(1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »
/ 1816
(1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

M. Edgar Quinet
L’Enchanteur Merlin

I

Tout le monde le sait, M. Edgar Quinet fait dans l’épopée. Si ce n’est pas un poète épique, ni même un poète du tout par le résultat, c’est un travailleur en épopée, infortuné, mais acharné, du moins… On fait ce qu’on peut. M. Quinet a toujours cru pouvoir beaucoup. Il n’a jamais pris pour lui le mot insolent et cruel, trop accepté, comme tant de mots : « Les Français n’ont pas la tête épique. » Lui, il a toujours cru qu’il l’avait. Il est vrai que d’esprit, M. Quinet n’est pas Français. C’est un Allemand, né en France, dont l’érudition est allemande, la science allemande, et qui a la naïveté allemande de croire nous donner des poèmes épiques en français. Je n’outre rien sur M. Quinet. Dans son livre d’aujourd’hui qui, malgré la prose, est un poème dans la pensée de son auteur, et un poème où, comme dans Childe-Harold (car M. Quinet fait toujours toutes choses comme quelqu’un), la personnalité de l’auteur se mêle souvent à celle du héros, je trouve ces lignes parfaitement nettes sous leur emphase :

« D’autres peut-être seront loués plus que moi dans leurs pièces détachées. Leur versification sera plus applaudie. D’autres encore remporteront le prix de la chanson et de l’ode, quoique moi aussi j’aie frappé quelquefois à la porte des hymnes, fermée depuis le bon Pindare. Mais difficilement me refusera-t-on l’honneur d’avoir abordé les grands sujets, composé de vastes ensembles, suivi le fil des immenses labyrinthes, porté le fardeau des hardies inventions, en un mot, tenté les voies qui demandent non pas un essor pindarique d’un moment, mais une aile infatigable pour parcourir, sans se lasser, le champ de l’épopée. »

(Voir tome II, pages 327 et 328.)

Telles sont les prétentions de M. Quinet. J’aurais peut-être, pour mon compte, hésité à l’en accuser, mais c’est lui-même qui les avoue. C’est là sa pensée et c’est là son histoire. Vous vous en souvenez, il a débuté, en littérature, par son gros livre d’Ahasverus, dans un temps où jeunes de toute manière, hélas ! c’est-à-dire sans expérience et pleins d’illusions, nous étions indulgents à toute espèce de livres, pour peu qu’ils ne fussent pas dans la tradition du xviie  siècle ! Ahasverus voulait être une épopée en prose, comme Merlin l’Enchanteur ; tirée des légendes, comme Merlin, et sous la forme légendaire et poétique, cachant, comme Merlin, une philosophie, laquelle est encore celle de Merlin ! Excepté le talent, qui a subi l’action du temps, non son action féconde, mais son action funeste, excepté le talent, je ne vois dans Merlin l’Enchanteur, au bout de trente ans d’intervalle, qu’une redite de l’Ahasverus ! C’est bien la peine d’avoir vécu trente ans ! Il est vrai que M. Edgar Quinet a fait, pendant ce temps, autre chose que Merlin. Il a fait un poème sur Napoléon. Il s’est un instant reposé de l’éjaculation des Épopées, dont il est le volcan, en nous racontant l’histoire des Épopées françaises qui n’étaient pas les siennes. C’était modeste ! Puis, il a été professeur, historien, représentant du peuple et colonel d’une légion dans la garde nationale de Paris. Et qui sait ?… c’est peut-être parce qu’il n’est plus tout cela que, de loisir forcé, cet homme, fait pour les grandes besognes, et de prétention épique dans l’action comme dans la pensée, nous a donné ce ruminement d’Ahasverus, L’Enchanteur Merlin !

Et si ce n’était qu’en matière d’idées que Merlin fût un ruminement, je ne m’en étonnerais pas, car les têtes toutes-puissantes qui renouvellent leur inventaire intellectuel et aient plus d’une source d’inspiration à leur service, le nombre en est infiniment restreint parmi les poètes, même parmi ceux que le monde appelle les plus grands. La plupart, sinon tous (et je ne vois guère que Shakespeare qu’on puisse excepter), n’ont presque jamais eu dans l’esprit qu’un seul sujet qu’ils reprennent, retournent, renouvellent et transforment ; préoccupation qui n’est qu’un esclavage sublime, thème incommutable, posé par Dieu dans leur pensée, et sur lequel ils sont condamnés, pour toute gloire et pour tout génie, à faire d’éternelles variations ! Malheureusement ce sont ces variations qui manquent dans Merlin au vieux sujet d’Ahasverus. Ahasverus ou Merlin ! Peu importe que le fond de ces deux ouvrages soit, sous deux noms différents, le même prétexte ou le même procédé pour nous faire voir le monde merveilleux ou historique des légendes et nous réverbérer, en le concentrant dans notre âme, ce prodigieux panorama ; mais il importe fort pour le mérite du poète et son progrès, pour l’intérêt et pour l’émotion du lecteur, que la forme et la manière de l’un ne soient pas par trop identiquement la forme et la manière de l’autre !

