(1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »
/ 2192
(1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Chapitre I
La tragédie de Jodelle à Corneille

Continuité de l’évolution du genre tragique. — 1. La tragédie du xvie  siècle ; ses caractères. Garnier et Montchrétien. Supériorité des tragédies religieuses. La Pléiade a fait des tragédies sans fonder un théâtre. — 2. Alexandre Hardy, fondateur du théâtre moderne. Médiocrité de style ; irrégularité de structure ; instinct dramatique. Établissement des règles : les trois unités, instruments de vraisemblance, en vue de l’imitation réaliste et de l’illusion. — 3. Influence italienne et espagnole. Le théâtre en 1636. Le Cid et la querelle du Cid. Avec le Cid se dégage la tragédie française : étude morale, humanité. Du Cid à Nicomède.

1. La tragédie au xvie  siècle

Là comme ailleurs, la Renaissance française est une répétition de la Renaissance italienne301. Pendant le xve  siècle, l’Italie avait eu des drames latins, fort inspirés de Sénèque, et depuis 1515 elle avait une tragédie nationale en langue vulgaire : en 1515, Trissino donna sa Sofonisba. Vinrent ensuite les Dolce, les Cinthio. les Ruccellai, les Alamanni302, qui s’essayèrent à calquer de leur mieux les formes de l’art antique. Ils reprirent ou constituèrent un certain nombre de sujets tragiques, et il est notable que ces sujets sont précisément ceux que notre tragédie à ses débuts traita le plus volontiers : Sopfionisbe. Cléopâtre, Didon. Médée, Antigone, etc.

Les choses se passent en France à peu près comme en Italie : les humanistes tournent en élégant latin les œuvres les plus fameuses du théâtre grec ; ils s’exercent à les imiter dans des compositions originales. Les collèges leur fournissent un public, des acteurs : et voilà comment Michel de Montaigne note parmi les faits mémorables de sa jeunesse d’avoir, à l’âge de douze ans, vers 1545, « soutenu les premiers personnages ès tragédies latines de Buchanan, de Guérente, et de Muret », qui se représentaient « avec dignité » au collège de Guyenne, sous l’habile direction du principal André Gouvéa. De ces pièces, le Jephté de Buchanan et le Jules César de Muret ont joui au xvie  siècle d’une prodigieuse renommée, que la première justifie parfois en partie.

En même temps, les traducteurs, parmi tant d’œuvres anciennes qu’ils transportaient dans notre langue vulgaire, ne négligeaient pas les poèmes dramatiques : Lazare de Baïf, en 1537, traduisit l’Électre de Sophocle et plus tard l’Hécube d’Euripide. D’autres s’attaquèrent à Iphigénie à Aulis, à Hélène. Après le manifeste de Du Bellay, presque avec les Odes de Ronsard, apparut la Cléopâtre de Jodelle303, qui fut jouée par l’auteur et ses amis à l’Hôtel de Reims, devant Henri II. Une Didon suivit bientôt Cléopâtre, Jodelle lui-même fait école, et de 1552 aux premières années du xvie  siècle, poètes tragiques et tragédies se multiplient : l’école de Ronsard fait un vigoureux effort pour acclimater chez nous le drame antique304.

Parmi les successeurs de Jodelle, deux vrais, deux remarquables poètes se rencontrent, Robert Garnier et Antoine de Montchrétien. Garnier305 abonde en rhétorique vigoureuse : il a parfois des phrases oratoires d’une réelle ampleur, mais il s’est particulièrement exercé au dialogue pressé, où les répliques se choquent, courtes et vives, vers contre vers : ce sera plus tard la coupe cornélienne. Il est nerveux, tendu, sentencieux : il trouve dans ses chœurs des strophes d’une belle et ferme allure. Montchrétien306 est un élégiaque, souvent languissant, souvent précieux, mais parfois délicieux : il faut descendre jusqu’à Bérénice et Esther pour trouver une poésie plus suave, plus fraîche, plus harmonieuse. Il y a dans son Ecossaise, et ailleurs, des couplets d’une sensibilité pénétrante ; et dans certains de ses chœurs, les strophes tombent avec une grâce mélancolique et molle, avec une douceur d’élégie lamartinienne. Les six tragédies de ce contemporain de Malherbe font de lui notre dernier lyrique, et vraiment un très aimable lyrique.

