(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 115-117
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 115-117

Rochon de Chabannes, [N.ABCD] né à Paris en 17.. Auteur de quelques petites Comédies en Vers, si l'on peut donner ce nom à des Pieces sans intrigue & sans comique, mais pleines de traits pétillans, de détails légers, qu'on peut comparer au jeu d'un feu d'artifice qui éblouit un moment.

Le succès dont jouissent Heureusement, & la Matinée à la mode, ne prouve autre chose, sinon que la fureur de l'épigramme & des petites gentillesses absorbe tout, & qu'aujourd'hui l'esprit & quelques saillies tiennent lieu de talent. Mais, malgré les applaudissemens du Parterre, les vrais Littérateurs sauront toujours à quoi s'en tenir. Ils ne reconnoîtront dans l'accueil qu'on fait à ces sortes de Productions, que la corruption du goût des Spectateurs ; & dans les Auteurs, que l'impuissance d'atteindre à ce vrai comique, sans lequel il n'est plus de Comédie.

Pour mériter des suffrages éclairés, il ne suffit pas d'avoir un coloris brillant, le style passager du jour, de savoir dialoguer une Scene, égayer un instant par de bons mots ; il faut inventer un sujet, le dessiner avec justesse, le développer avec grace, le conduire à un dénouement facile & pourtant imprévu. Il faut encore posséder l'art d'enchaîner naturellement les Scenes, d'exposer des caracteres variés & soutenus, d'amener des situations comiques qui sortent du sujet, de plaire enfin au Spectateur, sans l'égarer dans des routes nouvelles, & par-là même suspectes. C'est précisément ce qu'on chercheroit en vain dans presque tous nos Auteurs actuels. Ils aiment mieux plaire quelques instans, se faire applaudir aux dépens du goût & de la raison, que de s'assujettir aux regles qu'exige la véritable Comédie. Ainsi, pourvu qu'ils viennent à bout de se procurer une gloire éphémere, ils ne craignent pas de dégrader le talent, en détruisant l'Art même, qui se perd quand il sort de ses limites.

La principale raison de ce désordre, qui augmente chaque jour, est qu'il sera toujours plus facile de composer cinq ou six Comédies dans le genre de la Matinée à la mode, que d'en faire une dans celui du Joueur ou du Glorieux, ou de la Métromanie, qui exigeroit plus de temps elle seule, qu'il n'en faut pour en composer douze de l'autre espece. Ne vaudroit-il pas mieux se guérir de la démangeaison du Théatre, si on est sans talent, ou, si l'on en est pourvu, se borner à ne produire dans tout le cours de sa vie qu'une ou deux bonnes Pieces, que d'amuser le Public par des bagatelles qui passent bientôt de vogue, sans avoir le mérite de reparoître une seconde fois avec succès ?

M. Rochon de Chabannes, qui a le talent de saisir les ridicules, mais qui se contente de les effleurer, auroit pu prétendre à la gloire de réussir dans le haut comique, s'il ne se fût pas laissé trop entraîner au ton dominant. Ce n'est pas au caprice du Public à diriger la maniere des Auteurs : c'est aux bons Auteurs à fixer le caprice du Public, en lui présentant des Ouvrages d'accord avec le goût & la raison.