Or c’est là ce qui est arrivé. Si au moins, se dit-on, sous le coup de cette identité de manière, M. Quinet avait écrit Merlin en vers ; par cela seul, Merlin eut été autre chose qu’Ahasverus. Mais depuis la tentative de Napoléon, M. Quinet n’a pas osé revenir au vers. Ce jour-là, et sur un sujet qui n’a eu que ses Pindares d’un moment, comme dit orgueilleusement M. Quinet, mais qui attend toujours son poète épique, M. Quinet, qui croyait l’être, eut l’audace du vers, mais il n’en eut pas la réussite. Il se brisa à plat contre cette langue difficile à manier, quand on n’est pas un poète dans toute la force du mot, et M. Quinet apprit ainsi qu’il ne l’était pas. Certes, je ne doute point que ce n’ait été là pour lui un étonnement douloureux. Je ne doute pas qu’il n’ait été bien triste pour lui de renoncer au vers, dans le dernier efforcement de sa maturité, pour se délivrer de cette épopée dont il est toujours gros. Car, s’il n’est pas un poète, cet épique M. Quinet, il a en lui des fragments, des tronçons de poète. Il n’est pas complet, il n’est pas achevé. Avant d’être terminé, il a ennuyé la Nature qui l’a laissé là ; mais il était commencé en poète. C’est une création interrompue. Ça et là, on reconnaît en lui des moitiés de puissance poétique. Je veux être juste. Poétiquement, il n’est pas tout à fait stérile ; même pour avorter, il faut concevoir, et, M. Quinet a la puissance des avortements !

II

Son livre d’aujourd’hui sera une preuve de plus de cette malheureuse puissance. À présent que le temps a marché, qu’Ahasverus s’est vidé, racorni et momifié dans sa poussière, à présent que la raison qui juge les œuvres, ou, du moins, s’inquiète de leur vraie et éternelle beauté, a remplacé, dans nos esprits, les entraînements plus sensibles qu’intelligents de nos jeunesses, demandons-nous ce que vaut cet Ahasverus, réveillé, sous le nom de Merlin, de son sommeil d’Épiménide ? Demandons-nous ce que c’est que cette épopée, faite, comme M. Quinet fait les siennes, dans une prose poétique qui est au vers ce que le bois des Vosges est au marbre, et qui se console des vers qui lui sont impossibles, en regardant la prose de Rabelais ou celle de Chateaubriand (dans Les Martyrs). Pernicieux grands artistes qui ont parfois fait croire, avec leurs faux poèmes et leur talent sincère, qu’il pouvait y avoir des poèmes et de la poésie, sans des vers !

Et d’abord c’est, comme invention, le plus incroyablement naïf et le plus monstrueux abus de mémoire dont se soit jamais rendu coupable un homme qui veut qu’on croie à son originalité. Dans cette épopée dont l’enchanteur Merlin est le héros, il n’y a pas que de l’Ahasverus. Un homme ne se vole pas soi-même. Seulement, en se prenant, il ne s’enrichit pas ! Il y a de toutes les épopées et de tous les poëmes connus dans L’Enchanteur Merlin, si bien qu’à mesure qu’on lit les vingt-quatre chants ou livres de M. Quinet, au lieu de trouver une inspiration personnelle, un fond de choses vierge, comme on est en droit de l’exiger de tout homme qui se donne les grands airs d’une épopée, on est assailli des plus importunes et, que dis-je ? des plus insupportables réminiscences !