Les mérites de Garnier et de Montchrétien intéressent l’histoire de la poésie française : celle du théâtre n’a rien pour ainsi dire à y voir. Les qualités dramatiques sont à peu près absentes de leur œuvre. Il en est de même de toutes les tragédies du xvie  siècle. Et la raison, la voici : tous ces poètes, qui se sont frottes à la robe de Ronsard, ne sont que d’enthousiastes écoliers, qui, les yeux fixés sur les grands modèles, essaient d’en copier de leur mieux le tour et la forme extérieure. Ils partagent l’erreur capitale du maître : ils croient toucher la perfection des œuvres anciennes, en calquant les procédés d’exécution, en dérobant les matériaux. Ils ne savent que regarder les Grecs, Sénèque, les Italiens et les modernes latins qui reflètent Sénèque : depuis qu’un déplorable contresens de l’humanisme italien a donné à Sénèque les honneurs de la représentation, ce tragique de salon a tyrannisé la scène ; les Grecs, moins prochains, moins accessibles, n’ont été vus qu’à travers son œuvre.

Aux exemples de Sénèque s’est jointe la théorie d’Aristote, incomprise dans ses plus hautes et abstraites parties, et d’autant plus servilement adoptée dans ses plus matériels et sensibles détails.

On apprend ainsi qu’il faut dans une tragédie des monologues, des chœurs, des songes, des ombres, des dieux, des sentences, de vastes couplets, de brèves ripostes, un événement unique, illustre, un dénouement malheureux, un style élevé, des vers, un temps qui ne dépasse pas un jour : tout cela pêle-mêle, sans subordination ni sens intérieur. Les théoriciens, comme Scaliger307, insisteront d’après Aristote sur la nécessité d’une rigoureuse unité de l’action : mais le précepte est lettre morte pour eux. Car ils ne savent ce que c’est que l’action dramatique. Elle n’est ni une ni multiple chez eux, elle n’est pas. Quand Garnier amalgame deux ou trois sujets de tragédies antiques, il ne corse pas l’action : elle reste aussi vide, aussi nulle ; le poète ne multiplie en réalité que les thèmes oratoires ou lyriques.

De l’ail, leur pratique correspond à leur talent : ils traitent chaque sujet comme une succession de thèmes poétiques. Chaque situation, chaque état moral n’est pour eux qu’un motif, selon la nature duquel ils modifient leur rhétorique, écrivant ici un discours, là une ode, ailleurs une élégie, ou une méditation, ou une suite de sentences. Je n’exagérerai guère en disant que leurs tragédies ont à peu près le même rapport à l’action dramatique que les livrets de Benserade à la pantomime des ballets : c’est de la poésie à propos et à côté. Naturellement, selon les lois de l’éloquence et du lyrisme, leurs développements des situations particulières et des sentiments individuels tendent à l’universel, au lieu commun : d’autant mieux que, ne comprenant rien à la nature propre du drame, ils sont amenés fort logiquement à le prendre comme une allégorie morale, destinée à l’instruction : pourquoi raconterait-on ces choses extraordinaires, si ce n’est pour l’exemple ?

Parmi toutes ces tragédies, il en est assurément de plus vives, et qui approchent plus du caractère dramatique : même M. Faguel a pu citer des parties, des situations, des rôles, où l’instinct scénique apparaît, chez Jean de la Taille surtout et chez Garnier. Mais ces rencontres sont rares, et peut-être un peu surfaites par le bonne volonté que développe chez le lecteur la surprise de le trouvaille. Il est même à remarquer que le sens dramatique, loir de se développer à mesure qu’on s’éloigne de Jodelle, va s’atrophiant et s’effaçant : Montchrétien, supérieur par le génie poétique, n’a plus guère de ces lueurs d’invention théâtrale qu’on pouvait encore surprendre chez Garnier, dans sa Bradamante, par exemple, ou ses Juives.

Une autre observation qu’il importe de faire, c’est que les sujets antiques sont en général les plus froidement traités, avec plus de rhétorique et de pédantisme : là, en effet, l’imitation à outrance a lieu de s’exercer, et ces pièces se fabriquent par les mêmes procédés que la Franciade. Mais il y a deux autres catégories de sujets, où les poètes étaient plus libres, et contraints même à développer quelque originalité : ce sont les sujets modernes, et les sujets bibliques. Là, en effet, on se trouvait affranchi malgré soi du joug de l’antiquité, et, comme je l’ai déjà remarqué à propos de la poésie lyrique, l’actualité vivante des sujets ou des sentiments, les passions du temps, surtout le fanatisme ou bien l’enthousiasme religieux, mettaient dans les œuvres un principe de sincérité qui les élevait. Voilà comment les œuvres les plus intéressantes de la tragédie du xvie  siècle sont le Saül de Jean de la Taille, les Juives de Garnier, et l’Ecossaise de Montchrétien. Mais la nature de ces sujets, par malheur, n’a inspiré aux poètes que de l’éloquence ou du lyrisme : elle n’a pas pu leur faire créer un drame.

