II
Ce qui fait à mes yeux une grande partie de l’intérêt des écrits de d’Argenson et ce qui doit les rendre précieux pour quiconque aime la vérité, c’est que tout y est successif et selon l’instant même ; il ne rédige pas ses mémoires après coup en résumant dans un raccourci plus ou moins heureux ses souvenirs ; il écrit chaque jour ce qu’il sait, ce qu’il sent ; il l’écrit non pas en vue d’un public prochain ou posthume, mais pour sa postérité tout au plus et ses enfants, et surtout pour lui, pour lui seul en robe de chambre et en bonnet de nuit. La dignité peut trouver à y redire, la curiosité en profite d’autant.
Il se destinait donc et on le destinait, ainsi fait par goût et par nature, à devenir ministre. Il y eut des retards. Dès 1736, il avait presque la certitude d’être nommé à l’ambassade de Portugal. Il s’agissait de lier un grand commerce entre cette nation portugaise et la France, d’y combattre l’influence et les intérêts de l’Angleterre. M. d’Argenson désirait depuis longtemps savoir avec précision vers quoi on le voulait diriger, afin de s’y préparer et de se rendre digne de l’emploi par l’étude approfondie et le travail : il était de cette nature d’esprits probes qui n’aiment à traiter et à raisonner des choses qu’après s’en être instruits à fond. Il se mit à se préparer en conscience à son métier d’ambassadeur, et il fut bientôt le meilleur qu’on pût envoyer à Lisbonne et le plus capable, autant qu’on l’est par la lecture. La disgrâce de M. de Chauvelin, qui survint alors (février 1737), fut pour lui un fâcheux contretemps : en prenant part à cette disgrâce en loyal ami, il crut y voir cependant une occasion d’arriver. La succession de M. de Chauvelin se composait des sceaux et des Affaires étrangères. Les sceaux étant rendus au chancelier d'Aguesseau, M. d’Argenson crut que les Affaires étrangères allaient lui venir presque d’elles-mêmes : « Je ne postulai point, dit-il, mais on postula pour moi… Je vaux peu, mais je brûle d’amour pour le bonheur de mes citoyens, et si cela était bien connu, certainement on me voudrait en place. » N’est-ce pas là un peu de cette candeur dont on l’a souvent loué ? Sans se croire précisément des droits, il voyait toutes sortes de raisons en sa faveur. Il n’y avait point de concurrent pour ainsi dire :
Il y faut (aux Affaires étrangères) un homme de robe suivant l’usage présent ; je suis, de plus, homme de condition ; mon père a bien servi le roi et a été grand officier de la couronne ; j’ai étudié assidûment les affaires politiques depuis sept ans ; M. le cardinal le sait et a vu de mes mémoires, M. le garde des sceaux Chauvelin lui en a rendu de grands témoignages en tous les temps. Son Éminence me vante à tout le monde, et enfin il m’a destiné actuellement à une ambassade délicate.
Il se crut donc presque à coup sûr nommé, et ses amis l’en félicitaient déjà ; mais parut tout à coup M. Amelot, intendant des finances, ayant le département des Aides, et si peu au fait des Affaires étrangères, qu’il n’avait seulement pas lu la Gazette, selon qu’il l’avoua lui-même à M. d’Argenson ; de plus, bègue et sans aucune élocution ; il était créature et allié de M. de Maurepas. Ce fut lui qu’on choisit et auquel d’Argenson ne succéda que sept ans plus tard. La sortie de M. de Chauvelin affaiblit le ministère du cardinal de Fleury et laissa libre cours aux mauvaises influences : « Il avait ses défauts, écrivait d’Argenson après quelques années (1748), mais plus de grandeur et de droiture que tout le reste du ministère d’aujourd’hui15 », Il perdit en lui un bon guide et un conseiller utile, qui le tenait en garde contre ses défauts. Il continua d’étudier et d’attendre. Cette position de ministre en expectative se prolongea assez longtemps pour M. d’Argenson, qui s’en accommodait fort bien ; on sentait autour de lui qu’il le deviendrait tôt ou tard : « Mes bonnes intentions, dit-il, et des méditations fort sérieuses que j’ai faites sur les affaires d’État, commencent à percer beaucoup dans le monde ; à quoi joignant de la retraite qui me donne de la rareté, cela me fait passer pour un homme singulier dans le bien, et bien des gens qui ne me connaissent que d’imagination me prônent et m’élèvent. » Il lui venait des offres de services ; on lui proposait de le pousser auprès du roi par les domesticités ; des financiers habiles et administrateurs émérites (un M. de Bercy, gendre de l’ancien contrôleur général Desmarets), lui proposaient de servir sous lui en second, de travailler sous ses ordres, ce qu’ils ne feraient avec personne autre, et qu’il se laissât porter au ministère des finances : « Voilà de l’intrigue, car il en faut, ajoute en toute bonhomie M. d’Argenson, et heureusement j’y suis passivement. On vient à moi, je laisse faire, et pendant ce temps-là je travaille d’autant. »
On ne saurait mieux définir l’intrigue comme les vertueux se la permettent, l’intrigue à la Caton. — Ce qui ne l’empêchait pas de se dire avec satisfaction :
Août 1738. — Le fondement de ma fortune a pour texte ces deux mots, que j’ai déjà déclarés à plusieurs personnes : Il y a un métier à faire où il y a prodigieusement à gagner, c’est d’être parfaitement honnête homme. Joignant à cela une grande application, qui amène nécessairement quelque intelligence, il est impossible qu’on ne soit pas recherché de degrés en degrés pour les premiers emplois, car on a besoin de vous.