On trouve, ou plutôt on retrouve partout devant soi de l’Homère, du Dante, du Rabelais, de l’Arioste, du Byron, du Cervantes, du Goldsmith, etc., mais ce qu’il y a de ces hommes de génie n’y est reconnaissable que pour faire lumière à la stérilité foncière de ce singulier poète, qui s’imagine inventer peut-être, quand il ne fait que se souvenir ! Merlin est un pèlerin qui se promène à travers le monde, comme Ulysse, Pantagruel, Childe-Harold, Don Juan, le Cosmopolite ; mais par cela même qu’il est un enchanteur, le grand intérêt humain, profond et varié des célèbres pèlerins d’Homère, de Rabelais, de Byron, de Goldsmith, ne peut pas exister pour le pèlerin de M. Quinet.

Par ses enchantements, par le mobilier de son merveilleux, par ses hippogriffes, ses oiseaux, ses fées, M. Quinet rappelle l’Arioste, mais l’Arioste avec cette fameuse tête qu’Ariel mit un jour sur les épaules de Puck, et qui, je crois bien, ne trouvera pas cette fois-ci de Titania ! Par le commencement de ses chants, il le rappelle encore, car M. Quinet ne craint pas d’y parler, en son propre et privé nom, à son lecteur, comme fait l’Arioste, et il s’y permet, avec un esprit à gros ventre, d’imiter les ondulations ravissantes de ce demi-Dieu de la grâce et de la fantaisie, moitié cygne et moitié serpent ! Par les allusions, par l’allégorie, par la guerre au temps présent, par ce bon Merlin qui joue à l’écho avec ce bon Pantagruel, M. Quinet est un Rabelais, mais un Rabelais contrefaçon, que le sérieux trahit, et qui n’apprendra jamais à rire. Par son Jacques Bonhomme, qu’il donne pour Sancho-Pança à Merlin transformé en Don Quichotte, nous glissons en Cervantes ; et enfin, nous tombons en plein dans le Dante, pèlerin aussi dans les trois vies, comme Merlin, et nous retournons, pour faire croire à la nôtre, la création de ce fier inventeur, en faisant, dans les limbes avant la vie, ce que Dante fait, lui, dans son triple monde d’expiation ou de récompense après la mort ! C’est un peu osé, comme vous le voyez, toutes ces réminiscences, mais que voulez-vous ? Voilà le génie de M. Quinet !

C’est un génie né de plusieurs pères, et qui, justement parce qu’il n’en faut qu’un, ressemble à trop de gens pour pouvoir ressembler jamais beaucoup à personne. Plagiaire involontaire, et caméléon qui s’ignore ; ruisselant, comme un homme qui sort de l’eau, des lectures que tout le monde a faites et que dans son livre on peut aisément suivre à la trace, ce génie, à personnalité incertaine et confuse, ne vivrait même pas de sa pauvre manière d’exister, si des autres n’avaient pas existé avant lui… En dehors des fabulations qu’ils ont fécondées ou ornées, je peux bien concevoir les autres poètes, épiques ou non, que M. Quinet nous rappelle et dont il nous renvoie, en les croisant ou en les brouillant, les rayons brisés. Mais lui, non ! Cela est souverainement impossible. Et non seulement cela l’est pour les traits généraux de sa physionomie de poète, mais cela l’est tout autant pour les détails spéciaux et particuliers de son poëme.

Dans cette succession d’événements qui osent tout, — le chimérique et l’absurde, sous prétexte de merveilleux, — on se demande vainement où finit la légende, fruit de l’imagination des poètes ou des chroniqueurs du passé, et où commence l’inspiration du poète moderne et son travail… Quel est le fait ou la combinaison, de quelque nature qu’ils soient, qui, réellement, lui appartiennent ? Quel est, dans le parcours de ces vingt-quatre chants qui ne chantent pas, le caractère ou la passion qu’il ait marquée de sa griffe de flamme créatrice et qui doive augmenter, d’une seule personnalité immortelle, le Décaméron de personnalités idéales, dues aux grands poètes de tous les temps ? Les personnages nécessaires et importants de ce long récit ne seraient pas nombreux, si, dans cette mêlée historique et panthéistique, tous les êtres ne devenaient pas personnages ; si tous les peuples de la terre, les oiseaux des airs, les fleurs des champs, ne parlaient pas et ne jouaient pas leur bout de rôle, au gré du poète.