Encore moins y sont-ils parvenus, quand ils ont cherché des voies inconnues à l’antiquité. Sous l’influence des Italiens, ils adoptent la pastorale, illustrée par l’Aminte et par le PastorFido ; ce genre, d’essence toute descriptive et lyrique, est exactement l’opposé de ce que devait être notre théâtre national. Il ne put rien produire chez nous que de faux et de médiocre, hormis quelques pages sincères de Racan. La vogue du poème de l’Arioste engagea Garnier à écrire sa Bradamanle, qu’il nomma tragi-comédie : œuvre hybride, à dénoûment heureux, mêlée de tragique et de comique, dénuée de chœurs, plus alerte et plus directe en son développement que les autres pièces du poète, mais nouveauté dangereuse, en somme, parce qu’elle tendait à dévier la poésie dramatique vers la bigarrure de l’action extérieure et romanesque.

Il n’est donc pas vrai, en somme, de dire que la Pléiade ait fondé la tragédie française. La date de 1552, si pompeusement célébrée par Ronsard et tous les amis de Jodelle, ne doit pas être acceptée par la critique comme celle d’une révolution dans l’art dramatique. La Cléopâtre marque seulement un progrès sur l’Electre de Baïf, qui n’est qu’une traduction, et sur le Jephté de Buchanan, qui est en latin. Elle n’est pas davantage une œuvre de théâtre. L’école de Ronsard a été si totalement dépourvue du sens dramatique, qu’elle ne s’est pas aperçue que pour faire une révolution au théâtre, il fallait en premier lieu occuper le théâtre.

Ces tragédies sont restées des œuvres de salon ou de cabinet, érudites, artificielles, lyriques, littéraires : des poèmes enfin, et non des drames. Elles ont été récitées plutôt que jouées par des jamateurs lettrés devant des auditeurs raffinés. Jusqu’en 1600, aucune de ces pièces n’a paru devant un vrai public, sur une vraie scène ; elles n’étaient pas faites pour cela. Or le « théâtre » peut se passer de forme littéraire ; il n’existe que par et pour l’imitation scénique.

2. De Hardy aux unités.

Pendant la seconde moitié du xvie  siècle, où donc est le théâtre français ? Il est à l’Hôtel de Bourgogne, où les Confrères de la Passion donnent toujours leurs représentations. Ils se risquaient, malgré l’édit de 1548, à jouer des mystères sacrés, déguisés parfois sous les noms nouveaux de tragédies ou de tragi-comédies : ils jouaient des moralités, des mystères profanes, histoires et romans, un Huon de Bordeaux, un Amadis, une Prise de Troie. Les troupes nomades de comédiens, dont on trouve les traces en plusieurs endroits, n’avaient pas un autre répertoire. Le théâtre du moyen âge vivait donc toujours ; il agonisait, mais enfin il n’était pas dépossédé.

Il cessa de vivre en 1599, quand les Confrères de la Passion se résolurent à cesser d’exploiter eux-mêmes leur privilège, et louèrent leur salle aux comédiens. La troupe qui s’installa en 1599, et qui, avec quelques interruptions pendant les trente premières années, se fixa à l’Hôtel de Bourgogne, celle de Valleran Lecomte, avait à ses gages un poète parisien, Alexandre Hardy308. Voilà, plutôt que Jodelle, le restaurateur, le fondateur du théâtre français. Car il semble bien que Hardy ait le premier fait jouer des tragédies devant le vrai public, le premier traité les sujets antiques comme des actions dramatiques, et non comme des thèmes poétiques. C’est donc lui qui opéra la substitution du genre classique aux genres du moyen âge.

Mais on ne comprendrait rien au développement du théâtre français, si l’on s’imaginait en avoir fini avec les mystères dès qu’on joue des tragédies : c’est une erreur que l’on commet souvent, quand on ne voit dans l’art dramatique qu’un genre littéraire. Avec la salle des Confrères, les comédiens avaient loué leurs décorations : le renouvellement des sujets ne porta point d’abord atteinte aux traditions scéniques, et Hardy ne songea point à construire sa Didon ou sa Marianne autrement qu’il n’eût découpé une Vie de sainte Catherine ou une Histoire d’Amadis. Le principe de la mise en scène est le décor simultané, la juxtaposition de tous les lieux nécessaires au développement successif de l’action. Par exemple, pour une pièce perdue de Hardy, le décorateur de la comédie note ainsi la mise en scène : « Il faut au milieu du théâtre un beau palais, et à un des côtés une mer où paraît un vaisseau garni de mâts, où paraît une femme qui se jette dans la mer, et à l’autre côté une belle chambre qui s’ouvre et ferme, où il y ait un lit bien parc avec des draps309 ». Il pouvait y avoir ainsi cinq ou six lieux figurés ensemble, sur la scène. Quand les lieux étaient voisins dans la réalité, l’acteur passait lentement de l’un dans l’autre : éloignés, il quittait la scène pour y rentrer aussitôt. Aux changements du lieu correspondait souvent l’écoulement plus ou moins long du temps, une heure, un jour, un mois, une année, ou plus, selon que voulait et indiquait le poète. Ainsi arrivait-il qu’on voyait, à l’acte iv de la Force du sang, une femme sur le point d’être mère dans la scène I, et dans la scène IV la même femme accompagnée d’un fils de sept ans.

