Le président Hénault
Ses Mémoires écrits par lui-même,
recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan33.
Le président Hénault a été avant tout un homme de société. Heureux dès sa jeunesse, ayant reçu du ciel la fortune, la bonne mine, le désir de plaire et l’art de jouir, il vécut de bonne heure dans le meilleur monde ; il respira, sur la fin du règne de Louis XIV, cet air civilisé le plus doux et le plus tempéré pour lequel il était fait ; il continua sa carrière fort avant dans le xviiie siècle sans en partager les licences ni les ardeurs, fut l’ami intime et le familier de tous les gens en place, le patron ou l’amphitryon des gens de lettres, parmi lesquels il prit un rang distingué que chacun s’empressa de lui offrir. Il n’eut d’autre malheur que de se survivre un peu dans les dernières années et de baisser en esprit avant de s’éteindre. Lorsqu’on a annoncé ses Mémoires, j’ai eu aussitôt une extrême envie de les lire, persuadé que nul n’était aussi à même que lui de nous introduire dans cette société du commencement du xviiie siècle, sur laquelle on a jusqu’ici assez peu de témoignages détaillés et de confidences originales. Je dirai plus tard jusqu’à quel point mon attente a été remplie ; je veux commencer par présenter une idée du genre d’existence, du genre d’esprit et de mérite qui caractérisent le président.
Le président tout court, c’est ainsi qu’on appela le président hénault après que Montesquieu fut mort. « J’ai soupé hier chez le président. — Soupez-vous ce soir chez le président ? » Tout le monde, dans la bonne société, vers 1760, entendait ce que cela voulait dire. Hénault naquit à Paris, le 8 février 1685, d’un père fermier général, homme riche, qui aimait les lettres, et même assez particulièrement pour prendre le parti de Corneille contre Racine, et pour se mêler à cette petite guerre que soutinrent Thomas Corneille et Fontenelle. Le jeune Hénault fit ses études au collège des Jésuites, sous les meilleurs professeurs, et sa philosophie aux Quatre-Nations. Il se distingua dès l’abord par une grande facilité et du talent d’écrire. Il eut pour condisciples et pour amis de collège quantité de fils de famille qui devinrent depuis des personnages, et avec qui il resta lié. Hénault avait quinze ans au moment des débuts de Massillon à Paris et de son premier éclat dans les chaires : ce fut son premier enthousiasme ; l’ambition de l’éloquence le saisit, et il voulut entrer à l’oratoire. Il y entra en effet, y prit l’habit, et y resta deux ans. Puis il en sortit avec autant de facilité qu’il y était entré. Plusieurs de ses supérieurs le regrettèrent, et l’un d’eux même le pleura ; Massillon, qui en avait mieux jugé, dit en riant : « Mon Père, est-ce que vous avez jamais cru qu’il nous resterait ? »
Mais il demeura toujours quelque chose au président Hénault de ces années passées à l’Oratoire ; il lui arriva plus d’une fois d’en regretter l’innocence et la paix ; il a même célébré en vers ces agréables ombrages où se menaient de doux et sérieux entretiens ; ces retraites riantes, disait-il, où le désir est calme et la chaîne légère. Il en conserva mieux qu’une impression sensible, il en sauva quelques principes qu’il retrouva en avançant, dans la vie, et qui le rattachent au xviie siècle : il y a en lui un coin par lequel il se séparera du xviiie .
En attendant, il entra dans le monde et se mit à vivre de la vie la plus répandue et la plus diversement amusée : il allait d’abord dans le monde de la finance, où se rencontraient toutes sortes de gens de qualité ; il voyait beaucoup les coryphées de la littérature, La Motte, Rousseau, La Faye et bien d’autres. Devenu magistrat sans en avoir l’air, reçu président au Parlement avec dispense d’âge (1706), il ne concourait pas moins pour les prix de l’Académie française, faisait des tragédies, qui tombaient comme déraison (c’est Collé qui le dit), mais sous un autre nom que le sien, des chansons, au contraire, qui avaient la vogue, et il prenait pied partout dans la meilleure société, et bientôt même en Cour. Cependant il trouvait du temps pour des applications plus graves ; son esprit juste cherchait à simplifier tout ce qu’il étudiait, et se dirigeait avec utilité vers l’histoire.
