(1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »
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(1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

Victor Cousin

Introduction à l’Histoire de la Philosophie.

Victor Cousin a édité une fois de plus, sous le titre d’Introduction à l’histoire de la philosophie, son cours de 1828. Pour notre compte, nous attendions avec impatience cette occasion de parler du chef de l’école éclectique, — mort depuis longtemps comme expression d’idées, après s’être tiré dans la tête ce coup de pistolet d’enfant, chargé à bonbons, qu’on appelle l’Histoire de madame de Longueville. Jusqu’ici nous n’avions à juger que les écoliers de l’École, les Saisset et les Simon, les minces qui bégaient et zézaient, comme ils peuvent, dans le silence du maître, la philosophie qu’il a parlée, lui, avec cette grande voix de Fontanarose dont nos oreilles sourient encore… Eh bien, c’est cette voix qu’il nous fait entendre à nouveau, en réimprimant ses anciennes œuvres !

Infatigable préfacier, il s’était vanté un jour, en une de ces nombreuses préfaces dans lesquelles il promettait toujours de faire quelque chose, de revenir à la philosophie, et, de fait, voici qu’il y revient ; mais, comme vous le voyez, ce n’est pas pour nous exprimer des idées nouvelles. Il ne le pourrait pas ; il est épuisé. Les amours historiques dont il a trop, selon nous, enguirlandé sa vieillesse, nous l’ont rendu absolument incapable de toute autre chose que de rabâcher des éditions !

Celle qu’il nous donne ici, du reste, est la plus intéressante de toutes celles qu’il peut nous donner. Il faut être juste, ce Cours de 1828, qui fit tant de bruit, comme la montagne à la souris, est le plus retentissant moment de la vie de Cousin, de cet homme sonore dont la plus grande qualité dans le talent fut de donner du son à des idées qui, par elles-mêmes, n’en avaient pas… Telle est sa grande qualité, en effet. Parti de la philosophie, écossaise, cette pauvre doctrine aphone du sens commun, pour arriver plus tard aux raucités et aux embrouillements de ventriloques de gens comme Kant et Hegel, qu’on n’entendait guères alors que dans leur patrie, Cousin mit toujours une expression, peu sincère, mais éclatante, au service de divers systèmes qu’après tout il vulgarisa.

Je ne veux pas diminuer le mérite de Cousin. J’en veux seulement prendre la mesure. Il était né, je crois, pour être un excellent vulgarisateur. Il avait les facultés nécessaires à cette besogne ; il avait le degré qu’il faut de sagacité, d’érudition, d’enthousiasme et même de duperie, pour aller chercher des idées dans des livres profonds et obscurs comme des puits, où elles se tiennent peut-être pour se faire croire la Vérité, et pour les verser dans les esprits qui les ignorent, après les avoir fait passer par cette langue française, qui est la langue universelle de la clarté, comme par un crible lumineux !

Malheureusement, Cousin ne suivit pas cette vocation de vulgarisateur qui était la sienne, et qu’il a mal remplie ; car il a souvent faussé ce qu’il a vulgarisé, par la faute d’une intelligence ambitieuse qui voulut avoir ses idées et ses systèmes à elle, et qui fut toujours radicalement impuissante à en produire qu’on dût respecter.

C’est là, en effet, ce qui a perdu Cousin, — et je dis perdu, malgré une position qu’il prend probablement pour de la gloire : — l’ambition de créer à son tour en philosophie ! Toujours il l’a eue, cette ambition infortunée, mais toujours aussi (il ne nous le dira pas, mais qu’importe !) il a eu le sentiment très net que c’était pour lui impossible. Destiné à l’enseignement de la philosophie, vivant dès sa jeunesse dans l’accointance des philosophes et dans la préoccupation de leurs études et de leurs influences, il crut, parce qu’il entendait et sentait vivement leurs écrits, que lui aussi aurait le pouvoir d’éjaculer, comme eux, quelque système avec lequel la pensée humaine aurait à se colleter plus tard ; mais, pendant toute sa vie, il put apprendre à ses dépens que la faculté de jouer plus ou moins habilement avec des idées qui ne vous appartiennent pas n’est pas du tout la vraie fécondité philosophique, qui n’a, elle, que deux manières de produire : — par sa propre force, si l’on appartient à la grande race androgyne des génies originaux, — ou en s’accouplant à des systèmes qui ont assez de vie pour en donner à la pensée qui n’en a pas, si l’on n’appartient pas à cette robuste race des génies originaux et solitaires.