Hardy n’eut jamais de scrupule sur la légitimité de ces conventions, et par lui le moyen âge les transmit à la tragédie naissante. Quoiqu’en ses jours de prétention littéraire il se réclamât de Ronsard, il semble avoir ignoré ou méprisé la poétique de la tragédie savante : il ne fut pas long à se débarrasser des chœurs. Au fond, pour lui comme pour Régnier, comme pour D’Aubigné, Ronsard, par une illusion dont l’histoire littéraire offre plus d’un exemple, Ronsard était devenu le représentant de la liberté de l’art, du facile et fécond naturel, contre Malherbe et contre les puristes tyrans du vers et de la langue. Mais Ronsard eût renié ce grossier versificateur, si peu poète, si peu artiste.

Il y avait du moins un art que ce barbouilleur entendait mieux que tous les artistes de la Pléiade : c’était l’art dramatique. Qu’on lise, si l’on peut, sa Didon : le quatrième livre de l’Enéide y est fort intelligemment mis en scène. Rien du style ni de la poésie, ni du pittoresque de Virgile ne subsiste ; mais l’action, la vie, la lutte, Hardy a senti tout cela : il dégage très justement les situations, et, dans son plat jargon, il fait dire aux personnages précisément ce qu’il faut qu’ils disent. Sa psychologie, très grossière, très sommaire, est du moins naturelle et saine. Il a été un charpenteur plutôt qu’un écrivain de drames ; mais il a eu le très juste instinct de ce que le théâtre français devait être : des situations faisant saillir des caractères.

M. Rigal a conjecturé que les tragédies de Hardy étaient les œuvres de sa jeunesse, composées et jouées pendant le séjour de sa troupe en province. Il semble que ces pièces aient eu du mal à s’établir sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, et que le poète ait dû chercher autre chose pour satisfaire son public. Ce public, très grossier et très bruyant, composé de marchands, d’artisans, de clercs, de commis, d’écoliers, de laquais et de filous, ce public aimait le mouvement scénique, les actions embrouillées et surprenantes : Hardy lui fournit un divertissement à son goût par ses pastorales et ses tragi-comédies ; il s’appropria ces deux genres dont les poètes érudits de la Pléiade lui donnaient l’idée, comme ils lui avaient donné celle de la tragédie, et il les fit si bien agréer de son public, par la variété romanesque des intrigues, qu elles parurent jusque vers 1640 devoir exclure la tragédie de la scène310. Exploitant les anciens et les modernes, les poètes, les historiens, les romanciers, mais, manifestement, aimant mieux découper en scènes une action racontée, et fixer lui-même les éléments du drame, que de calquer son œuvre sur un modèle artistement construit, sans idolâtrie érudite ni engouement précieux, indépendant de Sénèque, très affranchi en somme des Italiens, et tout à fait ignorant des dramaturges espagnols, Hardy, avec ses six ou sept cents pièces, fut pendant une trentaine d’années le fournisseur habituel de l’Hôtel de Bourgogne.

Il réussit à tirer le théâtre français de son obscurité, et du mépris où le tenaient les classes aristocratiques. Son succès engagea les poètes de la société polie à porter aux comédiens des poèmes délicatement écrits. La tragédie littéraire commença alors, mais alors seulement, d’être une œuvre de théâtre. Racan donna ses Bergeries, Mairet sa Silvie, Gombauld son Amaranthe, Théophile son illustre Pyrame et Thisbé (1618-1625). La société polie suivit ses poètes, le cardinal de Richelieu se déclara amateur passionné du genre dramatique, et les honnêtes femmes commencèrent à se risquer chez les comédiens.

Alors apparaissent les règles, les fameuses règles des unités 311. Elles étaient connues depuis longtemps des critiques et des poètes érudits. Les Italiens les avaient extraites d’Aristote, celle de l’action du moins, et celle du temps. Les Espagnols en avaient disputé, Cervantès pour, Lope et Tirso contre. En Angleterre, avant 1595,

Philippe Sidney définissait le drame classique et ses trois unités. En France, Scaliger, Jean de la Taille les avaient indiquées : mais en s’établissant dans la décoration des mystères, la tragédie les avait écartées. Hardy ne semble pas même les soupçonner, et il faut qu’elles aient préoccupé bien peu les esprits, puisque Corneille, à la date de 1629, où il écrivit Milite, n’en avait jamais entendu parler. Celui qui les introduisit réellement fut Mairet, qui n’a guère d’autre titre à notre souvenir. Il les appliqua — à peu près — dans Silvanire, tragi-comédie pastorale (1629). En 1631, il formula la théorie classique des unités dans la Préface de Silvanire. Enfin, en 1634, il fit jouer Sophonisbe, la première tragédie régulière qu’on ait donnée.

