(1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »
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(1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

Ch.-L. Livet

Précieux et Précieuses.

I

Ne croirait-on pas, à un pareil titre, — Précieux et Précieuses 17, — que ce livre est un coup d’audace ?… Ou il doit recommencer sérieusement, ce qui ne manquerait pas de hardiesse, la comédie de Molière, cette comédie des Précieuses, qui n’a point passé comme le temps qu’elle a peint, et dans laquelle tout est resté aussi vrai et aussi réel que cet éternel bonhomme que Molière met partout, ce Gorgibus qui est Chrysale ailleurs, et Orgon, et même Sganarelle ; car Sganarelle, c’est Gorgibus avec quelques années de moins et une… circonstance de plus ; ou bien — ce qui serait beaucoup plus crâne encore — il doit être, ce livre, la défense enfin arborée des Madelon et des Cathos contre les moqueries de Molière, la négation des ridicules mortels qu’il leur a prêtés, et la cause épousée par un spiritualiste du xixe  siècle de ces idéales méconnues qui tendaient à s’élever au dernier bien des choses, et voulaient des sentiments, des mœurs et une langue où tout fût azur, où tout fût éther !

Précieux et Précieuses ! Avec un pareil titre, il n’y a pas de milieu, ce semble. Ce sont les Précieuses réhabilitées et Molière sifflé qui les siffla, ou c’est le sifflet de Molière qu’on s’est permis de ramasser et dont on tire un son… posthume ! L’histoire ne s’écrit que parce qu’on hait ou qu’on aime, parce qu’on méprise ou qu’on admire. Sauf cela, qui écrirait l’histoire ? qui agiterait cette cendre de choses mortes, cette poussière d’inutilités ?…

Et pour mon compte, avant d’ouvrir ce livre, c’est à ce dernier parti que je m’arrêtais. Je le dis en toute humilité (en toute humilité, puisque je me trompais), je croyais à la réhabilitation complète des Précieuses de la part d’un homme qui s’avise d’en écrire l’histoire. Elle me semblait plus dans l’air du temps qu’autre chose. L’air du temps est aux réhabilitations. Cela donne un air de juges intègres et de Perrins Dandins aux éclectiques du xixe  siècle. L’air du temps est aussi aux paradoxes, mais beaucoup moins ; car le paradoxe implique de l’invention dans l’esprit, chose rare ! Il roule aussi l’idéal (l’idéal ! comme on dit), l’air du temps. Un Allemand, un précieux moderne, — et, ma foi ! c’est M. de Schlegel, — a commencé la réaction contre Molière, qu’il accuse nettement d’abaissement et de vulgarité, et il lui préfère, l’éminent critique ! le La Grange qui a fait le Mât de cocagne, et qui n’est pas du tout ce marquis de la Grange chez lequel servait Mascarille,

D’un autre côté, Cousin, en voulant nous faire admirer les Cathos princesses, nous a autorisés, nous autres démocrates, à admirer toutes les espèces de Cathos. Il n’y eut point de ridicules au xviie  siècle, Cousin l’a dit, et au xixe nous cousinons tous ! Enfin, dernière raison, et la plus puissante, quand on a mis son pied dans ce qu’on appelle présentement le réalisme, il n’est pas étonnant que d’horreur on s’en aille l’essuyer jusqu’au balai du petit laquais Almanzor ! En face de MM. Courbet, Champfleury et leurs œuvres, il n’y a plus de précieuses ridicules !

Eh bien, ce que j’imaginais n’est point arrivé, et Charles Livet a trompé ma prévoyance ! Il n’a point réhabilité bravement les précieuses, mais il ne s’est point mis non plus entièrement du côté de Molière contre elles. Il n’a point ajouté le poids de son bilboquet à la massue de cet Hercule.