Il eut, en ces moments, des fumées d’ambition (qui n’a eu les siennes ?), et il se laisse aller à nous les dire. Il y a de lui une page bien naturelle, où il pense tout haut, et qui est toute l’histoire du Pot au lait :
Le 28 avril 1737. — J’ai été nommé par le roi ambassadeur en Portugal ; tout mon dessein, en acceptant pareil emploi, a été de me rendre digne et de me mettre à portée des places du ministère, où mon ancienneté au conseil pouvait naturellement m’élever dès que je ne démériterais pas, à plus forte raison si je montrais du mérite et du courage. Et quand je me trouve avoir été cinq ans intendant de frontière, et avec assez d’approbation, puis quatorze ans au conseil, fort assidu et en bonne réputation d’intégrité, et que je joindrai à cela une connaissance des pays étrangers et des négociations, alors, si je mérite place dans quelque ministère, on ne dira pas que j’y suis promu comme tant d’autres, et je m’y soutiendrai plus aisément par la justice que par la grâce et la faveur.
Un de mes amis16 me faisait remarquer l’autre jour que si M. le chancelier (d'Aguesseau), qui a soixante-neuf ans, venait à manquer, on devait naturellement me choisir, car personne du ministère n’est à portée de cela :
M. Orry n’a point de magistrature ; M. Amelot est bègue et ne peut haranguer en public ; M. d’Angervilliers devient vieux, usé, et très paresseux de travailler ; M. de Maurepas n’est pas gradué, et M. de Saint-Florentin n’y est pas propre. M. Hérault le briguerait, mais quel sujet !
Dans le conseil, je n’en ai que quatre devant moi, sur qui on juge aisément que le choix ne peut tomber, excepté Ma. Fagon (intendant des finances), mais qui est content de son état et ne voudra jamais sortir de la finance. D’ailleurs, la différence de naissance peut être aussi écoutée ; il est fils d’un médecin, et j’ai l’honneur d’être d’ancienne noblesse.
Or, qui deviendrait chancelier de France avec des connaissances d’affaires de l’État pourrait, dans l’âge et les circonstances du règne, devenir premier ministre par la primauté que donne ce ministère. Voilà comme on se laisse aller à des pensées ambitieuses.
Il ferait un singulier premier ministre à cette date et au milieu d’une telle Cour. Causant vers ce temps-là (novembre 1736) avec le maréchal de Noailles qui revenait de l’armée d’Italie, et entendant ce maréchal se plaindre de n’avoir pas été aidé du côté de Versailles, à ce terrible mot M. d’Argenson s’empressait de tourner court et de parler d’autre chose, par exemple, de matières de droit public et des biens allodiaux de la Toscane ; « car les bruits sont grands aujourd’hui, disait-il, de brigues contre le premier ministre » ; et la seule idée d’en être informé l’effrayait :
À propos de cet article, dit-il, je donnerai avis à mes enfants de ne se jamais fourrer dans toutes ces intrigues de cour. Les imprudents se battent, et les gens sages viennent à profiter de l’objet du combat quand on est bien sûr qu’ils ne s’en sont pas mêlés ; et cette aventure de tertius gaudet arrive dans les cours les plus intrigantes tout comme pendant les gouvernements forts et tranquilles… Dans ces intrigues, ajoute-t-il, le moindre risque, selon moi, surpasse les plus hautes espérances ; je crains extrêmement la disgrâce et la Bastille ; j’aime ma liberté et ma tranquillité, et je ne les veux jamais sacrifier qu’au bonheur de mes citoyens ; mais quelle sottise de les sacrifier à ses vues personnelles ! Immoler soi heureux à soi grand, quelle folie ! quelle platitude ! »
Folie, à la bonne heure ; mais je ne vois pas là de platitude.
Ce ne fut donc jamais très sérieusement que M. d’Argenson fut ambitieux. Il aimait la réflexion, l’étude, le vrai pour le vrai, le bien pour le bien ; il avait un sentiment de justice, de droiture, de cordialité que rien n’altéra, et qu’il exprime en des termes d’une sensibilité incomparable :
Je suis tout accoutumé, disait-il, à cette espèce d’ingratitude ordinaire, qui est l’oubli des bienfaits, qui ne consiste qu’à ne pas rendre le bien pour le bien.