Ici, nous nous trouvons dans une sorte d’embarras à l'égard du président Hénault ; les jugements sur son compte sont assez divers. Voltaire, qui l’a plus loué que personne, a retiré, à la fin, tous ses éloges, lorsqu’il a vu le président mourir en reniant la philosophie. Grimm, Collé, ont parlé de lui avec esprit, mais avec quelque dédain et bien de la sévérité. Celui qui me paraît l’avoir jugé à la fois avec indulgence et une mesure équitable, est le marquis d’Argenson, dans le portrait qu’il a tracé de lui :
« Le président Hénault, dit-il, ne tiendra peut-être point au temple de Mémoire une place aussi distinguée que les deux autre, (c’est-à-dire que Fontenelle et que Montesquieu, qui n’était point encore, à cette date, l’auteur de L’Esprit des Lois). Il est moins vieux que Fontenelle et moins gênant, parce qu’il exige moins de soins et de complaisances. Au contraire, il est très complaisant lui-même, et de la manière la plus simple, et l’on peut dire la plus noble ; les actes de cette vertu ont l’air de ne lui rien coûter. Aussi y a-t-il des gens assez injustes pour croire qu’il prodigue sans sentiment et sans distinction les politesses à tout le monde : mais ceux qui le connaissent bien et le suivent de près, savent qu’il sait les nuancer, et qu’un jugement sain et un grand usage du monde président à la distribution qu’il en fait. Son caractère, surtout quand il était jeune, paraissait fait pour réussir auprès des dames ; car il avait de l’esprit, des grâces, de la délicatesse et de la finesse. Il cultivait avec succès la musique, la poésie et la littérature légère. Sa musique n’était point savante, mais agréable ; sa poésie n’était point sublime ; il a pourtant essayé de faire une tragédie : elle est faible, mais sans être ni ridicule ni ennuyeuse. Du reste, ses vers sont dans le genre de ceux de Fontenelle : ils sont doux et spirituels ; sa prose est coulante et facile ; son éloquence n’est point mâle ni dans le grand genre, quoiqu’il ait remporté des prix à l’Académie française, il y a déjà plus de trente ans. Il n’est jamais ni fort, ni élevé ; ni fade, ni plat. Il a été quelque temps père de l’Oratoire ; il a pris dans cette société le goût de l’étude, et y a acquis quelque érudition, mais sans aucune pédanterie. On m’a assuré qu’au Palais il était bon juge, sans avoir une parfaite connaissance des lois, parce qu’il a l’esprit droit et le jugement bon. Il n’a jamais eu la morgue de la magistrature ni le mauvais ton des Robins. Il ne se pique ni de naissance ni de titres illustres ; mais il est assez riche pour n’avoir besoin de personne…
On trouve dans ce portrait sorti d’une plume amie tout ce qui peut expliquer les succès et la réputation du président dans le monde et en son bon temps.
Les recueils de l’Académie française nous ont conservé le discours par lequel le président débuta dans les lettres proprement dites. L’usage était alors, pour les prix d’éloquence, de composer de véritables sermons en plusieurs points sur une pensée ou un texte de l’Écriture. Le président eut le prix en 1707, à l’âge de vingt-deux ans, pour un discours sur ce sujet proposé par l’Académie, « qu’il ne peut y avoir de véritable bonheur pour l’homme que dans la pratique des vertus chrétiennes. » En 1709 il n’eut qu’un accessit sur cet autre sujet, « que rien ne rend l’homme plus véritablement grand que la crainte de Dieu. » Les approbateurs, qui sont le théologal de Paris et le curé de Saint-Eustache, ne peuvent contenir leur admiration pour ce discours, « que la piété et l’éloquence, est-il dit, semblent avoir formé de concert ». En janvier 1713 le président donnait à la Comédie-Française, sous le nom de Fuselier, une tragédie, Cornélie vestale, qui n’eut que cinq représentations. Le sujet est une passion pour une vestale, et l’auteur, qui appelle cette pièce un accident de l’amour, avait dû y peindre quelque ardeur réelle qu’il éprouvait alors, et à travers peut-être une grille de couvent. Il écrivait des années après à Horace Walpole, qui lui avait fait la galanterie de lui demander cette tragédie pour l’imprimer à son château de Strawborry-HiII :
Elle fut assez bien reçue (ou plutôt assez mal reçue), et j’eus du moins la sagesse de ne la pas faire imprimer : cependant j’y pensais souvent, comme on fait à une première passion. On me flattait sur les détails de cette pièce : en effet, c’était le premier essor d’une âme tout étonnée des sentiments qu’elle éprouve la première fois, la pure fleur du sentiment qui paraît exagéré quand on ne l’a pas connu, et qui est pourtant l’amour. On s’en moquera tant que l’on voudra ; le reste de la vie n’est que de la galanterie, de la convenance, des traités, dont la condition secrète est de songer à se quitter au moment que l’on se choisit, comme l’on dit que l’on parle de mort dans les contrats de mariage. Je regrettais de temps en temps le sort de cette orpheline qui ne trouvait pas d’établissement…
Mais ce qui procurait au président plus de réputation que cette Cornélie aussitôt oubliée, c’étaient des couplets dans le genre de ceux qui commencent ainsi, et qui ont en effet moins de fadeur qu’ils n’en promettent :
Il faut, quand on s’aime une fois,S’aimer toute la vie, etc.
Une vraie romance. Ces couplets ou d’autres du même ton, chantés et applaudis aux soupers du président, faisaient bientôt les délices des toilettes et des boudoirs.