Malgré les sévérités embarrassées et entortillées de son livre, il n’est pas, au fond, un méchant homme pour les dames, ce Livet. Il a sucé le lait des tendresses humaines dans la tétrelle de Cousin, et, s’il osait, il serait plus pour les précieuses que contre elles. Allez ! il voudrait bien tirer ces pauvres victimes, après tout, de dessous les plaisanteries de Molière, — ces plaisanteries gravées sur un marbre éternel, et sous lesquelles le Titan du grand rire les a écrasées ; mais il craint que le ridicule qui pèse sur elles, par ricochet ne tombe sur lui. Et il a raison ! il en attraperait quelque chose. C’est un esprit qui a la prudence de sa timidité, une jeune chauve-souris d’entre-deux, qui n’est ni souris ni oiseau dans ses jugements littéraires, et qui n’a trouvé rien de mieux, pour éviter l’inconvénient des partis extrêmes et des points de vue absolus, que de se blottir dans la toile d’araignée de cette distinction : il y a précieuses et précieuses, comme il y a fagots et fagots ! Livet s’est sauvé par cette bonne distinction, qui sauve toujours son homme, a dit Pascal, qui connaissait cette porte de derrière et cet escalier dérobé.

II

La distinction de Livet entre les précieuses ridicules et les précieuses qui ne le sont pas, est essentiellement aristocratique. Livet est aristocrate et fortement centralisateur. Il convient d’une préciosité de bourgeoisie et de province, qui méritait, dit-il, tout sur ce point : « les piquants tableaux de Molière et de Saumaise » ; mais celle-là dont l’hôtel de Rambouillet fut le berceau et le théâtre, c’est-à-dire celle des femmes de la ville et de la cour, ne mérite que l’intérêt et le respect de l’histoire. Cette préciosité, dit toujours Livet, fut la gloire du xviie  siècle, autant « que le ministère de Richelieu, les grands soumis à la loi, la maison d’Autriche abaissée, l’équilibre européen rétabli et le traité des Pyrénées ». Une femme justement vénérée exprime cette autre gloire, et c’est par cette femme, naturellement, que Livet ouvre son livre. C’était la marquise de Rambouillet, Catherine de Vivonne, qui massa autour de sa jupe les beaux esprits du temps et régna dans cet empire de l’idéal, sous l’anagramme d’Arthénice.

Certes ! ce fut un bien magnifique empire que le sien, et elle fut une bien grande reine aux yeux de ces poètes, ses sujets ; mais aucun d’eux, aucun de ces adorateurs, aucun de ces tournesols, comme on disait alors, dont elle était le soleil, ne l’a vue et ne l’a jugée de son vivant comme Livet l’a vue et l’a jugée, maintenant qu’elle est morte, mais non oubliée, car l’heure pour elle est propice ! Pendant qu’elle vivait, elle faisait chanter les Benserade, les Scudéry et les Voiture, et tous ces oiseaux légers de la fantaisie et de la flatterie toujours si près de s’envoler, en leur donnant toutes sortes de pâtées, — la pâtée de l’accueil, du sourire et des fêtes, et la pâtée de la pâtée ; car on soupait et on collationnait très bien à l’hôtel Rambouillet, et c’était assez pour qu’ils ramageassent leurs madrigaux et leurs sonnets. Mais Livet n’est point un madrigaliste ; il est un historien, et son admiration, à lui, est désintéressée. Elle est gratuite et impayable. Il mourra rêvant Rambouillet, lui qui, s’il en eût pu voir seulement la porte, serait peut-être entré dans le fameux salon bleu comme ce jeune romantique, fort connu à Paris, qui entra un jour, nageant d’admiration, dans le salon de Hugo ! Désintéressé donc et historien, Livet a compris et expliqué avec profondeur le rôle d’Arthénice. C’était mieux que de la chanter.

Homme de son temps (c’est l’éloge du temps), et voyant partout, comme les historiens de ce temps, des influences, il a pénétré celle qu’exerça la marquise de Rambouillet : « Sous cette influence — dit-il — les hommes commencèrent à rechercher la société des femmes, qu’ils n’avaient jamais recherchée jusque-là. » On le sait, ils vivaient dans les bois !… Ce n’est pas tout. En recevant chez elle des gens de lettres mêlés à des gentilshommes, elle préludait à 89. Elle était 89 autant qu’on pouvait l’être alors. Et ce n’est pas tout encore ! Elle inventait la décence et la langue française. Elle faisait venir d’Italie la délicatesse et la galanterie, inconnues totalement à Paris, et d’Espagne la noblesse et la gravité, non moins inconnues, et elle les acclimatait. Enfin (et voici son chef-d’œuvre !), sur toutes ces choses et pour les couronner, elle pondait ce bel œuf de cygne, la conversation.