Certainement, l’intelligence très vive de Cousin, qui a des promptitudes de moineau, s’est accouplée à beaucoup d’idées et de systèmes, mais elle n’en est pas moins restée stérile. Philosophiquement, elle est bréhaigne. L’éclectisme, cette combinaison qui vivra dans l’histoire des vacuités humaines, l’éclectisme n’est pas un enfant vrai. C’est un enfant dérobé… et adopté pour les besoins de l’impuissance aux abois !

Ainsi, impuissance, infécondité, voilà, pour une critique qui dédaigne les apparences et les mots d’ordre, ce qui frappe d’abord dans Cousin, le chef d’école et le philosophe, et ce qui sape, du premier coup, la prétention la plus étalée et la plus fastueuse de sa vie ! Assurément, nous sommes trop poli pour donner à Cousin, un professeur d’une telle célébrité, l’épithète que l’Histoire, qui n’est pas toujours très honnête, donne sans cérémonie à ce pauvre diable de Narsès, qui n’en était pas moins un général de talent ; mais, avec ou sans cette épithète, Cousin nous a toujours franchement produit l’effet d’un vrai Narsès… philosophique ! Il a du talent cependant, nous le voulons bien, comme l’autre infortuné en avait aussi ; mais ce n’est pas le talent qui fait… des systèmes ! et on est tenu à en faire, en philosophie. Son éclectisme, il l’a ramassé dans Leibnitz.

Ne nous laissons point abuser par ce qu’il peut avoir d’un virtuose. Le talent de Cousin est suprêmement et exclusivement un talent d’orateur, de phraseur, de flûteur, de musicien, de pousseur de son sur des sujets philosophiques, et, toute sa vie, c’est avec cela qu’il a fait illusion sur le talent de philosophe qui lui manquait, et dont l’absence a dû parfois humilier cruellement son amour-propre et sa pensée… Allez ! lui, si fort sur les faits de conscience, a dû inévitablement avoir conscience de celui-là ! Personne, il est vrai, et pendant plus longtemps, n’a dépensé, pour cacher le malheur de son infirmité intellectuelle, plus d’activité, d’ardeur, de ressources, d’ut de poitrine, de grands bras et de longs discours !

Là est l’explication de tous ses travaux, qui sont énormes, il faut bien l’avouer. Là fut le secret de tant de traductions, d’éditions, d’annotations, d’interprétations, de sommaires, de commentaires, où il s’est si effroyablement tortillé, et de ce détail d’érudition sous lequel il a plongé le vide de sa tête, érudition pointilleuse, acharnée, enragée, presque physique ; car le dos des livres a fini par lui être cher et il a passé bibliophile pour le compte de la philosophie, ne pouvant, hélas ! être plus. Telle est la raison enfin de cette étonnante substitution, pendant un enseignement qui a duré quarante ans, de l’histoire de la philosophie à la philosophie elle-même, et de ce retour de bonhomme fatigué à cette petite maison écossaise du sens commun dont nous étions partis pour faire de si longues caravanes. Retour, du reste, qui est la fin, l’aplatissement et la punition méritée de ce colossal… blagueur en philosophie, ainsi qu’un jour il n’a pas craint lui-même de s’appeler, — quand nous, très certain de la chose, nous aurions, sur le mot, peut-être hésité !

II

C’est à Ferrari que Cousin, en effet, adressa en 1842 ce mot si gaiement universitaire : « Mon cher Ferrari, — lui dit-il, avec cet ineffable abandon que les grands comédiens ont dans les coulisses, — vous avez fait de la blague à Strasbourg, comme moi j’en ai fait, en 1828, à Paris. » Et Ferrari, qui, s’il en a fait, n’en fait plus, rapporte, sans se gêner, ma foi ! l’incroyable aveu de son ancien maître, à la page 75 de ses amusants et terribles Philosophes salariés, comme s’il avait voulu nous donner, à nous autres critiques, une juste idée de l’homme qui, à quatorze ans de distance, caractérise de cette gaillarde manière le livre qu’il réimprime avec un si grand sérieux aujourd’hui.