Le président Hénault pourtant allait peu à peu devenir un homme sérieux ; mais là encore, et lorsqu’il se trouvera mêlé aux choses plus importantes, il y entrera du jeu et de la représentation plus que du fond. Le moment de la majorité du roi approchait ; le 22 février (1723), un lit de justice devait être tenu au Parlement pour cette déclaration solennelle ; le roi y devait parler, le Régent aussi, le chancelier ou le garde des sceaux également, et enfin le premier président du Parlement y avait son rôle à part. Le cardinal Dubois cherchait quelqu’un qui fît convenablement, avec sûreté et tact, tous ces discours officiels, moins celui du premier président, de qui on ne disposait pas. Il en parla à M. d’Argenson le cadet, alors lieutenant de police, et l’ami intime du président Hénault : M. d’Argenson indiqua celui-ci. Le cardinal Dubois d’abord se mit à rire ; il ne connaissait jusque-là le président que par ses chansons ou ses galanteries. M. d’Argenson le rassura et lui dit qu’il pouvait se fier à lui et à sa plume, qui unissait le sens et la grâce à la facilité.
Mais voilà que de son côté le premier président M. de Mesme, qui avait de l’amitié pour Hénault, et qui passait sa vie avec lui dans les mêmes sociétés, lui parla de son discours prochain et des divers canevas ou projets qu’il en avait fait faire par de très mûrs conseillers ; il lui demanda de mettre tout cela en ordre et de lui rédiger un discours qui fût en situation : ce que fit volontiers notre président.
Le jour de la séance arriva. Le roi entra au Parlement :
M. d’Argenson et moi, dit le président Hénault, nous nous étions mis à côté l’un de l’autre, fort curieux de savoir si le cardinal aurait fait usage de mon travail, si le garde des sceaux (d’ArmenonvilIe) aurait consenti à adopter un discours qu’il n’avait pas composé ; enfin si M. le premier président (de Mesme) en aurait fait autant. Jamais, que l’on me pardonne ce petit mouvement de vanité ! jamais je n’aurai eu un plaisir plus vif que de m’entendre réciter mot pour mot. Ce qui augmente le mérite de l’ensemble de ces discours, c’est la variété des tons qu’il a fallu prendre.
Et en effet, lit-on dans les Mémoires de Maurepas, « il fallait que le roi et le duc d’Orléans parlassent avec dignité de la Régence et des prérogatives du Gouvernement ; il fallait, d’un autre côté, que le premier président observât le ton accoutumé et les principes de sa compagnie. Hénault imita tous les tons. » On remarqua même que le discours du garde des sceaux eut quelque chose d’impératif ; et à un moment, le ton du premier président, en revanche, eut un accent qui se ressentait de l’opposition de la veille ou qui promettait celle du lendemain. Hénault, sur son siège, pouvait sourire et jouir à bon droit du succès de sa pièce : elle avait mieux réussi cette fois que Cornélie, et les acteurs étaient de première qualité.
Il fut assez coutumier du fait, et ce n’est pas la seule cérémonie dont il ait fait les frais et dont il ait écrit les doubles rôles. Il fut reçu à l’Académie française cette même année (1723), et il y succéda au cardinal Dubois. Il fit un discours tout à la louange de ce dernier, comme on le pense bien ; mais il lui arriva un accident dans l’intervalle de l’élection à la réception : le Régent mourut subitement le 2 décembre ; il lui fallut donc faire une autre harangue (cela se voit quelquefois), « parce que, dit-il fort sensément, ce qu’il convenait de dire sous le Régent n’était plus de saison sous M. le duc, qui lui succéda. » Tout cela n’est rien, et une harangue aussi courte qu’on les faisait alors se refait aisément en huit jours. Ce qui est plus piquant, c’est que M. de Morville, son ami intime et devenu ministre des Affaires étrangères à la place du cardinal Dubois, ayant été choisi par l’Académie française, dont il était membre, pour le recevoir, n’eut pas le temps d’écrire son Discours et demanda au récipiendaire de le lui composer ; ce que fit volontiers Hénault, se donnant le plaisir de se célébrer lui-même par la bouche de son ami. En effet, dans le Discours de M. de Morville, nous lisons, et les assistants purent entendre ces paroles :
Il y a longtemps, monsieur, que votre amour pour les lettres est célèbre dans cette compagnie ; les applaudissements que vous y recevez aujourd’hui ne vous sont pas inconnus ; vous y devez être accoutumé, et vous les avez obtenus dans un âge auquel on ferait un mérite d’en concevoir l’espérance. Tant de talents soutenus ou plutôt rendus utiles par des qualités plus précieuses encore, par la douceur de vos mœurs, par la sûreté de votre commerce, par la conciliation que vous apportez aux affaires, par la pénétration aussi vive que réfléchie dont vous les démêlez, par l’attention que vous avez et qui est si nécessaire, en persuadant les autres, de leur laisser croire que vous ne pensez que d’après eux ; enfin par tout ce qui réconcilie les hommes de mérite avec ceux qui pourraient en être jaloux : voilà ce qui fait souhaiter de vous avoir pour confrère, et, si j’ose parler de moi, voilà ce qui rend votre amitié si désirable.