Est-ce assez comme cela d’ironie, et Livet se moque-t-il de nous ?…

III

Non ! il ne s’en moque pas. Il en est incapable. Il est très sincère, mais il voit ainsi ; c’est un malheur, ce n’est pas une impertinence. Pour lui, la marquise de Rambouillet a bien réellement cette fécondité et cette grandeur. Il oublie que la conversation est un genre de génie tout individuel, intransmissible, incommunicable, qui peut jeter sa flamme dans le monde comme elle peut la jeter partout ailleurs ; mais qu’elle ne tient à aucune atmosphère, qu’elle n’est ni une routine, ni une éducation, ni un procédé, et que quand elle devient une manière d’être générale elle n’est plus qu’une médaille effacée, tombée à l’état de monnaie qu’on se passe de main en main et que chaque main efface un peu plus ! Il oublie cela, et il la fait sortir, cette conversation, cette gloire française (comme s’il y avait une conversation française), de cette précieuse, accorte dans les riens et trônant dans le vide au milieu de ces poètes parasites, domestiques et faméliques, d’entre le bichon et la perruche, d’entre le tabouret et le perchoir.

Encore si cette sublime Arthénice avait eu l’esprit de cette bourgeoise d’esprit que Livet met parmi les précieuses, quoiqu’elle fût tout le contraire d’une précieuse, de cette madame Cornuel qui eût fait rire si elle l’eût voulu, disait-on d’elle, de la bataille de Rocroi. Mais madame de Rambouillet !… De même il croit de très bonne foi que, dans un pays qui avait dans sa tradition des siècles de chevalerie française, besoin était, à l’époque de Mazarin et de Richelieu, d’importer des pays étrangers de la galanterie et de la délicatesse, comme il était besoin aussi d’inventer une langue qui avait eu pour pères Rabelais, Montaigne et Régnier ! Il ne se doute pas, enfin, que ce commencement du xviie  siècle, mis aux pieds de quelques femmes par des sigisbées littéraires, n’était, à le bien considérer, que le xvie  siècle tombé en quenouille, et que l’histoire même qu’il écrit le prouve avec une invincible clarté.

En effet, les événements y sont de la même taille que les personnes. Tout y est petit de ce qui lui paraît si grand. Toute cette grave histoire, c’est celle d’une société qui passa sa vie à jouer aux petits jeux et aux petits vers, et qui eut la triste puissance de rapetisser une minute Condé et Bossuet. Il n’y a que Livet qui ne rie pas, qui ne sourie pas, qui ne bâille pas, quand il nous rapporte les insupportables descriptions de ces fêtes solennellement sottes qu’on donnait à l’hôtel de Rambouillet (exemple celle de la page 14 de l’introduction, dont il prend la relation à Voiture). Comme encore il n’y a que lui, lui, Livet, qui puisse trouver galantes, légères et agréablement mystificatrices les plaisanteries de cette société italiennement délicate, mais bouffonne, qui adorait les surprises, abandonnées depuis aux bourgeois, et vanter ces délicieuses attrapes qu’elle se permettait, comme celle de l’habit rétréci du comte de Guiche pour lui faire croire qu’il avait enflé pendant la nuit et qu’il était empoisonné. Niaiseries d’oisifs, détails inouïs de platitude recueillis avec un respect si comique, on se demande vraiment si c’est là de la littérature ou si c’est de l’esprit de société ? Alors on comprend la tristesse, encore plus comique que le respect, de l’historien quand il s’aperçoit qu’il ne sait pas plus exactement le moment où commencèrent que celui où se terminèrent de si belles choses. Perte éternellement regrettable ! « Il est aussi impossible de dire quand les réunions de Rambouillet ont commencé que quand elles cessèrent », écrit-il avec un découragement profond. C’est à se brûler la cervelle !

Cependant il y a lieu de croire que la Fronde dispersa Rambouillet et que toutes ces vessies que l’on prenait pour des lanternes crevèrent aux Barricades. Plaisirs ridicules emportés par une guerre ridicule ! Ce qui tua ne valait pas mieux que ce qui fut tué. Le dernier exploit de la divine Arthénice fut l’établissement d’un jet d’eau.