Pour ma part de critique, je remercie Ferrari de son agréable document ; mais je ne crois pas que j’eusse été pris à cette blague de Cousin publiée présentement sous ce titre, un peu vague et majestueux, d’Introduction à la Philosophie de l’histoire. Quand nous la lûmes sous sa forme première et oratoire de Cours public, elle ne nous donna pas l’idée d’une vérité que nous ne demanderons jamais à la philosophie, mais pourtant elle nous donna celle d’une chose plus forte, d’une systématisation essayée et plus heureuse que ce qu’on avait l’habitude de rencontrer dans les œuvres de Cousin. Seulement, en la relisant à tête reposée, comme je viens de le faire dans le texte revu à froid que l’on publie, toute cette blague, puisque blague il y a, de l’aveu même du blagueur, ne me paraît pas organisée de manière à surprendre l’opinion de ceux même qui croient à la philosophie, et à recommencer son succès.

Car elle eut un succès immense, et qu’on peut s’expliquer d’ailleurs, un de ces succès oratoires qui, comme les succès dramatiques, sont les moins beaux, mais les plus éclatants des succès ! Dans ce temps-là, Victor Cousin était un jeune homme dont tout retentissait dans l’Université ; il était l’enfant gâté de Royer-Collard, cet homme populaire dans la bourgeoisie, qui avait été élu député dans sept collèges ! Professeur qui avait, comme ils le faisaient tous dans ce temps-là, ces aimables fonctionnaires, choqué le pouvoir avec cette stoïque indépendance qui leur rapportait toute sorte d’agréments de la part de la société, on l’avait (le pouvoir d’alors) suspendu de sa fonction et prié de s’aller promener quelque peu, et il était allé en Allemagne.

Grâce à des modifications ministérielles, il en était revenu peu de temps après, avec deux raisons pour réussir à son retour. D’abord l’air d’avoir été persécuté, et cette autre raison, non moins excellente dans ce drolatique pays de France, de revenir de quelque part ! En Allemagne, il avait connu Hegel, ou du moins il avait picoré dans sa doctrine. Caméléon philosophique, il revenait avec cette nouveauté des reflets de Hegel sur la pensée, de Hegel alors inconnu, lui qui jusque-là ne s’était teint que de la nuance claire et pâle de Reid et de Dugald-Stewart ! Il avait enfin cette parole sonore et ce grand geste qui plaisent à la foule même quand elle en rit, et qui ont fait de lui… cette personnalité incomparable, soit dans la rue, soit à l’Académie, qu’il est impossible de confondre avec celle de personne, et qui s’appelle Cousin !…

On l’applaudit avec transport dans la chaire où il reparut, et on le prit pour un homme de génie. Ce qu’il savait d’Hegel, il l’éructa. Il parla de l’infini et du fini et de leur rapport, trois choses qu’on n’avait pas jusque-là beaucoup entendu nommer dans une chaire de philosophie française. Il alla de l’homme à Dieu, puis de Dieu au monde, du monde aux idées que le monde exprime dans sa configuration immuable et providentielle.

Il parla de l’antagonisme fatal des idées, aussi bien dans l’histoire que dans la pensée, dans la conscience de l’homme que dans l’humanité ; enfin il amnistia la guerre, fit une théorie sur les grands hommes qui leur arrachait ce qu’il y a de plus beau en eux : leur libre individualité ; et, adroitement, se coulant de ces hauteurs où il s’était laissé enlever, au niveau abaissé de son auditoire, sentant bien qu’il avait affaire à un genre de public qui aurait donné toutes les spéculations métaphysiques pour une chanson de Béranger, il arriva en dernier ordre, par une subtilité de dialectique, à la Charte, cette chimère de l’époque d’alors, et posa comme l’idéal de sa philosophie la monarchie constitutionnelle, aux cris d’enthousiasme de tous ces Prudhommes de vingt ans !

