LEOPARDI, page 363.
Je disais que j’aurais aimé à mettre en regard des poésies si senties mais si funèbres de Leopardi, et qui serrent le cœur, quelques poésies naturelles et également vraies qui le dilatent et le consolent. Les poëtes anglais, tels que William Cowper, ou ceux qu’on a compris sous le nom de Lakistes, offrent à chaque page des pièces dans ce genre moral, familier, domestique, que j’aurais voulu voir se naturaliser en France, et que j’ai tout fait à mon heure pour y introduire. Voici une de ces moindres pièces imitée de Southey, et adressée à l’un de ses amis qu’il désigne sous le nom de William, et qui était athée comme le Wolmar de la Nouvelle Héloïse, ce qui m’a fait substituer ce dernier nom.
L’AUTOMNE.
imité de l’anglais, de southey.
Non, cher Wolmar, non pas ! Pour moi, l’année entière,Dans sa succession muable et régulière,Ne m’offre tour à tour que diverses beautés,Toutes en leur saison. — Au déclin des étés,Ce feuillage, là-bas, dont la frange étincelle,Et qui, plus jaunissant, rend la forêt plus belleQuand un soleil oblique y prolonge ses feux ;Tout ce voile enrichi ne présage à tes yeuxQue l’hiver, — l’hiver morne, aride. En ta penséeSe dresse tout d’abord son image glacée :Tu vois d’avance au loin les bois découronnés,Dans chaque arbre un squelette aux longs bras décharnés ;Plus de fleurs dont l’éclat au jour s’épanouisse ;Plus d’amoureux oiseaux dont le chant réjouisse ;La Nature au linceul épand un vaste effroi. —Pour toi quand tout est mort, ami, tout vit pour moi :Ce déclin que l’Automne étale avec richesseMe parle, à moi, d’un temps de fête et d’allégresse,Du meilleur des saints jours, — alors qu’heureux enfants,Sur les bancs de la classe, en nos vœux innocents,Les feuilles qui tombaient ne nous disaient encoreQue le très-doux Noël et sa prochaine aurore.Pour tout calendrier j’avais ma marque en bois ;Et là, comptant les jours recomptés tant de fois,Vite, chaque matin, j’y rayais la journée,Impatient d’atteindre à l’aube fortunée. —Pour toi, dans ses douceurs la mourante saisonN’est qu’un affreux emblème, et le dernier gazonTe rappelle celui de la tombe certaine,Durant ce long hiver où va la race humaine.Tu vois l’homme écrasé, débile, se traînantSous le faix, et pourtant à vivre s’acharnant ;Car cette vie est tout. Pour moi, ces douces pentesMe peignent le retour des natures contentes,L’heureux soir de la vie, — un esprit calme et sûrQui, pour la fin des ans, réserve un fruit plus mûr ;Dans un œil languissant je crois voir l’étincelle,Un céleste rayon d’espérance fidèle,La jeunesse du cœur et la paix du vieillard. —Tout, pour toi, dans ce monde est ténèbres, hasard :Un grand principe aveugle, un mouvement sans causeAnime tour à tour et détruit chaque chose ;Par tous les éléments, sous les eaux, dans les airs,Chaque être en tue un autre : ainsi vit l’Univers ;Et dans ce grand chaos, bien plus chaos lui-même,L’homme, insondable sphinx, ajoute son problème,Crime et misère, en lui, qui se donnent la main ;La douleur ici-bas, et point de lendemain. —Oh ! ma croyance, ami, que n’est-elle la tienne !Que n’as-tu, comme moi, l’espoir qui te soutienne,Qui te montre la vie en germe dans la mort,Le mal à se détruire épuisant son effort !Dans la confuse nuit où l’orage nous laisse,Que ne découvres-tu l’Étoile de promesse,Qui ramène l’errant vers le bercail chéri !Alors, ami blessé, ton cœur serait guéri ;Chaque vivant objet, que la trame déploie,Te rendrait un écho d’harmonie et de joie ;Et soumis, adorant, tu sentirais partoutDieu présent et visible, et tout entier dans tout !
fin du tome quatrième.