Ces tentatives, auxquelles les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne étaient hostiles, moitié par esprit de tradition, moitié par intérêt, pour ne pas mettre au rebut tout leur magasin de décorations, furent favorisées par l’établissement d’une seconde troupe de comédiens, celle de Mondory, qui se fixa à Paris en 1629 ; pour se soutenir contre l’Hôtel de Bourgogne, Mondory fit accueil aux nouveautés. Aux environs de 1630, la polémique sur les unités était dans toute sa force : c’est en 1628 que Fr. Ogier écrivait pour la tragi-comédie de Schelandre, Tyr et Sidon 312, la plus vigoureuse défense qu’on ait faite du théâtre irrégulier : au nom de la vérité, il maintient le mélange des genres, du tragique et du comique ; au nom du plaisir, il autorise la dispersion de l’action dans le temps et dans l’espace. On bataille dans les Préfaces et dans les Traités. Chapelain a été des premiers converti aux règles : en 1635, il y convertit le cardinal. Le public semble incertain : Scudéry, qui est dans le camp d’Aristote, continue à faire des pièces irrégulières « pour contenter le peuple ». Cependant, dès lors, les unités ont cause gagnée. Pendant quelques années on semble chercher un moyen terme entre l’unité et la multiplicité, soit par la juxtaposition de lieux réellement contigus, soit par une certaine indétermination du lieu. Enfin, à partir de 1640, on peut dire que la doctrine classique règne dans toute sa rigueur.

L’établissement des unités aristotéliciennes fut certainement une victoire pour la critique érudite. Elle a, par là, fortement agi sur l’évolution de l’art dramatique en lui fournissant la formule de ses œuvres. Cependant il ne faut pas s’y tromper : Aristote n’a pas tyrannisé le goût français, il n’a point jeté notre tragédie hors de sa voie naturelle. Bien au contraire, à qui lira attentivement les tragédies de Hardy, ou la Mélite de Corneille, il apparaîtra que le drame français tendait à se concentrer, et que, laissé à lui-même, il se fût, un peu plus tard peut-être, mais un jour certainement, régularisé. Il eût retranché l’excès de mouvement extérieur qui détourne de l’explication des causes morales. Les unités n’ont fait que hâter et servir la définition de la forme où tendaient secrètement les auteurs et le public : et ce ne sont pas les érudits, c’est la raison qui a fait triompher Aristote sur notre scène. « Je dis que les règles du théâtre ne sont pas fondées en autorité, mais en raison. » Celui qui parle ainsi est l’un des plus entêtés défenseurs des règles, c’est l’abbé d’Aubignac dans sa Pratique du théâtre 313.

En venant au théâtre, la société polie y avait apporté sa sécheresse d’imagination et son instinct rationaliste. Sur cette misérable scène de l’Hôtel de Bourgogne, à la maigre lueur des chandelles, le contraste de la réalité signifiée et de l’image figurée était trop fort ; on remarqua que la forêt était un arbre, la mer un bassin : on s’étonna que l’Allemagne et le Danemark, ou même la place Royale et les Tuileries ne fussent séparés que par quelques toises, et qu’en une heure le héros eût vieilli de trente ans. Cela ne parut pas raisonnable, ni croyable. Les extravagances romanesques des tragi-comédies ravissaient : mais l’insuffisance de l’imitation scénique choquait. On ne sut pas passer du décor simultané au décor successif, qui pourtant ne fut pas tout à fait inconnu. Les unités offraient une idée qui séduisit les honnêtes gens : celle d’une imitation exactement équivalente à la réalité, et capable ainsi de faire illusion. En leur vrai sens, elles représentent le minimum de convention qu’on ne peut retrancher dans la représentation de la vie : on suppose que le plancher de la scène est un autre lieu quelconque du monde, mais toujours le même lieu, et que les deux heures du spectacle peuvent contenir les événements d’une journée : mais l’idéal où l’on tend, c’est de réduire la durée de l’action à la durée de la représentation. Ainsi l’établissement des unités fut en réalité une victoire du réalisme sur l’imagination : et voilà pourquoi elles s’implantèrent chez nous, et non en Espagne, ni en Angleterre.