Et ce qui ne laisse pas d’être assez joli, le discours de M. de Morville eut beaucoup plus de succès que celui du président et l’effaça même dans l’opinion du jour. C’est ainsi qu’autrefois, étant au collège, Hénault avait fait une composition de vers latins pour son camarade et concurrent Chauvelin, qui se trouvait ce jour-là pris de migraine, et celui-ci avait été empereur comme on disait, ou premier de la classe. Hénault raconte tous ces dessous de cartes en se jouant, et comme un homme qui tient plus à être dans le secret de la coulisse et à manier les ficelles qu’à obtenir le renom public et la gloire.
Nous avons vu de nos jours de ces hommes d’esprit, témoins de tout, consultés sur tout, qui faisaient au besoin les mots spirituels des grands jours et des circonstances d’apparat ; qui écrivaient sous main les discours, les déclarations solennelles, et quelquefois rédigeaient des chartes : ces hommes-là ont trop vu, trop regardé la tapisserie par l’envers ; ils ne prennent les choses ni les personnages bien au sérieux, et ne s’y prennent pas trop eux-mêmes ; éclairés d’ailleurs, serviables, indulgents, d’un amour-propre aussi commode que d’autres l’ont ombrageux et cruel. Tel était un peu le président Hénault, dont la plume ainsi fut mainte fois employée par les ministres ses bons amis.
Son Nouvel Abrégé chronologique de l’histoire de France parut pour la première fois en 1744, et, grâce à la position sociale de l’auteur, obtint à l’instant beaucoup de succès et un succès mérité :
Hénault, fameux par vos soupésEt par votre chronologie, etc.,
a dit Voltaire par un mot qui résume tout, et qui insinue le correctif dans la louange ; il a dit autre part du président en des termes tout flatteurs : « Il a été dans l’histoire ce que Fontenelle a été dans la philosophie ; il l’a rendue familière. » Il faut bien, au reste, se garder de prendre à la lettre tous les éloges que Voltaire donne au président en ces années où il croyait avoir besoin de lui en Cour, le président étant devenu surintendant de la maison de la reine ; il ne l’appelle pas seulement un homme charmant, à qui il dit : « Vous êtes aimé comme Louis XV » ; il le déclare son maître, « le seul homme qui ait appris aux Français leur histoire », et qui y a trouvé encore le secret de plaire. Plus tard on a voulu faire payer ces excès d’éloges en refusant tout au président. On a dit que c’était l’abbé Boudot, de la Bibliothèque du roi, qui lui avait préparé cet ouvrage et qui en avait rassemblé les matériaux. Le président Hénault, qui prêtait volontiers aux autres, n’a jamais été homme à s’approprier le travail d’autrui ; il s’est fait aider de l’abbé Boudot et l’en a bien récompensé sans doute : mais ce qui distingue son utile volume, c’est le cachet qu’il y a mis. On y cherche une date, qu’on y trouve, et on y trouve de plus une idée, un fait, un trait : en un mot, il ne se peut de table des matières en histoire dressée avec plus d’esprit et d’agrément, ni avec plus de lumières. Pour ne rien excéder, n’en disons pas un mot de plus.
La lecture du théâtre de Shakespeare, qu’on traduisait alors, donna au président l’idée d’un Nouveau Théâtre français, et de pièces historiques où se retraceraient en dialogues animés les principaux événements de nos annales : c’était une idée, et le président n’en manquait pas. Ce qui lui manquait, c’était le travail qui creuse, l’attention qui concentre, c’était la puissance de talent qui réalise :
Tout rappelle à notre esprit, disait-il dans la préface de son François II, les objets où il se plaît davantage ; et comme je m’occupe assez volontiers de l’histoire, je n’ai presque vu que cela dans Shakespearei… En voyant la tragédie de Henri VI, j’eus de la curiosité de rapprendre dans cette pièce tout l’historique de la vie de ce prince, mêlée de révolutions si contraires l’une à l’autre et si subites qu’on les confond presque toujours, malgré qu’on en ait… Et tout à coup, oubliant que je lisais une tragédie, et Shakespeare lui-même aidant à mon erreur par l’extrême différence qu’il y a de sa pièce à une tragédie, je me suis cru avec un historien, et je me suis dit : Pourquoi notre histoire n’est-elle pas écrite ainsi ? et comment cette pensée n’est-elle venue à personne ?
Mais, dans son François II, l’exécution manque, et l’on se dit avec Mme Du Deffand écrivant à Horace Walpole : « Vous avez dû recevoir le François II du président. La préface m’en avait plu, j’ai voulu lire la pièce : le livre m’est tombé des mains. La curiosité m’a prise de lire votre Shakespeare : je lus hier Othello ; je viens de lire Henri VI. Je ne puis vous exprimer quel effet m’ont fait ces pièces… » Voltaire eut toute une discussion avec le président au sujet de ce François II : « Je voudrais que, quand il se portera bien, disait-il, et qu’il n’aura rien à faire, il remaniât un peu cet ouvrage, qu’il pressât le dialogue, qu’il y jetât plus de terreur et de pitié, etc. » Bons conseils à suivre lorsque le démon intérieur s’en mêle. Moyennant toutes ces conditions, et « un peu de cette hardiesse et de cette liberté anglaise qui nous manque », Voltaire promettait au François II de valoir mieux que toutes les pièces de Shakespeare : c’était là une pure gaieté.
