(1767) Salon de 1767 « Peintures — Belle » p. 127
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(1767) Salon de 1767 « Peintures — Belle » p. 127

Belle

l’archange Michel, vainqueur des anges rebelles. tableau de 9 pieds de haut, sur 6 pieds de large.

Ce tableau n’y était pas, et tant mieux pour l’artiste et pour nous. L’artiste Belle n’était pas bastant pour une composition de cette nature, qui demande de la verve, de la chaleur, de l’imagination, de la poésie. Belle, peintre de batailles célestes, rival de Milton ! Il n’a pas dans sa tête le premier trait de la figure de l’archange, ni son mouvement, ni le caractère angélique, ni l’indignation fondue avec la noblesse, ni la grâce, ni l’élégance et la force. Il y a longtemps qu’il n’est plus, celui qui savait réunir toutes ces choses. C’est Raphaël. Et les anges rebelles, comment les aurait-il désignés ? Surtout s’il n’avait pas voulu en faire, à l’imitation de Rubens, des espèces de monstres, moitié hommes, moitié serpens, vilains, absurdes, hideux, dégoûtans ? L’artiste ou le comité académique en excluant du sallon la composition de Belle a fait sagement, il y avait déjà un assez bon nombre de mauvais tableaux sans celui-là. Ceux qui ont été assez bêtes pour aller demander à Belle un morceau de cette importance seront vraisemblablement assez bêtes pour admirer sa besogne ; laissons-les s’extasier en paix, ils sont heureux, peut-être plus heureux devant le barbouillage de Belle, que vous et moi devant le chef-d’œuvre du Guide et du Titien. — C’est un mauvais rôle que celui d’ouvrir les yeux à un amant sur les défauts de sa maîtresse ; jouissons plutôt du ridicule de son ivresse. Le comte de Creutz, notre ami, se met tous les matins à genoux devant l’ Adonis de Taraval, et Denis Diderot, votre ami, devant une Cléopâtre de Madame Therbouche.

Il faut en rire… en rire, et pourquoi ? Ma Cléopâtre est vraiment fort belle, et je pense bien que le comte de Creutz en dit autant de son Adonis  ; tous les deux amusans pour vous, nous le sommes encore, le comte et moi, l’un pour l’autre. Si nous pouvions, par un tour de tête original, voir les hommes en scène, prendre le monde pour ce qu’il est, un théâtre, nous nous épargnerions bien des moments d’humeur.