Partout, lorsqu’on discute sur les unités, c’est bien la question du réalisme de la mise en scène qu’on discute : et chez Tirso et chez Sidney nous en avons la preuve. Chez nous, dès le xvie  siècle, Scaliger avait posé nettement le problème, lorsqu’il ne traitait des unités qu’à propos de la vraisemblance. Tout érudit qu’il était, il ne suivait pas Aristote, mais la raison, lorsqu’il impliquait dans l’unité de temps l’unité de lieu dont la Poétique n’avait rien dit, et lorsqu’il réduisait l’unité de jour à cinq ou six heures pour la rapprocher autant que possible de la durée réelle du spectacle. Ces règles donc, qui sont devenues cause de tant d’invraisemblances dans la décadence du théâtre classique, se sont imposées comme condition nécessaire de la vraisemblance : on en méconnaîtrait le caractère si l’on perdait de vue un seul moment à quel état de la mise en scène elles se rapportent. Il suffit de lire la Pratique du théâtre pour s’apercevoir que D’Aubignac bataille contre une forme de drame qui est celle des mystères, et pour comprendre que, dans les règles aristotéliciennes, le rationalisme classique a trouvé un moyen d’éliminer de la scène les derniers vestiges de la fantaisie jadis naïve du moyen âge. Il s’en est servi pour resserrer le poème dramatique dans l’espace et dans le temps, c’est-à-dire pour placer l’intérêt dans l’action morale et dans le mouvement des caractères plutôt que dans l’agitation des corps. On peut dire que par les unités l’esprit classique s’est construit la forme littéraire la plus apte à l’exprimer ; et sans doute il n’était pas nécessaire que Corneille écrivit le Cid en 1636 : mais du moins, pour l’extraire du drame de Guillen de Castro, il lui fut utile de se sentir lié par ces lois nouvelles qui obligeaient de concevoir la tragédie autrement que comme un roman découpé en scènes.

3. Le Cid

Pour estimer le Cid à sa valeur, il faudrait voir ce qu’étaient les œuvres au milieu desquelles il apparut. Grâce à Hardy et à Mairet, le public était en train de se passionner pour le théâtre, et le poème dramatique passait insensiblement au premier rang des genres littéraires. La gloire et le profit s’y rencontraient : aussi les jeunes auteurs se portent-ils avec ardeur de ce côté. Autour de Mairet viennent se placer de 1628 à 1630 Rotrou, Scudéry, Corneille, Du Ryer : en 1636, Tristan. A voir leurs œuvres, on serait tenté d’abord de regretter le vieux Hardy, qui était grossier et brutal, mais qui du moins n’était ni précieux, ni galant, ni italien, ni espagnol : on regrette le gros bon sens avec lequel il maniait ses sujets, son action directe et rapide, ses sentiments peu raffinés, mais naturels. Ceux-ci se piquent de style et d’esprit ; ils portent au théâtre le goût des pointes, des inventions romanesques, des fanfaronnades épiques : c’est avec eux que, sans négliger les Italiens, notre théâtre se met à vivre aux frais du répertoire espagnol.

À la veille du Cid, le spectacle offre un singulier mélange d’extrême grossièreté et de recherche extravagante. La tragicomédie ou la tragédie jusque vers 1635 est précédée du Prologue, vrai boniment de foire, énorme de bouffonnerie et d’obscénité : elle est suivie de la farce, qui est salée, et souvent d’une chanson de Gautier Garguille, qui n’est pas mièvre non plus. Au milieu de ces divertissements tout populaires, la tragi-comédie étale ses inventions surprenantes et stériles : nous pouvons prendre pour spécimen l’Heureuse Constance de Rotrou (1631). Le roi de Hongrit doit épouser la reine de Naples, et l’épousera au dénouement mais pour qu’il en vienne là, il faudra que tout le monde se déguise, le roi de Hongrie en simple gentilhomme, Alcandre, frère du roi, en marchand, son amante Rosélie en paysanne, la reine de Naples en pèlerine, un valet bouffon en Alcandre ; et il faudra encore deux fausses lettres pour brouiller la situation au milieu de la pièce. Les déguisements et les travestis sont la monnaie courante dans les tragi-comédies.

Quant à la tragédie, dans la mesure où les exigences de la scène le permettent, elle a repris l’allure d’une déclamation littéraire, à la façon dont l’entendaient les poètes du xvie  siècle. Sénèque, inconnu de Hardy, reprend son autorité sur nos poètes : dans l’Hercule mourant (1632), seule tragédie de Rotrou antérieure au Cid, Hercule a revêtu au troisième acte la tunique empoisonnée : deux actes durant, il agonise, d’une agonie qui consiste à lâcher coup sur coup d’énormes tirades, et le cinquième acte est une apothéose d’opéra. En 1636, deux tragédies notables paraissent : la Mort de César de Scudéry, où Plutarque n’est pas mal découpé, mais où l’action trop visiblement ne sert que de prétexte aux exercices oratoires dans le goût de Lucain, et la Marianne de Tristan, qui n’ajoutait guère à celle de Hardy que la boursouflure d’une rhétorique échevelée.

