelques formes de son style. Madame Ackermann se rapproche du xviie siècle, elle est bien du nôtre par le sentiment qui respire dans les pièces où elle parle en son propre nom. Elle appartient à cette école des grands désespérés, Chateaubriand, , Shelley, Leopardi, à ces génies éternellement tristes et souffrant du mal de vivre qui ont pris pour inspiratrice la mélancolie.
E. Caro
Au moins dans la forme d’un sentiment, sinon d’une doctrine, cette philosophie du désespoir a troublé, dans ces dernières années, plus d’une âme qui a cru se reconnaître dans l’accent amer, hautain, d’un poète de grand talent, l’auteur des Poésies philosophiques . Si l’on voulait démêler l’inspiration qui fait l’unité de ces poèmes étranges et passionnés, on ne se tromperait guère en la cherchant dans la conception de l’Infelicità. C’est un Leopardi français égalant presque l’autre par la vigueur oratoire et le mouvement lyrique.
Sully Prudhomme
Ses qualités sont précisément celles qu’on rencontre le plus rarement chez les écrivains de son sexe : la vigueur de la pensée et l’éloquence de l’expression. Ses cris sont tout virils ; le soupir élégiaque, si fréquent dans la poésie féminine, ne l’est point dans la sienne… Madame Ackermann a trouvé, en poésie, des accents qui lui sont propres pour exprimer le dernier état de l’âme humaine aux prises avec l’inconnu : c’est là le caractère éminent de son œuvre. Les sujets qu’elle excelle à traiter, tirés du problème de la condition de l’homme, sont d’un intérêt supérieur et permanent.
Jules Barbey d’Aurevilly
Ces Poésies sont belles… à faire peur, comme disait Bossuet de l’esprit de Fénelon. Ce sont, à coup sûr, les plus belles horreurs littéraires qu’on ait écrites depuis les Fleurs du mal de Baudelaire. Et même, c’est plus beau, car dans le mal — le mal absolu — c’est plus pur. Les poésies célèbres de Baudelaire ne sont que l’expression des sens révoltés qui se tordent dans l’épuisement et la fureur de leur impuissance, serpents de Laocoon qui n’ont plus à étreindre que le fumier sur lequel ils meurent. Mais les poésies de Madame Ackermann sont le chaste désespoir de l’esprit seul !… Ses blasphèmes, à elle, n’ont pas la purulence des blasphèmes de Baudelaire. Ils sont taillés dans un marbre radieux de blancheur idéale, avec une vigueur et une sûreté de main qui indiquent que l’artiste, ici, est son propre maître, et sans excuse, comme Lucifer, qui ne tomba que parce qu’il voulut tomber. Transposition singulière, quand on les compare ! C’est l’homme, ici, qui a chanté comme aurait pu chanter la femme, et la femme, comme l’homme n’a pas chanté. La douleur de l’athée est sublime dans les Poésies de Madame Ackermann. Elle y souffre comme toutes les âmes fortes, qui périssent d’orgueil, déchirées dans leur force vaine. Ces cruelles et sacrilèges Poésies, qui insultent Dieu et le nient et le bravent, rappellent involontairement les plus grandes douleurs de l’orgueil humain, et on y retrouve comme un grandiose souvenir des yeux convulsés de la Niobé antique, des poignets rompus du Crotoniate et de la cécité de Samson dans l’entre-deux de ses piliers, — cette terrible cécité, qui renverse quand elle tâtonne ! — mais ce qui fait la beauté exceptionnelle des poésies de Madame Ackermann, c’est la largeur d’une aile qu’on ne peut guères enfermer dans le tour d’un chapitre. Elle n’y tiendrait pas.