Mais pour celle qui va jusqu’à rendre le mal pour le bien, c’est à quoi je ne me ferai jamais, quelque habitude que j’aie eue de l’éprouver. Ma vie n’en est qu’un tissu ; je ne dirai pas que j’aie comblé de biens certaines gens, mais j’ai rendu des services gratuits ; je me suis acquis quelques amis par là, mais je n’y ai jamais compté ; je n’ai compté que sur ceux avec qui la sympathie et le cœur m’ont lié, mais non les bienfaits, et de ceux-là il est prodigieux quels mauvais offices j’en ai souvent tirés.
Cela m’est toujours nouveau ; j’en ai le cœur flétri, j’en suis accablé quand j’y pense ; cela a attenté sur mes jours ; l’injustice me révolte et me passionne, ma voix tremble en en parlant et y pensant. Je voudrais n’être jamais né.
Il écrivait cela quelques mois avant d’entrer au ministère : qu’aurait-il dit lorsqu’il en fut sorti ? On voit nettement le défaut de la cuirasse ; pour vivre et résister dans un tel milieu, il n’avait pas la trempe. Il a, pour se peindre lui-même, des traits uniques et qu’on peut lui emprunter avec sécurité, tant ils paraissent sincères. J’en rassemblerai quelques-uns. Parlant des siens et de sa race :
On ne peut, dans ma famille, nous définir autrement que ce qui suit :
Le cœur excellent, l’esprit moins bon que le cœur, et la langue plus mauvaise que tout cela.
Il entend cette langue mauvaise dans le sens de l’éloquence et de l’élocution, qui ne répond pas au reste ; et comme c’est en partie affaire d’habitude, il convient que lui et son frère s’en tirent mieux que le reste de la famille. Il a dit encore :
J’ai de l’imagination, l’esprit vif pour peu que quelque nouveauté ou désir sympathique l’anime. Cela va extrêmement loin, et à la folie si on n’y prenait garde. Ce que j’ai d’esprit, je l’ai juste. J’ai le cœur et le sentiment lent, mais rude et tenace pour quelque temps, c’est-à-dire opiniâtre…
Il a dit :
Je ne puis vaquer à aucune besogne, qu’au bout de fort peu de temps le cœur ne se mette de la partie, soit pour, soit contre, soit pour les affaires, soit pour les hommes ; je m’affectionne ou je m’indigne. Peut-être est-ce un défaut, et je le reconnais pour tel dans les occasions où le premier mouvement m’ôte le sang-froid ; mais quant à l’affection, ordinairement cela me donne joie et succès à ce que je fais ; cela peut plaire à ceux qui servent avec moi, me les attacher davantage et surtout à leur besogne.
Il a dit d’une manière piquante, et qui se rapporte bien à sa première timidité et gaucherie naturelle :
Je ne veux pas être loué, mais approuvé seulement ; voilà l’aliment de mes succès, et si je vivais tout de suite avec des gens dont je sentisse l’approbation continuelle et pas autre chose ni moins, je ne sais pas jusqu’où j’irais. La louange me déconcerte encore plus que le blâme ; je peux me retrancher dans quelque retour favorable contre le blâme, mais à la louange je ne sais plus comment soutenir cela. En un mot, pour bien faire, je veux m’ignorer ; que je ne m’aperçoive pas que je suis là seulement, mais qu’on m’éclaire dans le chemin et qu’on me dise : Allez, vous allez bien, allez sûrement.
Il nous apprend qu’on lui faisait l’honneur de dire de lui « que comme don Quichotte avait eu la tête tournée par la lecture des romans, il lui était arrivé la même chose par celle de Plutarque. »
Il n’est que bizarre, et il montre plus de bonhomie que de tact et de goût (de ce goût qu’avait si fort son ami Voltaire, et qui est avant tout sensible au ridicule), lorsqu’il écrit de lui-même à la date de juin 1743, environ un an avant de devenir ministre :
Je me sens doux et sévère, je tiens beaucoup de Paméla et de Marcus Porcius Caton.
Le roman de Paméla, traduit en français, était alors dans sa nouveauté.
À un autre endroit, se montrant, non pas avare mais homme d’ordre et d’économie, qui aime mieux améliorer ses terres que de les étendre, et conserver son bien que de convoiter celui d’autrui, il ajoute sans qu’on soit tenté de le contredire : « Je me crois le contraire de Catilina, dont Salluste dit, etc. »
Quand il se considère ainsi en face et qu’il s’applique à se définir lui-même, d’Argenson se peint à nous, mais moins bien que lorsqu’il se compare et s’oppose à son frère, plus homme de Cour et futur ministre également. Il faut le voir dans cette comparaison à laquelle il se complaît et qui jette un jour distinct sur deux figures qu’on est porté à confondre.