Le Cid parut à la fin de 1636 ou dans les premiers jours de 1637 : le poète était déjà célèbre, rien cependant ne pouvait faire prévoir qu’il était capable de donner ce chef-d’œuvre. Le succès fut tel, qu’il souleva contre Corneille presque tous les auteurs dramatiques, depuis l’obscur Claveret jusqu’aux illustres Mairet et Scudéry : Rotrou s’abstint. La querelle du Cid ne nous montre que l’exaspération de rivaux jaloux et impuissants. Aucun principe, aucune doctrine d’art n’est en jeu ; et c’est pourquoi nous pouvons ne pas nous arrêter aux pamphlets de Mairet, accusant Corneille de plagiat, aux Observations de Scudéry se faisant fort de démontrer : 1° que le sujet du Cid ne valait rien ; 2° qu’il choquait les règles ; 3° qu’il manquait de jugement en sa conduite ; 4° que les vers en étaient méchants — et qualifiant Chimène d’impudique et de parricide. Le pis fut pour Corneille, que parmi les jaloux se rencontra le cardinal de Richelieu qui occupait ses loisirs à concevoir de méchantes pièces, et avait toutes les passionsmesquines d’un raté. II obligea l’Académie à juger et Corneille à laisser juger le Cid. L’Académie eut du mal à contenter le cardinal, qui rejeta les deux premières rédactions qu’on lui proposa. Enfin Chapelain fit agréer la sienne, où il avait tâché d’équilibrer de son mieux le mal que le cardinal l’obligeait à dire de la pièce, et le bien qu’il en pensait lui-même. Les Sentiments de l’Académie parurent en 1638 : c’est une œuvre de critique étroite, chicanière, sans vues générales ni élévation d’esprit.

Quand ce bruit fut apaisé, il ne resta plus guère que Scudéry pour s’imaginer que d’autres pièces pouvaient se comparer au Cid. Le public persista à croire que le Cid était une pièce unique, et il avait raison. Outre son agrément infini, que Balzac signalait si bien, outre le pathétique des situations et la beauté des vers, le Cid eut le mérite de fixer la notion de la tragédie classique ; et c’est par là qu’il est une date considérable dans l’histoire de l’art. C’est une de ces œuvres fécondes et impérieuses qui engagent l’avenir. Depuis Hardy, ou, si l’on veut même, depuis les premiers traducteurs de Sophocle et d’Euripide, la forme tragique s’organisait : le Cid décida seul de ce qu’on mettrait dans cette forme. Et, par là, seul il fonda le théâtre français.

Comme tous ceux de sa génération faisaient volontiers, Corneille avait pris un drame espagnol, joué à Valence en 1618, las Mocedades del Cid 314 de Guillen de Castro. Mais à l’étoffe étrangère il avait donné sa façon. Il avait taillé librement dans cette chronique touffue, pittoresque, morcelée. De cette biographie dramatique, il avait extrait un épisode principal, le mariage de Rodrigue, qui était devenu tout son drame. Il avait retranché l’action extérieure, purement sensible, le mouvement et comme la trépidation d’une figuration multiple. Il n’avait laisse autour des deux amants que les personnages nécessaires à l’explication de leur fortune : s’il a gardé l’infante, c’est par une erreur imputable aux préjugés mondains de son temps. Il avait défini les caractères de l’action tragique : elle doit être morale et intérieure en son principe ; l’intéressant, ce n’est pas l’événement, c’est le sentiment, et les faits extérieurs, même nécessaires à l’action, ne valent que comme donnant une expression aux faits moraux, ou ayant sur eux un contre-coup. Aussi ne les montrera-t-on pas, l’unité du lieu faisant son office : la mort du comte, la bataille, le duel de Rodrigue et de don Sanche resteront dans la coulisse, parce qu’ils ne servent qu’à traduire ou modifier les éléments psychologiques du sujet. Il suffit donc de les donner par hypothèse sans les donner en spectacle, c’est-à-dire de les annoncer par récit. En revanche, il suppléera aux insuffisantes analyses du drame espagnol : il ajoutera la seconde entrevue de Rodrigue et de Chimène, qui rend sensible le progrès de l’action morale, en enregistrant les plus légers changements de sentiment et même d’accent des deux amants.