Le président Hénault n’était pas de force à remplir de tels cadres ; il se plaisait pourtant à les concevoir, à les proposer aux autres, et on doit lui en savoir gré :
Il se plaît à démêler dans toutes sortes de genres, a dit Mme Du Deffand, les beautés et les finesses qui échappent au commun du monde ; la chaleur avec laquelle il les fait valoir fait quelquefois penser qu’il les préfère à ce qui est universellement trouvé beau ; mais ce ne sont point des préférences qu’il accorde, ce sont des découvertes qu’il fait, qui flattent la délicatesse de son goût et qui exercent la finesse de son esprit.
En un mot, par une certaine liberté de goût et un dégagement de pensée, le président Hénault tenait à quelques égards de l’école littéraire de Fontenelle plus que de celle de Voltaire et de Despréaux : il y avait des commencements de novateur dans cet amateur.
Les Mémoires de sa façon, qu’on vient de publier, ont l’inconvénient même de sa vie ; ils sont épars et décousus. Il les a commencés tard, dans sa vieillesse, vers 1763 ; il y suit peu l’ordre chronologique, et, à propos de chaque personne qu’il rencontre, il se laisse aller volontiers à en tout dire, ce qui le force à revenir sans cesse sur ses pas. Il parle de lui, au début, en termes modestes, et qui sont faits pour être agréés :
Je n’ai point joué de rôle, dit-il, mais j’ai souvent été témoin. J’ai eu de bonne heure assez d’amis, et beaucoup de connaissances ; et le hasard a fait que ces amis et connaissances ont occupé dans la suite les plus grandes places : en sorte que, pour le dire en passant, je me suis toujours trouvé, par ce même hasard, dans l’intimité avec les hommes les plus considérables de mon temps, ce qui a pu faire dire et ce qui a fait dire en effet que je recherchais la faveur. On aurait pu se contenter de remarquer, si on avait voulu, que j’avais fait d’assez bons choix dans ma jeunesse. Ce que j’atteste, c’est que je n’ai jamais fait de mal à personne ; que le peu de crédit que j’avais n’a jamais, par ma volonté, tourné à mon profit ; que je ne l’ai employé qu’au profit de mes parents, de mes amis et de mes connaissances ; et que je n’ai pas laissé de rendre de grands services, dont on s’est souvenu, — si l’on a voulu. J’ai beaucoup désiré de plaire, et l’on m’en a encore fait le reproche : c’était tout au plus un ridicule par le peu de succès ; mais le principe n’en est peut-être pas criminel…
Le ton est en général indulgent ; il y revient avec complaisance sur les diverses sociétés où il a vécu, et il fait quelques portraits de femmes qui ne sont, en général, que des esquisses ; mais il en est d’une touche agréable. Je recommande entre autres les pages sur Mme de Flamarens. Littérairement, il a parlé de Fontenelle avec étendue et prédilection ; de La Motte, il a dit à merveille :
Il a traité de presque tous les genres de belles-lettres, tragédie, comédie, églogue, poème, fable, chanson, dissertation critique, etc. Ç’a été sans doute un bel esprit ; de ses poésies, ses opéras resteront, et surtout ses ballets ; de ses fables, l’invention plaira toujours à l’esprit ; il a quelquefois attrapé le naturel, jamais le naïf. On ne saurait dire ce qui manque à sa prose : elle est pure, harmonieuse, exacte, mais elle n’invite point à continuer…
Marié et veuf d’assez bonne heure, le président ne se remaria point ; il donne à sa femme, Mlle de Montargis, des regrets qui peignent assez bien le mélange de ses sentiments : « Et d’ailleurs, dit-il, où aurais-je jamais retrouvé une femme telle que celle que je venais de perdre ? douce, simple, m’aimant uniquement, crédule sur ma conduite qui était un peu irrégulière, mais dont la crédulité était aidée par le soin extrême que je prenais à l’entretenir, et par l’amitié tendre et véritable que je lui portais. » Mme Du Deffand est très bien traitée dans ces Mémoires, et s’y montre presque sans ombre, sous ses premières et charmantes couleurs ; mais la personne évidemment que le président a le plus aimée est Mme de Castelmoron, « qui a été pendant quarante ans, dit-il, l’objet principal de sa vie. » La page qui lui est consacrée est dictée par le cœur ; il y règne un ton d’affection profonde, et même d’affection pure : « Tout est fini pour moi, écrit le vieillard après nous avoir fait assister à la mort de cette amie ; il ne me reste plus qu’à mourir. » On raconte que dans les derniers instants de la vie du président et lorsqu’il n’avait plus bien sa tête, Mme Du Deffand, qui était dans sa chambre avec quelques amis, lui demanda, pour le tirer de son assoupissement, s’il se souvenait de Mme de Castelmoron :
Ce nom réveilla le président, qui répondit qu’il se la rappelait fort bien. Elle lui demanda ensuite s’il l’avait plus aimée que Mme Du Deffand ? Quelle différence ! s’écria le pauvre moribond. Et puis il se mit à faire le panégyrique de Mme de Castelmoron, et toujours en comparant ses excellentes qualités aux vices de Mme Du Deffand. Ce radotage dura une demi-heure en présence de tout le monde, sans qu’il fût possible à Mme Du Deffand de faire taire son panégyriste ou de le faire changer de conversation. Ce fut le chant du cygne…
C’est Grimm qui vient de parler si méchamment. Ceux qui voudront ajouter foi à un récit qui fut sans doute inventé ou tout au moins brodé par la malignité, pourront y trouver une confirmation dans ces Mémoires, par la manière tout exaltée et tendre dont il est parlé de Mme de Castelmoron : cependant ils n’y trouveront que bien peu de chose sur les défauts de Mme Du Deffand qui sont l’autre moitié de la scène.