Ici, et sur ce point, j’ai à prévenir que ce qui est imprimé dans le volume de d’Argenson donné en 1825, est à peu près le contraire de ce qu’on lit dans les manuscrits. Il était naturel que le petit-fils du comte d’Argenson, ayant à choisir dans les papiers de son grand-oncle, ne fît point porter précisément les extraits sur ce qui était au désavantage de son aïeul : mais l’omission eût mieux valu qu’une altération qui fausse jusqu’à un certain point la physionomie des deux hommes et le sens des caractères.
Ce ne sont pas seulement, en effet, des nuances qui les différencient ; il y a entre eux des profondeurs.
Dès l’abord on voit le marquis d’Argenson se plaindre de son frère, qui songe avant tout à se pousser dans le monde et à faire son chemin par ce que l’autre appelle les petits moyens ; qui s’est fait moliniste (lui libertin) pour plaire au vieux cardinal et pour obtenir une bonne partie des fonctions essentielles dont on dépouille, sous prétexte de jansénisme, le chancelier Daguesseau :
Que je suis malheureux, s’écrie-t-il, d’avoir un frère qui ne songe qu’à lui, qui ne veut que pour lui, qui est en tout le centre de son cercle ! Une telle passion exclut la vertu et cet amour du bien public, qu’on doit adorer après son simple bonheur et bien avant sa propre grandeur…
Il faut remarquer, ajoute-t-il (et l’on n’a que le choix entre vingt passages), que mon frère aime mieux une place qui lui vient par une brigue, par un parti et par une intrigue, que par la voie simple et noble de sa capacité reconnue et placée. C’est ainsi que les joueurs croient que l’art de jouer fait tout, et qu’ils ne veulent rien attribuer qu’à ce qui dépend d’eux.
En juin 1737, dans l’un des passages les plus favorables, il dit :
J’ai remarqué plusieurs fois que mon frère aimait les grandes fins et les petits moyens pour y parvenir. Cela vient de ce qu’il a du génie ; mais l’esprit s’est rétréci par l’habitude du bon air et de la courtisanerie, où il s’est adonné plutôt qu’à la lecture de l’histoire. Il y aurait puisé de grands modèles, et le monde ne lui a inspiré que la mode actuelle.
Ce génie, il le lui refuse expressément ailleurs et par de très bonnes raisons, et il se borne à lui accorder beaucoup d’esprit :
Ses mérites consistent véritablement dans beaucoup d’esprit, mais nul génie (on entend par esprit la facilité à entendre et à rendre) ; la hardiesse, le courage, la tranquillité devant les grands objets, ce qu’on prend pour force d’âme et qui ne l’est que de cœur ; un goût porté au grand et à l’élevé pour soi-même. Mais voici le grand défaut, c’est cette concentration dans son propre avantage.
Je ne cherche pas, on le croira sans peine, à triompher de cette différence et de cette discorde intestine des deux frères, et je ne donnerai même pas la préférence au plus vertueux sur l’autre comme ministre. Je crois que le marquis d’Argenson était médiocrement propre à l’être, tandis que le comte l’a été fort dignement et avec assez d’éclat pendant des années : celui-ci avait certes quelques qualités supérieures et des parties brillantes. La seule vérité historique que je tiens à marquerk, c’est que les deux frères appartiennent à des familles d’hommes politiques toutes différentes et même opposées, l’un étant de ceux qui vont au fond des objets et aspirent à un but réel et constant, l’autre de ceux qui s’en tiennent en tout aux expédients, et s’inspirent uniquement de la circonstance. Le marquis d’Argenson, du reste, a exprimé cette séparation de vues et d’inspiration dans des pages fort belles, mais qui auraient besoin d’être légèrement dégagées. Il y mêle une théorie à lui sur l’amour-propre : après quoi il ajoute, en en faisant l’application à son frère (août 1738) :
Il s’aime en tout bien, il aime son élévation et toute la plus grande élévation ; par-delà lui, il aime sa maison ; il a encore le sentiment du moment pour quelques objets de parenté ou étrangers. Voilà tous les mouvements de son amour, cela lui remplit tout le cœur, qui doit être étroit ou extrêmement occupé des mouvements que je viens de dire. Il n’est pas susceptible de haine, sa bile ne s’y allumant pas ; mais il s’indigne d’avoir des égaux, et il est porté naturellement à la moquerie contre ses supérieurs. De là son âme est égale en tout temps ; s’il a peu de plaisirs sensibles, du moins ses peines sont légères, car il a les passions douces. Son ambition n’est qu’un acheminement fin, délié et spirituel vers le grand, où rien ne l’étonne, et, de jeunesse, il a eu ce sentimennt. Ceux qui ne le connaissent pas le croient dévoré d’ambition ; non, il n’en est qu’occupé ; il la médite même gaiement, à cause de l’opinion qu’il a de sa supériorité ; il se voit lui-même au-dessus de tout, il croît apercevoir les fils des marionnettes, il se moque de tout, il se rit de tout et perpétuellement. Le fond de sa pensée attaque toujours ses supérieurs, quoique avec l’abord humble, honteux et embarrassé à leur égard, sans se jouer pour cela, mais par habitude ; mais il ne se ravale pas pour cela avec les inférieurs, ce qui est la suite de ce caractère chez les gens véritablement généreux ; au contraire, il y porte un air important et distrait qui en impose aux égaux et qui le fait respecter des inférieurs.
