(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 6-7
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 6-7

Racan, [Honorat de Beuil, Marquis de] l’un des premiers reçus à l’Académie Françoise, né à la Roche-Racan en Touraine en 1589, mort en 1670.

Malherbe d’un Héros peut vanter les exploits,
Racan chanter Philis, les Bergers, & les Bois.

Ce dernier Vers consacre tout-à-la-fois les louanges de ce Poëte, & fixe la juste idée qu’on doit avoir de ses talens. Avant lui, la Poésie pastorale se réduisoit à un jargon plein de fadeur & de mauvais goût. Racan est le premier qui ait su faire rendre aux chalumeaux François ces sons doux & naïfs qui firent autrefois les délices & la gloire de l’Italie. Ses Bergeries ont un naturel, une délicatesse, une harmonie qui en fait retenir avec plaisir la plupart des Vers. Il avoit principalement le talent d’exprimer avec grace jusques aux plus petites choses : « C’est en quoi, disoit* Boileau, il ressemble mieux aux Anciens, que j’admire sur-tout par cet endroit ; plus les choses sont seches & mal aisées à dire en Vers, plus elles flattent quand elles sont dites noblement & avec cette élégance qui fait proprement la Poésie ».

Cet habile Critique lui reconnoissoit encore autant de génie pour réussir dans la Poésie sublime, que dans la Poésie simple :

Tout Chantre ne peut pas, sur le ton d’un Orphée,
Entonner en grands Vers la Discorde étouffée,
Peindre Bellone en feu, tonnant de toutes parts,
Et le Belge effrayé fuyant sur ses remparts.
Sur un ton si hardi, sans être téméraire,
Racan pourroit chanter, au défaut d’un Homere.

Les Odes que nous avons de Racan ont décidé cet éloge, & le mettroient même au dessus de Malherbe, si elles avoient autant de pureté & de correction, qu’elles ont d’élévation & d'enthousiasme. On est fâché, pour sa gloire, que trop de confiance dans sa facilité l’ait jeté dans la négligence ; c’est pourquoi Malherbe disoit que de Racan & de Maynard on auroit fait un grand Poëte.

En effet, il y a des morceaux dans les Odes de Racan, qui ne le cedent point aux plus beaux Vers de Malherbe ; telles sont les deux Strophes que voici :

Que te sert de chercher les tempêtes de Mars,
Pour mourir tout en vie au milieu des hasards
Où la gloire te mene ?
Cette mort, qui promet un si digne loyer,
N’est toujours que la mort qu’avecque moins de peine
L’on trouve en son foyer.
Que sert à ces Héros ce pompeux appareil
Dont ils vont dans la lice éblouir le Soleil
Des trésors du Pactole ?
La gloire qui les suit, après tant de travaux,
Se passe en moins de temp que la poudre qui vole
Du pied de leurs chevaux.