Vers l’âge de cinquante ans (1735), le président fit une maladie grave, et Mme de Castelmoron en profita pour déterminer sa conversion ou tout au moins sa résipiscence ; il fit une confession générale et prit dès lors le parti de la dévotion qu’il soutint assez bien, et où il se fortifia dans les dernières années. De quelle nature fut, dans le principe, cette religion du président Hénault ? Il ne faudrait peut-être pas trop l’approfondir. Je n’oserais répondre qu’un peu d’épicuréisme bien entendu ne s’y soit point glissé à l’origine. Je croirais volontiers qu’il a pu se dire tout bas que, chimère pour chimère, celle qui laisse l’espérance, et n’est point sujette à être détrompée, est encore la meilleure qu’on ait à choisir et à cultiver en vieillissant. Les malins et satiriques dirent dans ce temps-là, en faisant allusion à son goût pour la faveur : « Vous verrez qu’il a pris le bon Dieu pour un homme en place. » — Il aurait prêté à ce mot, si lui-même, comme on l’assure, il avait dit plus gaiement qu’il ne convient, en parlant de la confession générale qu’il fit alors et qui dura longtemps : « On n’est jamais plus riche que lorsqu’on déménage. » Toutefois, les impressions premières qu’il avait anciennement reçues dans l’Oratoire, la compagnie de la pieuse reine Marie Leczinska dont il était devenu le surintendant, et, on peut dire, l’ami, et qu’il comparait un peu magnifiquement à la grande reine Blanche, une certaine disposition affectueuse et plus sensible qu’on ne suppose, qui lui faisait rechercher les consolations au-delà de la vie, tout contribua, en définitive, à lui donner, dans son retour, une sincérité selon sa nature et digne de respect. Un jour, âgé de quatre-vingts ans, il écrivit à Voltaire une lettre fort belle de sens et d’intention ; il venait de lire une des facéties irréligieuses que ce versatile génie avait publiées sous le nom d’un abbé Bazin, et où il sapait à plaisir toutes sortes de choses respectables. Le président écrivit donc à Voltaire, et après avoir loué en lui avec effusion le talent sérieux, éloquent, le pathétique auteur d’Adélaïde du Guesclin et de Tancrède, il ajoutait ceci à l’adresse du soi-disant abbé Bazin :
Je ne suis point théologien, ainsi je ne m’aviserai pas de lui répondre (à cet abbé Bazin) ; mais je suis homme et je m’intéresse à l’humanité. Je trouve, je vous l’avoue, une barbarie insigne dans ces sortes d’ouvrages. Que lui a fait ce malheureux qui vient de perdre son bien, dont la femme vertueuse vient de mourir, suivie d’un fils unique qui donnait les plus grandes espérances ? Que va-t-il devenir ? Il avait le secours de la religion, il pouvait se sauver dans les bras de l’espérance, et attendre de la Providence, qui avait permis ce concours de malheurs pour éprouver sa conslance, de l’en dédommager par le bonheur à venir. Point du tout, M. l’abbé Bazin lui ravit cette ressource, et lui ordonne d’aller se noyer ; car il n’a pas d’autre chose à faire… Ah ! du moins la religion des païens avait-elle des ressources : Pandore leur avait laissé une boîte au fond de laquelle était l’espérance ; elle était cachée sous tous les maux, comme si elle était réservée pour en être la réparation ; et nous autres, plus barbares mille fois, nous anéantissons tout ; nous n’avons conservé que les malheurs ; nous détruisons toute spiritualité… Adieu, mon cher confrère ; Dieu vous fasse la grâce de couronner tous les dons dont il vous a comblé, par une vérilable gloire qui n’aura point de fin !…
Sans doute Voltaire data du jour où il avait reçu cette lettre l’affaiblissement de tête du président, et quand celui-ci fut mort (24 novembre 1770), il écrivit à Mme Du Deffand, moins d’un mois après :
Je m’en étais douté il y a trente ans, que son âme n’était que molle, et point du tout sensible ; qu’il concentrait tout dans sa petite vanité ; qu’il avait l’esprit faible et le cœur dur ; qu’il était content pourvu que la reine trouvât son style meilleur que celui de Moncrif, et que deux femmes se le disputassent ; mais je ne le disais à personne. Je ne disais pas même que ses Étreintes mignonnes (l’Abrégé chronologique) ont été commencées par Dumolard et faites par l’abbé Boudot. Je reprends toutes les louanges que je lui ai données :
Je chante la palinodie ;Sage Du Deffand, je renieVotre président et le mien.À tout le monde il voulait plaire ;Mais ce charlatan n’aimait rien ;De plus, il disait son bréviaire.