De tout cela il lui a résulté peu de soif de la justice, et comme il ne se commande rien à lui-même, par facilité de vivre et par habitude de suivre ses penchants, il ne s’est formé aucuns principes de morale, de justice, ni de droit public ; il ne voit ces règles qu’à mesure des occurrences et de l’offre de chaque espèce, ce qui rend nécessairement cette conduite fautive et peu profonde, n’étant conduite que par l’esprit. Il n’a pas médité un moment le bien public ; il y a toujours apporté de l’indifférence ; il n’en a pris que quelques traits par-ci par-là, chez les uns et chez les autres, comme je sais quelques racines grecques que j’ai prises je ne sais où. L’indifférence a donc malheureusement causé cette ignorance, plutôt que le défaut de capacité. Cependant il faut convenir que la faculté y manque, aussi bien que l’étude et l’acquis.
Si la faculté y était, je ne lui dénierais pas, comme je fais, le génie, qui est l’invention et l’inspiration. Ce beau feu céleste fait d’un savetier un poêle, et un général d’un laboureur comme Sforce ; et, en politique, d’un moine un Ximénès. Quand la passion du bien de la monarchie se joint au génie inventeur, alors le cœur se remplit de bien d’autres choses que de soi-même ; ordinairement même, le soi s’oublie et s’abandonne absolument, comme cela se voit chez ces chasseurs qui le sont par goût, chez tous les hommes à passions ardentes, à passions de goût et de curiosité, dans les amours violents comme celui de Moïse pour son peuple, et chez les savants qui ont recherché l’objet de leur étude en se détruisant visiblement17.
Cependant, sans cette faculté, il n’y a point d’homme d’État, il n’y a que des serviteurs mercenaires, intelligents si vous voulez ; mais, n’étant jamais que le centre de leur cercle, ils ne travaillent que pour ce qui est vu, pour ce qui leur fait honneur, pour ce qui leur attire récompense, et tout le reste est négligé et abandonné ; et bientôt le maître clairvoyant se dégoûte de tel serviteur.
Il me semble que dans ces pages d’Argenson s’élève, et qu’après avoir donné l’idée de quelque homme de bien et de quelque Turgot ministre, il va jusqu’à embrasser l’idéal d’un Richelieu et d’un Pitt, d’un de ces puissants serviteurs du monarque, du public et de la patrie, et qui ne distinguent plus leur égoïsme personnel de la grandeur et de l’intérêt universel ; et il y oppose moins encore son propre frère que la race de ces hommes politiques du xviiie siècle, qui avaient presque tous en eux du Maurepas, c’est-à-dire quelque chose de radicalement léger et frivole, de fat, de moqueur, de non sérieux, et, avec de l’habileté quelquefois et beaucoup d’esprit, le contraire du grand18. Il est loin d’avoir fini, et sur ce sujet qui lui est cher il ne tarit pas. Il s’y montre lui-même par contrecoup mieux que partout ailleurs, et il plaide indirectement pour ses propres qualités et un peu aussi pour ses défauts ; continuant donc son monologue et ce parallèle secret entre son frère et lui :
Qui prendra, dit-il, pour des affaires sérieuses son choix à la figure, aux airs importants, au discours spirituel, et au bon air dans la dépense et dans le maintien, fera toujours une mauvaise affaire ; ce n’est là que la superficie, et même la perfection de cette superficie a dû nécessairement prendre sur le fond, et être faite à ses dépens. Il faut de la suite, du bon sens, un sens suivi, une méditation approfondie pour trouver du neuf échappé aux autres, et ce fond demande des négligences sur les choses extérieures. Cependant voilà le malheur du Français : on prend pour médecins des gens d’imagination (Silva), et pour ministres les robins qui ont le plus fréquenté la Cour, c’est-à-dire ceux qui ont le plus perdu leur temps et qui ont le plus négligé les pauvres et la justice.