Il n’y a guère, en somme, que Merlin l’Enchanteur, la fée Viviane, le serviteur Jacques Bonhomme et le Diable, père de Merlin, entre qui se concentre le drame. Les autres personnages humains, et non abstraits, comme les quelques femmes, par exemple, pour lesquelles le bon Merlin est infidèle à Viviane, Isoline, Marina, Dolorès, etc., sont épisodiques et de passage, pures enluminures extérieures, sans vie intime et même distincte. Eh bien ! Merlin, Viviane, Jacques Bonhomme et Satan, le trivial Satan, qui a roulé dans toutes les légendes, et au sombre diadème duquel M. Quinet n’était pas de force, comme M. de Vigny, à attacher un rayon oublié par Milton, sont des êtres surnaturels et symboliques, des généralités exsangues, aussi froides et aussi vides, aussi impersonnelles enfin, que si vous les nommiez la Sagesse, la Beauté, la Force physique, la Perversité.

Et l’action ?… l’action entre ces quatre personnages sans individualité et même sans humanité, l’action a-t-elle une individualité davantage ? A-t-elle une nouveauté quelconque ? L’enchanteur Merlin, on le connaît. C’est aussi une enluminure, une vieille carte à jouer, et qui a été beaucoup jouée, comme le roi de trèfle ou de pique. Avant de le mettre au tombeau de sa légende, dans lequel il recommence de vivre, après la mort, absolument comme il vivait, avant d’être dans le tombeau (par parenthèse une des plus grandes bêtises par impuissance de ce poëme d’impossibilités), M. Edgar Quinet, vous l’avez vu déjà, le fait promener à travers le monde, comme Ulysse, Childe-Harold, Don Juan, Don Quichotte, le Cosmopolite, et même son propre Ahasverus.

Non content de cette promenade à travers le monde, il le fait promener même en dehors de ce monde, comme le Dante, et de cette promenade éternelle, le but est de nous dérouler toute l’histoire, légendaire et poétique, du passé comme de l’avenir, car l’enchanteur Merlin, qui entre aux limbes, comme il entre partout, par la vertu de sa petite baguette de coudrier, n’a pas beaucoup de peine ni de mérite à nous prophétiser ce qui est de l’avenir pour lui, du temps du roi Arthur, et ce qui est du passé pour nous, Charlemagne, Hugues Capet, la Saint-Barthélemy, Louis XIV, la Révolution française, la tête coupée de Louis XVI, Robespierre et Napoléon. Cet énorme truc, qui est le fond même de toute l’épopée de M. Quinet, ne fera donc, comme ressource d’esprit ou d’art, illusion à personne. Je l’ai dit, mais il faut insister, puisque, pour une raison ou pour une autre, on vante une machine aussi grossière que ce poème, qui veut, à sa manière, être un Kosmos ! Seulement, ne vous y trompez pas, l’objet unique d’un pareil poème n’est pas de nous montrer, comme on pourrait le croire, dans un cadre colossal, les ombres chinoises ou les marionnettes historiques. Non ! M. Quinet n’est pas tout à fait aussi naïf, aussi innocent, aussi Perrault et Mme d’Aulnoy que cela !

Il y a encore autre chose… quelque chose de plus malin et de plus profond, mais non de plus nouveau que l’action de cette épopée puérile et rabâcheuse, et c’est sa signification philosophique, son enseignement, sous les marionnettes ; enfin son quatrième dessous ! M. Quinet, l’auteur de Merlin l’Enchanteur, a toujours, en sa qualité d’esprit allemand, été panthéiste ; son Dieu a toujours été « le Dieu inconnu du bon Merlin » qu’il appelle, ce bâtard d’un incube et d’une Sainte violée : « Le prophète des jours heureux dans les temps futurs », et c’est ce Dieu-là, dont le livre de M. Quinet voudrait faire aujourd’hui les affaires, sous couleur de poésie, de légende et d’histoire ! Le panthéisme avait son évangile pour les raisons fortes, mais M. Quinet a voulu qu’il eût aussi son apocalypse pour les imaginations ardentes ! Dans son épopée, burlesque sans gaieté et criminelle avec niaiserie, le bon Merlin, « qui n’a pas été éclipsé par la splendeur du Christ » (textuel), s’est donné pour mission de convertir Satan, son père, et de supprimer l’enfer ! Et il y parvient, dans le poëme de M. Quinet, ce qui, certes ! n’étonnera personne. Mais en risquant ce tableau final qu’il intitule : « Triomphe ! triomphe ! » et qu’il écrit lyriquement ainsi, le poète de Merlin l’Enchanteur reste toujours l’esclave de la répétition éternelle, la victime de cette mémoire, qui est son vautour. Seulement ce n’est plus ici le Dante qu’il répète ou reflète, c’est… Alexandre Soumet.