Encore une fois, ce fut là un succès très grand, et qui a donné de l’importance à la vie de Cousin, mais ce fut un succès d’époque, de parti, de parole, presque incompréhensible à présent quand on lit ces discours dédoublés de l’homme qui les prononça, ces discours devenus un livre, sans conviction et sans vérité, déshonorés, d’ailleurs, par l’aveu cynique et brutal du philosophe qui, à quatorze ans de là, se félicite d’avoir rencontré un complice de mensonge dans un autre philosophe comme lui. Oui ! voilà le succès et les causes du succès de Cousin. Je l’ai expliqué. Mais ce n’est pas assez. Une autre question reste encore. Pour ceux qui croient à la philosophie et qui ont l’amour des problèmes qu’elle agite avec plus ou moins de puissance, mais qu’elle ne peut jamais qu’agiter, quelle est réellement la valeur philosophique du livre de Cousin ? Faux comme il s’en est vanté ou sincère. Car l’auteur qui l’a revu et qui le prend à sa charge devant le public y a mis certainement toute sa force de tête, qu’il soit une vérité ou un mensonge, et si c’est un mensonge il en aura, certes ! mis plus.

III

Eh bien, à ce point désintéressé de la pensée pure, l’Introduction à la Philosophie de l’histoire est une œuvre sans profondeur et sans consistance, que quelques années en passant sur elle ont déjà ternie ! Inspirée d’Hegel dans ce qu’elle avait d’inconnu et d’inattendu quand Cousin la mit en lumière, elle rentrera peu à peu dans le néant à mesure qu’en France Hegel sera connu davantage, écrasée qu’elle sera, effacée par cette terrible comparaison avec les œuvres d’un homme dont les erreurs, du moins, sont grandioses… Et quand je dis inspirée d’Hegel, c’est plutôt imprégnée qu’il faudrait dire. Car, même dans cette Philosophie de l’histoire rapportée d’Allemagne, et qu’on a accusée justement de verser dans un panthéisme qui ne sera jamais, du reste, en Cousin, qu’une inconséquence de son faible esprit, fasciné par un tel abîme mais incapable de résolument y descendre, Cousin est encore ce qu’il a été toute sa vie. C’est l’homme des faits de conscience, le psychologue sorti de Descartes, et qui, sans Descartes, n’existerait pas.

Je l’ai dit plus haut, il est, à cette, heure, revenu à son point de départ, au sens commun de l’école écossaise, qui n’est, après tout, que l’école primaire en philosophie. Il fait pénitence d’avoir aimé Hegel, et, ce qui est plus drôle, il la fait faire à ses disciples, ces mécaniques éclectiques qui sont ses canards de Vaucanson, à lui : Saisset, Janet, Franck et Jules Simon ! D’éducation incorrigible, d’impression première plus forte que lui, Cousin est écossais, cartésien, leibnitzien, éclectique enfin, mais antiscientifique, n’ayant point de science philosophique mais une littérature philosophique, et c’est la raison pour laquelle il a une peur bleue de Hegel dès qu’il cesse de l’aimer, ce bel esprit philosophique à l’imagination infidèle !

Les notes qu’il a attachées au bas des pages de son livre nous le disent assez. Il s’y justifie à chaque instant de ce reproche de panthéisme, qui fait trembler au fond de sa conscience incertaine de psychologue un déisme dont il n’est pas sûr. Et, malgré tous ces petits lavages de notes tardives et après coup, il aura été hégélien et panthéiste, à son insu ou le cachant, dans cette Introduction à la Philosophie de l’histoire ! Non content de l’être dans ses idées sur la création, les grands hommes, la guerre, etc., etc., n’a-t-il pas écrit la phrase suivante : « Supposer que le monde est vide de Dieu et que Dieu est séparé du monde, c’est une abstraction insupportable et presque impossible. »

Ainsi, il aura été panthéiste comme il aura été tout ! Comme il aura été baconien, quoique la méthode de Bacon et celle de Descartes soient parfaitement contradictoires ; comme on l’a vu l’apologiste du judicieux Locke, qu’il a plus tard très judicieusement combattu ; et tout cela, tout cela, pour qu’il ne soit pas dit que le fondateur de l’éclectisme (qui est une méthode contre toute méthode) ait pratiqué chichement sa doctrine et ne l’ait pas réalisée en très grand !