Une juste vanité me fera ajouter que mon père ni mes aïeux n’étaient point faits comme cela. Où diable donc a-t-il pris cela ? du seul archevêque de Bordeaux, mon oncle, lequel était un petit esprit, taquin et triste, grand économe, homme à vues bourgeoises, aimant sa maison avec orgueil, mais sans générosité, plein de lui et vide des autres, dur et sec, haïssable, et échappant seulement à la haine publique par son économie ; mais mon père et mes aïeux ont toujours passé dans leur temps pour gens francs, nobles, courageux et dignes de l’ancienne Rome, surtout de nulle intrigue à la Cour ; aimant la vie de province, ce qui est la vraie vie de la province ; riches ou pauvres, et cependant s’y faisant d’abord distinguer par les lumières de leur esprit et la bonté de leur cœur. Or rien n’est si à propos que de s’attirer dans le monde la même espèce de considération par où sa race est connue ; il y faut conserver les qualités comme le nom et les armes : d’où je conclus que nous sommes bien étrangers dans le monde par l’intrigue de Cour, et par ce machiavélisme italien qui réussit peu dans les grandes choses, ou y succède mal tôt ou tard.
On retrouve dans cette fin toute la verve que nous lui avons vue précédement à nous parler de son père, et cette touche qui sent sinon le vieux Romain, du moins le vieux Français.
Je laisse les détails, qui n’auraient d’intérêt que dans une biographie. Le cardinal de Fleury, depuis la disgrâce de M. de Chauvelin, n’était plus aussi bien disposé pour M. d’Argenson, et il lui était même devenu ennemi. Un jour (mai 1741), il parla tout haut de lui avec humeur et conclut en ces mots : « Enfin, pour tout dire, c’est le digne ami de Voltaire, et Voltaire son digne ami. » En février 1741, M. d’Argenson succéda à son cadet dans la place de chancelier du duc d’Orléans, et cette succession peu expliquée parut singulière dans le monde. Le fait est que son frère s’étant dégoûté de cette place, et ayant obtenu l’intendance de Paris qui était un motif de congé, avait engagé son aîné à s’en accommoder à son défaut et nullement à son détriment : ce qui n’empêcha point qu’il n’y laissât ensuite donner une fausse couleur. Trois ans après, en mai 1744, le cardinal de Fleury étant mort, le roi nomma M. d’Argenson conseiller au conseil royal, à la condition qu’il quitterait les affaires du duc d’Orléans, car on ne peut servir deux maîtres. Enfin, M. d’Argenson devint ministre des Affaires étrangères en novembre 1744 ; son frère l’était déjà de la guerre. L’histoire de ce ministère, qui dura jusqu’en février 1747, serait celle de la France pendant cette période : M. d’Argenson en a laissé les éléments les plus riches et les mieux distribués à qui voudra traiter ce point du xviiie siècle. Pour moi, qui ne cherche que l’homme moral en lui et l’écrivain philosophe, je me bornerai à remarquer qu’il échoua dans cette carrière active. Il voulait la paix, une paix qui, selon lui, eût été plus avantageuse à la France que celle qu’on signa ensuite à Aix-la-Chapelle ; il croyait qu’on l’eût obtenue moyennant une grande guerre défensive de toutes parts. Il avait des plans de reconstitution politique à l’étranger, notamment pour l’Italie ; il prétendait y former « une république ou association éternelle des puissances italiques, comme il y en avait une germanique, une batave, une helvétique, la plus grande affaire qui se fût traitée en Europe depuis longtemps. » Tout cela manqua. Il fut renvoyé purement et simplement, sans un éloge dans la Gazette, sans pension, mais aussi sans exil. On l’avait fait passer en dernier lieu près du roi pour « incapable de toutes affaires publiques (pour un utopiste comme nous dirions)19 ; et toutes voies désormais lui étaient fermées. » Le fond de son cœur, à cette occasion, nous est révélé dans une sorte d’épanchement involontaire qui se trouve au milieu de ses Remarques sur ses lectures, et qui a pour titre assez singulier, De la Providence : « Que l’idée de la Providence est aimable ! s’écrie-t-il tout à coup ; que ses espérances et ses consolations sont douces à tout malheureux ! mais que ses décrets sont impénétrables ! » Et il part de là pour décrire le spectacle qui s’offre à lui au moment où il écrit, en 1748, c’est-à-dire un an après sa sortie du ministère. Ce ne sont partout à ses yeux qu’iniquités heureuses et triomphes apparents de l’injuste sur l’innocent. Son successeur M. de Puisieux, M. de Saint-Séverin le plénipotentiaire d’Aix-la-Chapelle, M. de Maurepas, enfin et surtout son propre frère le comte d’Argenson, n’y sont pas épargnés comme étant les artisans présumés de sa disgrâce ou les héritiers empressés de sa dépouille. Mais il ne serait pas juste, à notre tour, de prendre au mot, et dans toute la vivacité d’un éclat secret, l’irritation de cet homme de bien. Je me bornerai à dire avec lui : « N’ayant aucune intrigue à la Cour, il est aisé de sentir ce qui en arrive : tout ce qu’on fait de bien est peu senti, ou est attribué à d’autres, et la moindre faute qu’on peut faire devient un crime qui vous met à découvert. » Et à un autre endroit, trouvant à son fils M. de Paulmy, alors ambassadeur en Suisse, quelques-unes des qualités de mesure, d’insinuation et d’adresse qu’il n’avait pas, il dit, par un retour sur lui-même et en indiquant le contraste : « Il loue…, il approuve, il sait réduire ses idées et les diminuer quand il faut ; on est bien heureux d’être de cette souplesse, car il faut plaire pour réussir ; les hommes sont plus difficiles que les affaires 20 ».