Dans ce dernier mot est tout le secret de cette colère et de cette grande vengeance. Le président Hénault n’appartenait point au parti, et semblait même avoir donné des gages au parti contraire34.
Les Mémoires du président nous le présentent sous un jour favorable avec ses meilleures qualités sociales, et quoiqu’ils n’aient pas tout l’intérêt qu’on en aurait pu attendre, ils serviraient aujourd’hui sa réputation, ils la rajeuniraient aux yeux de tous, s’ils avaient été publiés comme ils auraient pu l’être. Ici, j’ai un devoir pénible et désagréable à remplir, mais je ne puis l’éluder. S’il n’y avait dans l’édition à laquelle est attaché le nom d’un arrière-neveu de l’auteur que des inexactitudes légères, en si grand nombre qu’elles fussent, j’aimerais à les passer sous silence : malheureusement toute la partie historique en est atteinte et compromise, ainsi qu’on va en juger. Dès l’abord je remarque que les noms propres sont défigurés étrangement. Tous les gens du métier savent que le livre intitulé Bolaeana a été écrit par de Losme de Monchesnay ; à la page 3 des Mémoires, ce Monchesnay s’appelle Moncheux. Que le janséniste Fouillou y soit appelé Fouillon (p. 42) ; que le cardinal de Bonzi y soit appelé Bouzi (p. 48) ; que M. d’Ormesson, le célèbre rapporteur dans le procès de Fouquet, y soit changé en Darmesson (p. 272) ; qu’on lise, à côté du nom de Choiseul, Stainville pour Slainville (p. 214) ; que M. Klinglin, le préteur de Strasbourg, y devienne Glinglin (p. 157), etc., etc., ce sont des inexactitudes qu’à la rigueur un lecteur instruit peut rectifier : voici qui est plus grave. Strasbourg porte malheur à l’éditeur. On sait que le grand Frédéric, à peine monté sur le trône, voulut voir la France et fit une pointe incognito à Strasbourg, où il fut reçu par le maréchal de Broglie. Ce maréchal si connu est devenu ici le maréchal du Bourgck (p. 176), ce qui est par trop méconnaissable.
Ce ne sont là encore que des bagatelles. On sait que dans les dernières années de Louis XIV, à l’instant le plus critique de la guerre de la succession (1709), le duc d’Orléans noua en Espagne une intrigue politique restée assez obscure, et qu’un homme de sa confiance, Flotte, fut arrêté porteur de papiers. Dans les Mémoires actuels on fait dire au président Hénault voulant justifier le duc d’Orléans à ce sujet (p. 64) : « Qu’est-ce que cette affaire de flotte arrêtée en Espagne ? » Comme s’il s’agissait de vaisseaux et non d’un homme.
Le président Hénault ne fait pas autant de cas de M. de Machault qu’on le paraît faire volontiers depuis quelque temps ; peu importe ! il raconte que M. de Machault dut quitter à un certain moment les finances où il avait soulevé trop d’opposition, et qu’après lui le contrôle général fut donné… à qui ?… ouvrez un livre d’histoire ou l’Almanach royal, et vous verrez qu’à cette date de 1754 celui qui succéda à M. de Machault fut M. de Séchelles. Or, dans les Mémoires du président tels qu’on nous les donne il est dit (p. 203) : « Le contrôle général fut donné à M. de Suselly, si connu par ses grands talents et par etc., etc. » Suit tout un portrait de ce nouveau personnage historique, M. de Suselly, auquel s’entremêle bizarrement et d’une manière inintelligible le nom de M. de Séchelles (p. 204) comme d’un personnage distinct, lorsque ce dernier nom est plus lisible sur le manuscrit.
Ce n’est pas tout. Le président Hénault, qui se répète assez souvent, recommence à un autre endroit cette histoire de M. de Séchelles : à ce second endroit, le nom est bien lu (p. 239), il s’agit bien de M. de Séchelles, mais en revanche le nom de M. de Machault devient sujet à bévue, et M. de Séchelles y est présenté comme ayant succédé à un contrôleur général qu’on appelle M. de Marchand. M. de Séchelles avait pour gendre M. de Moras qui fut ministre également : dans ces Mémoires on y ajoute ce détail singulier (p. 204), que M. de Suselly a pour gendre un M. de Maras. C’est à n’en plus finir. Avec des éditions semblables, on crée des ministres comme des maréchaux de France, à volonté.