IV

Et c’est ainsi que dans ce livre il l’a réalisée. Nous ne l’avons pris que là aujourd’hui. Nous n’avons voulu voir aujourd’hui que l’auteur de ce fameux Cours de 1828 qui fit tant de bruit. Nous avons laissé de côté le professeur de 1820, l’écrivain des fragments philosophiques, le dissertateur d’Abélard, l’annotateur et le traducteur de Proclus. Ils viendront sans doute et passeront ici dans l’ordre successif de réimpression et de publication qu’on leur prépare. Seulement, nous l’avons dit déjà, aucun de ces divers écrivains qui furent le même, n’a eu, relativement à ses facultés, un moment de talent aussi complet que l’auteur de l’Introduction à la Philosophie de l’histoire, quoiqu’il l’ait traitée galamment de blague dans un style délicieux ! Or, si c’en est une, en effet, que devons-nous penser des autres ouvrages de Cousin, de cet adorable et immense farceur qui a introduit la plaisanterie du mensonge parmi les erreurs de bonne foi de la philosophie, comme si les erreurs n’étaient pas assez !

Et ce n’est pas tout. Si ces livres, comme nous le pensons, du reste, ne se distinguent que par des qualités inférieures à celles du livre actuel de Cousin, ne les aura-t-on pas jugés implicitement déjà, eux et leur auteur, en jugeant l’auteur (et son livre) de cette Introduction à la Philosophie de l’histoire ! Or, je ne crains pas de le dire, malgré sa position, sa renommée, l’enseignement qu’il a fait peser sur toutes les Écoles de France pendant tant d’années, malgré, enfin, l’organisation d’un système dans lequel il a montré des facultés d’envahissement et de conservation qui n’ont rien de philosophique ou de littéraire, Cousin, le chef de la philosophie française, n’est pas un philosophe dans le sens créateur et imposant du mot.

Dans cette Introduction de 1828 à une Philosophie de l’histoire, nous n’avons pas trouvé une seule de ces vues qui révèlent tout à coup dans un homme, n’y en eût-il qu’une seule, la grande aptitude, la nette, l’incontestable supériorité. C’est un lettré philosophique ; ce n’est pas un philosophe ! C’est un exécutant sur la troisième corde d’un violon très sonore. Talent verveux, italien, bergamasque, Arlequin fait de pièces et de morceaux comme l’habit éclectique de ce porteur de batte, et, nous pouvons bien le dire après ce que Cousin a dit de lui-même, un peu bateleur.

Cousin a toujours très bien montré les grandes marionnettes de sa philosophie. Il a toujours fait d’elle quelque chose qui sortait du rôle intérieur, placide, intellectuel, désintéressé (et surtout désintéressé), qui est l’auguste prétention séculaire de la philosophie. Son influence même, à Cousin, son ubiquité au collège de France par ses élèves, à l’Institut, à l’Académie, qu’il emplit de sa grande voix, de son grand geste, de sa grande et non sérieuse personnalité, n’est pas une influence philosophique. Descartes le solitaire en a eu une autre. Il a régné vraiment sur les esprits. Il a eu Malebranche ; Cousin a Damiron ou Saisset.

Après la mort de Descartes, toute la France du xviie  siècle était cartésienne. Nous verrons ce que deviendra la France après la mort de Cousin. C’est lui qui disait, assez insolemment pour nous catholiques et pour ce que nous croyons la vérité : « Le catholicisme en a encore pour trois cents ans dans le ventre. Je passe et je lui ôte mon chapeau. » Eh bien, nous renvoyons le compliment à Cousin, mais nous le lui ferons plus aimable ! L’éclectisme, qui n’a jamais eu rien dans le ventre d’ailleurs, n’en a pas pour vingt années, malgré la graine de professeurs que Cousin a semée. C’est lui qui passera, et nous, par exemple, nous ne lui ôterons pas notre chapeau !