Son premier étonnement passé, il redevint aisément, le lendemain de sa sortie du ministère, ce qu’il était la veille, un homme studieux, un grand lecteur, l’étant avec délices, faisant de son cabinet son royaume et son monde, et plein de pensées et d’observations sur les livres et sur les choses· En lisant ce qu’il a ainsi écrit pour lui seul et dont on a le recueil depuis 1742 jusqu’en 1756, au milieu des mille variétés de chaque jour, je suis frappé d’une remarque fréquente et suivie, d’une plainte qui revient sans cesse sous sa plume jusqu’en 1750 : elle tient de près à ce que nous l’avons déjà vu dire à propos de son frère sur le genre frivole et léger, sur l’esprit de moquerie et de malice qui détruit tout, et sur l’absence de cœur et d’amour du bien. La manière vive et précise dont il nous décrit ce vice, tel qu’il le voit, ôte à ses reproches tout air de lieu commun. Jamais je n’ai mieux compris qu’en lisant les cahiers du marquis d’Argenson quelle a été la maladie du xviiie siècle, de la première moitié surtout :
Le cœur est une faculté, dit-il, dont nous nous privons chaque jour faute d’exercice, au lieu que l’esprit s’anime chaque jour. On court à l’esprit, on le cultive, on devient tout spirituel. C’est l’esprit joint au cœur qui forme l’héroïsme, le courage, le sublime, et d’où résulte le génie. Faute d’affection et de la faculté cordiale, ce royaume-ci périra, je le prédis. On n’a plus d’amis, on n’aime plus sa maîtresse ; comment aimerait-on sa patrie ?
Il le dit et le redit, comme un bon citoyen qui s’en alarme, comme un homme qui en souffre, d’une manière pénétrée et touchante : il discerne un principe de mort, à travers cet esprit qui scintille, sous cette politesse méchante et glacée :
J’en reviens au progrès des mœurs. Je disais que la politesse ayant fait des progrès, les effets des vices étaient peu de chose en comparaison du temps de la barbarie… Ce qui est aujourd’hui tracasserie était anthropophagie du temps des druides…
Mais j’observe une chose terrible de notre âge : l’amour s’éteint, on n’aime plus par le cœur ; peu de cœurs sensibles ; adieu la tendresse ! Certes les sens appâtent la beauté ; la débauche, ce faux amour, règne plus que jamais ; ce ne sont que liaisons apparentes ; mais je ne vois plus, surtout dans notre jeunesse, qu’on fasse usage de son cœur ; nuls amis, peu d’amants ; dureté de cœur, ou simulation partout…
Où cela va-t-il ? Sans doute à pire que la barbarie ; car chez les ogres on aimait, on ne se nuisait pas tant, ni si assidûment, ni continuellement.
Si vous détruisez l’amour, Ἔρως (c’est lui qui met ce mot grec), le monde retombera dans le chaos.
Qu’on sente donc son cœur, qu’on l’écoute, ne fût-ce que quelques moments ; c’est toujours cela.
Dans le monde, dans les lettres, depuis Fontenelle, La Motte, Marivaux, Duclos, Maupertuis, jusqu’à Voltaire lui-même ; depuis les Richelieu, les d’Ayen, les Duras, les Forcalquier, les Maurepas, jusqu’à M. de Choiseul, c’était un genre que la finesse, surtout la finesse caustique, l’épigramme continuelle, l’ironie, épouvantail du simple et du bien, ennemie mortelle du grand ; « et la politesse semblait ne réprimer toute violence extérieure que pour faire germer davantage la noirceur intérieure ». La politesse sans la sensibilité, voilà quelle était la définition du monde d’alors :
Voici où nous en sommes, écrivait d’Argenson : un beau matin tout spectacle disparaît, et il ne reste plus que des sifflets qui sifflent. Il n’y aura bientôt plus en France ni de beaux parleurs ni d’auteurs comiques ou tragiques, ni musique, ni livres, ni palais bâtis, mais des critiques de tout et partout. On n’ose plus parler en bonne compagnie, car les faiseurs de bons contes vous traduisent en ridicule. Remarquez qu’il y a aujourd’hui plus de journaux critiques périodiques par mois qu’il n’y a de livres nouveaux ; la satire mâche à vide, mais mâche toujours.