IV

L’histoire de madame de Rambouillet, la mère fondatrice de toutes les précieuses, la plus importante de toutes les histoires du recueil de Livet parce qu’elle exprime le plus d’idées générales sur la préciosité au xviie  siècle, est suivie de plusieurs autres biographies de précieux célèbres, plus ou moins rambouilletisants. Ainsi nous avons Chapelain et ses rhumes, qui importent tant à la postérité ! Ainsi Cotin, l’abbé Cotin, le faiseur de charades, ce sphinx poétique qui ne dévora jamais personne, et dont Boileau fit l’épluchette que vous savez.

Malgré la révérence que Livet a « pour la justice des siècles », il s’est risqué à louer Cotin ; mais il a fait comme cet homme, bien touchant de civilité, qui, pour se moucher et amortir le bruit trop fort de sa trompette, se tournait toujours discrètement et décemment du côté du mur. Ainsi Conrart ; mais pour Conrart il a été moins troublé et moins intimidé par la justice des siècles. J’oserai dire, fait-il, j’oserai dire que Conrart savait le latin ! Ainsi encore l’abbé d’Aubignac, le bravache Scudéry, et Bois-Robert, ce Triboulet du roi Richelieu, ce vieux matou parmi ses jeunes chats ! Je ne crois point que l’on ait écumé plus avant le fond de pot du xviie  siècle. Je ne crois point que la rage de la biographie ait rattrapé plus loin ce qui s’y noyait, disparu, caricatures exhumées auxquelles il fallait un Hogarth, mais auxquelles l’Hogarth a manqué.

Parmi ces figures grimaçantes, il en est deux pourtant qui se détachent, je ne dirai pas en beau, mais en moins laid, sur la grisaille de toutes les autres. Ce sont deux femmes qui ne furent pas précieuses et qui sont là on ne sait pas pourquoi… peut-être parce qu’elles devraient n’y être pas. L’une est cette madame Cornuel dont j’ai parlé plus haut, une madame Pernelle, terrible et charmante, qui a laissé autant de mots que Rivarol, mais d’un tout autre calibre, moins fastueux, mais plus meurtriers. Livet en a cité quelques-uns. Que n’en citait-il davantage ? Son travail en eût valu mieux.

Cette madame Cornuel, bien loin d’être une précieuse, n’avait pas été prude dans sa jeunesse, et, vieille, se moquait de la quintessence. Son esprit était la diablerie du bon sens contre l’homme ou la femme qui fait l’ange et la bête. L’autre est mademoiselle de Gournay, qui, sans être une précieuse non plus, était du moins une fille savante, très ressemblante aux bleues d’à présent, mais plus aimable. Peut-être parce qu’il est plus loin, son bleu paraît plus doux…

Fille adoptive de Michel Montaigne, qui avait fourré ses jeunes mains dans le manchon du vieux sceptique, elle les en avait retirées pénétrées de son influence, et cette influence lui était restée. Elle avait l’alacrité et l’audace, le bec et les ongles, et la cape, et la canne à corbin, et les hauts talons pour marcher sur tout et s’élever jusqu’à hauteur d’homme. Elle se croyait ni plus ni moins qu’un homme… parce qu’elle s’était durcie dans la science, dans l’implacable pureté du cœur. Virginité passé au verjus, elle aurait été en 48, si elle avait vécu, du Club des femmes. Elle eût mordicus soutenu l’égalité des sexes, qu’elle soutient déjà en 1630 ; mais voyez qu’elle est peu pédante ! « Est-il rien de plus semblable à un chat sur une fenêtre qu’une chatte ?… » nous dit-elle gaiement pour appuyer sa thèse. Madame Daniel Stern n’a point certainement cette grâce-là !

Telle est la composition du volume sur les précieux et les précieuses. Ce qu’il y a de plus intéressant dans ce livre ne les concerne pas. On le conçoit très bien. Aristocratiques ou bourgeoises, provinciales ou citadines, selon la distinction de Livet, ces idéales de travers, ces bons sens renversés comme leurs noms, dont elles faisaient des anagrammes, ces précieuses enfin de l’hôtel de Rambouillet ou d’ailleurs, ne méritaient pas vraiment l’honneur d’une histoire. Si vous les regardez sérieusement, elles sont ennuyeuses comme tout ce qui est faux. Je défie bien de lire de suite sans être écœuré cette Guirlande de Julie que Livet a transcrite à la fin de son ouvrage, pour nous démontrer, sans nul doute, l’influence heureuse de ces affreuses fadeurs sur la langue et la littérature.