III

Ainsi vieilles visées, hérétiquement ineptes, vieux projets impies, vieux blasphèmes, voilà encore, par ce dernier côté, des redites à ce poëme de redites, qui les expie, du reste, par l’ennui qu’il exhale, — un ennui qu’on peut dire immense, allez, puisque M. Quinet aime l’immensité ! Il est incertain qu’on puisse faire littérairement plus mal que ce livre. Il est certain qu’on ne peut pas faire plus ennuyeux. Et ce n’est pas là un ennui relatif que j’éprouve, moi, et que vous n’éprouvez pas, parce que vous êtes autrement fait que moi. Non, c’est un ennui absolu, universel et irrésistible.

Et tenez ! comment en serait-il autrement ?… Épopée emphatique, auprès de laquelle La Pétréide de Thomas, redoutée de Gilbert, ne serait que la plus légère des étrennes mignonnes, conte de fées pataud et niais, satire sociale où le thyrse de Rabelais, avec lequel ce Bacchant du rire enivré savait frapper son temps, est remplacé par l’arme bourgeoise d’un Prudhomme socialiste en mauvaise humeur, qui donne des coups de parapluie à son époque ; enfin, pour achever le tout, l’amphigouri panthéistique dans sa splendeur, voilà l’œuvre de M. Quinet ! Ajoutez-y ce style que nous connaissons, ce style pompeux, sonore, gongorique, qui est aux autres styles célèbres contemporains ce que la grosse caisse est aux autres instruments, dans une musique militaire.

Lorsque de ce style, qui est son genre de prose, M. Quinet veut faire son genre de poésie, alors il arrive à des proportions de gongorisme, attendri et mouillé d’allemanderie, auquel il n’y a plus rien à comparer ! Au travers de ce style inouï qui fait abus des fleurs qui parlent et des oiseaux bleus, commissionnaires de l’Amour, il y a cependant quatre vers qui reviennent sans cesse, mêlés à la prose de M. Quinet, comme le Chœur dans la tragédie antique ; quatre vers, échappés du mirliton moderne,

L’amour commence,
Tout est divin !
Puis vient la fin,
Douleur immense !

lesquels prouvent bien, comme vous voyez, que dans ce tout-puissant xixe  siècle il naît et se combine des créatures si fortes, qu’elles peuvent réunir en elles, sans éclater, Pradon et Gongora…

L’amour commence,
Tout est divin !
Puis vient la fin,
Douleur immense !

Certes ! si, comme nous l’a dit M. Quinet, dans cette phrase que nous avons citée, « il a frappé parfois à la porte des Hymnes », il faut avouer qu’elles ne lui ont pas, à chaque fois, tiré le cordon !

IV

Mais il faut en finir. Telle est, en peu de mots sans doute, la bourde épique de M. Quinet ; l’œuvre, nous dit-il sérieusement, qui représente douze ans de sa vie ! Nous qui savons le prix du temps mieux que lui, nous n’en aurions pas tant parlé, si les lâchetés de l’amitié, des partis et de la camaraderie, n’étaient pas en train de lui arranger une gloire hypocrite et dont on ne pense pas un mot. Croira-t-on qu’à propos de cette interminable légende de Merlin, bonne pour faire dormir forcément les enfants trop éveillés, quand ils ne sont pas sages, on a parlé d’un Essai d’histoire idéale, qui doit féconder et transfigurer le champ épuisé de l’histoire réelle ? Que n’a-t-on pas dit ?…

Aussi enchanteur que son héros, M. Edgar Quinet a brouillé, avec son Merlin, jusqu’au sens droit, si net, si français, si moqueur, de M. Prévost-Paradol. Eh bien ! franchement, c’est là une influence contre laquelle l’honneur de la Critique est de réagir. Au moins, nous, nous réagirons dans la mesure de nos forces. Merlin l’Enchanteur n’enchantera pas notre critique, et M. Edgar Quinet ne sera pour nous que ce qu’il est aujourd’hui, — un homme qui a mis douze ans à faire un livre, mortellement ennuyeux, dans un genre faux, avec un talent faux et une poésie fausse ! Revenant d’Ahasverus, qui revient trop tard ! Nous aimons mieux vraiment, quel qu’il ait été, le monsieur Quinet de l’entre-deux d’Ahasverus et de Merlin. Nous aimons mieux l’historien, le professeur, l’archéologue, le critique, même le poète, infortuné en vers, et même le colonel de la garde nationale ; oui, littérairement, même le colonel !!