LALANE, [Pierre] Poëte qui vivoit du
                            temps de Ménage. Il ne fit imprimer que trois Pieces,
                            parce que la délicatesse de son goût ne lui permit pas, dit-on, d’en
                            faire paroître davantage. On eût pu ajouter qu’il en avoit mis au jour
                            deux de trop, car il n’y a que ses Stances à Ménage
                            qui vaillent la peine d’être lues. En passant légérement sur
                            quelques-unes qui sont minces, ou qui ne sont que des répétitions, nous
                            rapporterons ici les meilleures, afin de convaincre qu’il n’est point
                            d’Auteur médiocre où l’on ne puisse trouver des traits estimables. Il
                            s’agit, dans ces 
Stances, d’inviter Ménage à venir habiter la campagne.
                        
                            Affranchis-toi, romps tes liens,
                            Quelque légers qu’ils puissent estre,
                            Viens, Ménage, en ce lieu champestre,
                            Où, content de tes propres biens,
                            Tu n’auras que toi pour ton Maistre
                         
                        
                            Non que le Maistre que tu sers
                            Ne soit un homme incomparable,
                            Qu’il n’ait un mérite adorable,
                            Et que la douceur de tes fers
                            Ne soit charmante & désirable.
                         
                        
                            Lui-mesme viendroit dans ces bois,
                            Jouir, au murmure de l’onde,
                            D’une félicité profonde,
                            Si les oracles de sa voix
                            N’estoient pour le sa’ut du monde.
                         
                        
                            Toi qui peux prendre ce loisir,
                            Fuis le tumulte de la ville ;
                            Et si tu veux estre tranquille,
                            Ton ame ne sauroit choisir
                            Un plus délicieux asile….
                         
                        
                            Les plaisirs y sont purs & doux,
                            Comme l’air que l’on y respire ;
                            
                            L’innocence y tient son empire,
                            Et chacun, sans estre jaloux,
                            Y possede ce qu’il désire….
                         
                        
                            La plus éclatante grandeur,
                            Pour qui le Courtisan s’immole,
                            Nous est moins qu’une vaine Idole,
                            Et nous méprisons la splendeur
                            De tous les trésors du Pactole.
                         
                        
                            Nous n’avons sçu que trop souvent
                            Tout ce que peut un beau visage ;
                            Mais par un tel apprentissage,
                            Notre cœur, devenu savant,
                            En est aussi devenu sage.
                         
                        
                            Ici, comme dans un miroir,
                            Nostre ame à soi-mesme connue,
                            Et de nulle erreur prévenue,
                            Se considere & se fait voir
                            Libre, sans fard, & toute nue.
                         
                        
                            Des violentes passions,
                            Qui la tenoient enveloppée,
                            Comme d’un dédale échappée,
                            A bien régler ses actions
                            Elle est seulement occupée….
                            
                            Viens donc en ces lieux peu battus,
                            Où la Fortune & ses caresses,
                            L’Amour & toutes ses tendresses
                            Cedent aux solides Vertus,
                            Qui sont nos biens & nos maistresses.
                         
                        
               Lalane avoit épousé Marie Galtelle des
                                Roches, qui, selon lui, étoit une des plus belles femmes de son
                            temps. Une mort prématurée la lui enleva. Après l’avoir célébrée pendant
                            sa vie, il la célébra après sa mort, & l’on soupçonneroit son amour
                            ou ses regrets d’avoir été très-foibles, à en juger par les Vers que M.
                            de Saint-Marc a eu tort de recueillir contre
                            l’intention de l’Auteur, qui n’avoit fait que leur rendre justice en les
                            déclarant indignes de voir le grand jour.