Ah ! le mal qu’elles lui ont fait plutôt est inexprimable ! Elles ont affaibli, amolli tout ce qui était fort avant elles, tout ce qui était primitif, familier, tout-puissant de nature et de simplicité ! Torpilles caressantes de la langue qu’elles ont engourdie, elles l’alanguissent sous prétexte de tendresse, elles la pâlissent sous prétexte de distinction, et si elles avaient pu lui soutirer tout le sang de ses veines, à cette langue généreuse qui venait de bouillonner avec les passions de deux siècles, elles l’eussent remplacé comme on remplace le sang des morts, par des infusions de parfums. Demandez-vous ce qu’elles ont fait de Benserade et de Voiture, ces embaumeuses de poètes, ces momies ? Sans elles, Voiture, oublié maintenant, d’enjouement et d’esprit aurait valu Voltaire. Ces sirènes corruptrices mirent des concetti dans le vieux Corneille, et, dans cet invulnérable de goût et de génie qu’on appelle Racine, surent trouver le tendon d’Achille, qu’elles ne coupèrent pas, mais qu’elles énervèrent.

Ah ! Rambouillet ! Rambouillet ! j’aime mieux pour mon compte le cabaret dont Faret charbonnait les murs ! Tout périssait sous cette vapeur de la serre chaude de Rambouillet, sous cette asphyxie de madrigaux et de bel esprit, sans cette charmante La Fayette, que toutes leurs mignardises n’avaient pu étioler et qui un jour balaya toutes leurs fausses fleurs avec un bouquet de fleurs vraies (la Princesse de Clèves). Alors la langue, pâle narcisse qui s’en allait mourant, reprit sur sa tige, et le naturel fut sauvé !

Mais Livet a donné dans l’erreur commune, l’erreur du moment. Il n’a pas le tempérament fanatique. Il y a donné comme il pouvait y donner. Il s’est laissé couler là-dedans… L’erreur du moment, c’est que la langue du xviie  siècle doit quelque chose à cette poignée de femmelettes affectées qui faisaient les hommes et la littérature à leur image. Jugez-en par cette Guirlande de Julie ! Cette littérature n’est pas plus lisible que ne sont portables les jupons de peau d’Espagne dans lesquels elles entortillaient leurs affectations.

Les grands hommes qui donnèrent à la langue de Louis XIV, je ne dis pas son caractère définitif, — car une langue ne finit jamais que quand on ne la parle plus, — mais les chefs-d’œuvre qui l’assirent et la posèrent dans sa majesté, sont sortis des grands écrivains du xvie  siècle, qui en a de si grands, et non pas des précieuses, ces bréhaignes, qui ont tué des poètes, mais qui n’en ont jamais fait un. Livet, qui veut être à la mode et, par la mode, faire son petit chemin ; Livet, qui suit ses maîtres (il est de la suite de Monseigneur, mais il ne grippe pas beaucoup de soleil !), ne pouvait pas avoir une opinion si malhonnête pour l’hôtel de Rambouillet, restauré et remis à neuf par Cousin, qui en est le peintre décorateur. Lorsqu’on réédite Cyrus, il est bien permis à Livet de gratter le papier en l’honneur de Cotin ou de tout autre cuistre du xviie  siècle. Cela deviendra même une question : y avait-il des cuistres au xviie  siècle ? Pour prouver qu’il n’y en avait pas, on prendra les Satires de Boileau, et on y répondra par des biographies. Aujourd’hui, voici les Précieuses ! Qu’aurons-nous demain ?

Ce qu’il y a de certain, du reste, c’est que parmi tous ces engoués du xviie  siècle, qui le retournent pour y chercher quelque grimaud bien oublié à remettre en lumière et s’en faire honneur, il ne s’en trouvera pas un seul qui ait le cœur de nous donner, par exemple, la vie de saint Vincent de Paul, qui était bien aussi pourtant du xviie  siècle, et qui n’a pas encore une bonne histoire. Vincent de Paul, allons donc ! l’abbé de Pure, plutôt !