Il est question (p. 234) d’un mémorable édit du chancelier d’Aguesseau, dont la date est mal donnée, et qui place son auteur « à côté de Gonnelieu, de L’Hôpital. » Probablement il faut lire, au lieu de ce Gonnelieu qui est encore un ministre d’une création toute nouvelle. « à côté du chancelier de L’Hôpital. »
Frédéric donne un grand développement à l’Académie de Berlin : Euler quitte Pétersbourg pour y venir ; on lit dans les présents Mémoires (p. 216) : « M. Jouvriges, depuis grand chancelier, est secrétaire perpétuel de l’Académie, et M. Fermey (en est) l’historiographe. » Tout le monde connaît de nom M. Formey et non Fermey, nous connaissons moins, mais pourtant nous ne pouvons ignorer le jurisconsulte Des Jariges (et non Jouvriges), qui fut d’ailleurs grand chancelier et célèbre dans son pays. — Encore un ministre créé par un caprice d’imprimeur.
Je laisse les noms propres, et j’en viens à des fautes d’un autre genre dont il est besoin d’être averti. En voici une qui saute aux yeux et qui n’est qu’embarrassante. Il est question (p. 24) du comte de Verdun « dont la fille, dit-on, avait épousé la fille aînée du maréchal de Tallard. » Je serais dans une grande inquiétude et perplexité pour savoir, dans ce mariage, qui des deux était la fille ou le garçon, si Saint-Simon ne nous disait : « Le maréchal de Tallard s’en alla en Forez marier son fils aîné à la fille unique de Verdun, très riche héritière. »
Le cardinal de Bouillon, qui a mécontenté Louis XIV, reçoit l’ordre de quitter Rome et d’aller en exil dans une de ses abbayes ; mais s’il quitte Rome, où le doyen des cardinaux se meurt, il court risque de ne pas devenir doyen du Sacré-Collège à son tour ; car il faut être à Rome pour succéder : « On peut juger de l’embarras du cardinal de Bouillon, entre l’exil et le décanat. » Ici on lit (p. 17) la même phrase avec cette différence : « … outre l’exil et le décanat », ce qui n’a aucun sens.
Rien n’est plus français que le vaudeville, c’est-à-dire la chanson gaie ou maligne. Le président Hénault, parlant du maréchal de Belle-Isle, son ami, remarque qu’il n’a pas échappé plus qu’un autre au vaudeville, à la chanson, et il ajoute quelques réflexions sur ce genre de raillerie à la française (p. 270) : « Quand ce petit poème, dit-il, est porté à la licence et peut déchirer les réputations, surtout par rapport aux mœurs, il ne saurait être trop détesté… Le vaudeville qui n’est que gai n’a pas grand danger ; cependant, etc. » Cela paraît tout simple ; mais il m’a fallu deviner, car dans les Mémoires, on lit : « Le vaudeville qui n’est que coi n’a pas grand danger. » Coi au lieu de gai !
C’est sans doute à une faute de ce genre qu’il faut attribuer cet étrange passage sur l’abbé de Bernis à ses débuts, « qui continuait, dit-on (p. 209), à faire des vers quelquefois obscènes, et toujours trop abondants… » Je suis persuadé, d’après le courant de la phrase et du sens, qu’au lieu de ce vilain mot, que ne justifient point les poésies légères de l’abbé de Bernis, il faut lire un tout autre mot plus simple, et par exemple : « Des vers quelquefois agréables, et toujours trop abondants. »
Dans l’histoire des troubles du Parlement, il y a un exil et un retour qui sont racontés par le président avec assez d’intérêt. On avait établi une chambre royale pendant cet exil ; mais cette chambre royale, peu soutenue par le gouvernement même, manqua son effet, et la considération, et par conséquent la prétention du Parlement, s’augmenta du discrédit même de la chambre qu’on avait voulu lui substituer. Or, on lit (p. 207), au rebours du sens : « La modération du Parlement augmenta du discrédit de la chambre royale. » C’est le contraire.
Je ne suis pas au bout de ma liste35 : c’en est plus qu’assez, ce me semble, pour prémunir le public, et aussi pour avertir l’éditeur de vouloir bien, après révision, après collation totale de l’imprimé avec le manuscrit, ajouter au plus vite un ample Errata, accompagné de quelques cartons, à un ouvrage qui, dans son état actuel, fourmille d’erreurs, et est certes le moins digne d’un homme comme le président Hénault, qui a consacré la meilleure part de ses loisirs à étudier l’histoire et à en répandre des notions exactes.
Lorsqu’on aura réparé de si incroyables négligences, ces Mémoires pourront réellement justifier ce qui est dit dans l’avant-propos, être lus avec agrément et profit, et répondre au désir de l’arrière-neveu de l’auteur, qui a été, dit-il, « d’ajouter quelques feuillets aux diverses collections qui enrichissent l’histoire de la société française36. »