Il me fait bien comprendre par tout ceci, d’une part le succès du Méchant, cette comédie de Gresset, aujourd’hui si peu sentie et qui vint si à propos alors (1747) pour traduire aux yeux de tous le vice régnant, la méchanceté par vanité 21, et aussi cet autre succès, bien autrement fécond et durable, de Jean-Jacques Rousseau venant apporter au siècle précisément ce dont il manquait le plus, un flot de vrai sentiment. On suit bien chez d’Argenson la maladie qui précéda cette venue de Rousseau, le persiflage par bel air ou l’affectation fausse de sensibilité de la part de ceux qui en manquaient le plus : « On ne voit, dit-il énergiquement, que de ces gens aujourd’hui dont le cœur est bête comme un cochon, car ce siècle est tourné à cette paralysie du cœur ; cependant ils entendent dire qu’il est beau d’être sensible à l’amitié, à la vertu, au malheur ; ils jouent la sensibilité presque comme s’ils la sentaient. » Le grand mérite de Rousseau fut de sentir avec vérité ce qu’il exprima avec force et quelquefois avec emphase : car par lui on passa brusquement de la presque paralysie du cœur à une sorte d’anévrisme soudain et de gonflement impétueux. C’était du moins la vie au prix du néant..
Tous les hommes de sensibilité et de cœur désiraient, appelaient vaguement un Rousseau quand il parut.
D’Argenson me donne, par ses remarques de chaque jour, le sentiment vif de la corruption du milieu du siècle, de cette corruption sèche et qui était sans ressources, tandis qu’il y aura des ressources dans la corruption ardente et plus neuve de la seconde moitié. Quand la génération qui avait traversé la Régence eut cinquante ans, que fut-elle ? on en a le tableau non flatté chez d’Argenson.
Sur cet article et tout ce qui s’y rapporte, on n’a avec lui que le choix entre les belles paroles et les plus expressives :
Les hommes d’aujourd’hui devenant polis de plus en plus, je remarque qu’ils n’ont plus de passions, mais seulement des desseins qu’ils suivent comme des passions. Aussi, quand l’esprit est mauvais, le sophisme fait les vices. —
Il me semble qu’il n’y a plus aujourd’hui d’hommes d’esprit et de conversation, comme dans ma jeunesse. Ceux-là écoutaient, entendaient finement, répondaient avec profondeur et connaissance, réduisaient la question, disaient du neuf, étaient gais avec esprit et même avec bonté. Ce que nous avons aujourd’hui d’hommes d’esprit à la Cour ou à la ville ne le sont qu’avec une telle malignité, qu’ils ressemblent à des singes ou à des diables qui ne prennent leur plaisir qu’au mal d’autrui et à la confusion du genre humain ; et s’il leur reste quelque franchise, c’est pour ne pas cacher leurs grands défauts, de malice.
Sur la conversation en particulier, il a de ces observations qui portent, et dont on n’a jusqu’ici donné quelques-unes au public qu’en les éteignant et les émoussant. Une des raisons pour lesquelles il n’y a plus, selon lui, de bonne conversation (qu’il y a longtemps qu’on a dit cela !) à la date de 1750, « c’est que la conception ou la patience à écouter diminue chaque jour, dit-il, parmi nos contemporains. Rien n’est plus vrai qu’il n’y a plus de bons écouteurs en France, ni 131 même d’écouteurs. La pétulance a pris la place de la vivacité et de l’enjouement. »
On ne peut tout dire ni tout extraire : qu’il me suffise de bien marquer qu’en ce qui est de la corruption sociale de son temps, d’Argenson est un témoin précis, véridique, et quelquefois même une preuve de ce qu’il avance. Ce n’est point par excès de sévérité qu’il pèche ; le Caton était fort tempéré en lui, et on a moins affaire ici à un censeur qu’à un spectateur. Sorti du ministère, voyant son frère y rester et s’y ancrer plus que jamais, il a pu lui adresser cette parole qui résume admirablement quelques-unes de ses plus habituelles pensées :
J’ai dit à mon frère (1748) : « Vous avez une belle charge, vous êtes chargé de faire valoir la seule vertu qui reste aux Français, qui est la valeur ; car l’esprit n’est pas une vertu : la franchise, la bonne foi, toutes les autres vertus se sont séparées de nous. »
Et ce n’est pas la misanthropie qui a dicté cette parole. Il n’a point de parti pris. Quand le siècle lui paraîtra, en avançant, présenter quelques meilleurs symptômes, il sera le premier à les noter et à nous en faire part, avec la joie d’un homme qui ne désespère pas des hommes et qui aime à croire au progrès de la raison publique.