Ce n’est pas tout : le Cid pose cette loi, que le héros tragique fait sa destinée par les déterminations de sa volonté : il ne reçoit pas l’impulsion du dehors ; le hasard et l’accident sont exclus (en principe) de l’intrigue tragique. Sans doute la mort du comte est un événement fortuit qui met obstacle au bonheur de Rodrigue et de Chimène, mais qui ne voit que le fait matériel de cette mort n’est rien, et que les sentiments déterminés chez les deux amants par cette mort sont tout l’obstacle ? Ainsi ils font eux-mêmes leur fortune : le principe de l’action tragique est dans la définition première de leurs caractères. Et le développement de cette action, la suspension pathétique du dénouement vient de ce que chacun des deux amants trouve en lui-même un sentiment qui l’oblige à défaire ou retarder son bonheur, et de ce que chacun d’eux trouve aussi dans l’autre un sentiment qui s’oppose à sa volonté : chez tous les deux, la piété filiale combat l’amour ; et le devoir parle à Rodrigue quand Chimène n’a encore qu’à suivre son amour, à Chimène quand Rodrigue peut de nouveau écouter son amour. Cette discordance intime ou réciproque est toute l’action. Ainsi se dégage la formule de la tragédie : ce sera une étude d’âmes, mais une démonstration, non pas une description, où les âmes seront en action, en conflit. La lutte des passions et des volontés, dans une âme agitée, ou dans plusieurs âmes opposées, voilà ce que le Cid pose comme l’essence de la tragédie.

Il pose encore cette loi que le héros n’est pas un Espagnol, un Français, mais simplement et plus, un homme. Corneille n’a pas songé — il ne le pouvait guère — à ressusciter le vrai Cid, le rude ambitieux et cupide baron du xie  siècle, le mercenaire cruel et pillard qui souvent combattit les chrétiens et servit les Musulmans, l’indocile vassal qui fut trois fois exilé par son roi, et fièrement se lit une souveraineté dans Valence conquise. Mais aussi bien que le Cid de l’histoire, que le Cid toujours barbare du Poème ou de la Chronique Rimée, et que le Cid chevaleresque des romances, Corneille a refusé d’évoquer le Cid de Guillen de Castro, héros national, presque saint, mais beau cavalier et serviteur des dames, hidalgo tueur de Mores et diseur de pointes : il n’a gardé du caractère local de l’action et du héros, que ce qui était indispensable à la réalisation des sentiments généraux. C’est dire que l’intérêt du Cid n’est pas dans la couleur historique, mais dans la vérité humaine. Il n’importe pas, ou il n’importe guère, que le Cid et Chimène portent des noms espagnols. Car si cette dévotion de l’amour et cette exaltation de l’honneur sont réellement espagnoles, elles ne le sont pas pourtant exclusivement ; et c’est vraiment en tout pays qu’on peut voir deux volontés, éprises d’amour, éprises aussi d’honneur, subordonner l’amour à l’honneur par respect pour cet amour même, et se rendre dignes du bonheur en le refusant. Le cas n’est pas castillan, il est humain : et ainsi en sera-t-il dès lors de toute tragédie : grecque, ou asiatique, ou romaine, elle n’aura en réalité qu’un objet et qu’un modèle : l’homme. Le lieu et la date ne seront que des éléments de représentation concrète, des signes particuliers de l’universel.

Il restera pourtant dans le Cid français un reflet de l’Espagne, et c’est ce qui fera la magie, la séduction juvénile et charmante de l’œuvre. Le drame, si précis, si positif, si raisonnable, s’enveloppe d’une grâce chevaleresque par où le sujet révèle son lieu d’origine. Le Cid et Chimène restent des personnages de roman, mais des personnages de roman qui seraient vrais et sensés. Tandis qu’ici l’imagination tour à tour lyrique ou épique s’allie à la raison, à l’exacte et précise notation des faits moraux, plus tard Corneille aura surtout l’imagination mécanique, celle qui combine abstraitement les forces. Jamais il ne retrouvera cette couleur pittoresque et chaude, cet éclat de fantaisie poétique : et s’il en retrouve un jour quelque chose, ce sera lorsqu’il rentrera en Espagne, et en ramènera Don Sanche.

Après le Cid viendra Horace (1640) : le Cid tenait encore de la tragi-comédie ; Horace est une pure tragédie, non plus un exercice oratoire, à la façon de Sénèque, comme l’Hercule furieux de Rotrou, ou comme la Médée même de Corneille : mais un conflit dramatique de caractères fortement définis. Horace assure le triomphe de la tragédie et détermine la disparition définitive des formes hybrides et confuses, telles que la tragi-comédie : Horace enfin rompt avec le roman, le précieux, l’Espagne, et ramène à l’antique. Cinna (1640), Polyeucte (1643), Rodogune (1644-1045), Nicomède (1651), développeront par des expressions variées l’originalité du génie de Corneille, et la conception qu’il s’était faite du mécanisme moral de l’homme. Le Menteur contribuera à dégager la forme de la comédie, comme le Cid a fixé celle de la tragédie. Nicomède marque le point d’arrêt du génie de Corneille : à partir de ce point, il ne fera pas toujours des choses indignes de lui, mais il n’ajoutera rien à la définition que les ouvrages précédents nous donnent de son génie. C’est cette définition qu’il nous faut essayer de présenter maintenant.