(1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41
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(1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Première partie. Écoles et manifestes

Les influences

NATURISME, HUMANISME, RENAISSANCE CLASSIQUE. ANARCHIE ET RÉACTION. — NIETZSCHE ET MALLARMÉ. — BARRÈS ET ZOLA. — LE PONCIF SOCIAL. — POÉSIE SCIENTIFIQUE.

La confusion est générale. Elle a gagné le domaine littéraire après l’action politique. À en croire les industriels, les économistes, les coloniaux, les commerçants, les agriculteurs, ils auraient les mêmes motifs de gémir et d’accuser l’anarchie universelle, destructrice des réserves morales du passé, de ses méthodes et de ses espoirs. On ne doit donc plus s’étonner de cette confusion des genres, cause première de notre décadence générale, Encore ne faudrait-il point nous abuser sur les mots. Actuellement, il est impossible d’affirmer ce que présage la confusion dont on se plaint : décadence ou rénovation. Est-ce une société qui meurt, est-ce une société qui va naître ?… Avons-nous des précurseurs ou bien voyons-nous les dernières lueurs de l’esprit français ?

La situation géographique de notre patrie, ses ressources intellectuelles, la force de nos atavismes, le bon sens indéfectible de la race permettent, néanmoins, les espérances les plus vastes. Il est difficile de prophétiser, il est plus consolant d’espérer. Constatons seulement, — puisqu’il est indéniable, — le malaise d’aujourd’hui.

L’anarchie littéraire a été préparée par ceux-là mêmes qui sont, depuis, revenus aux méthodes sévères d’un art classique. Par réaction contre les pastiches, contre la pâle littérature des auteurs officiels, la jeunesse symboliste brisa les barrières, voulut aérer le palais des Muses. Quinze ans plus tard, on assiste à ce spectacle curieux, d’anciens libertaires, — nous parlerons au sens littéraire, — redevenus les gardiens de la tradition, tandis que le public commence à admettre des innovations désormais caduques.

Comme toujours, l’Université consacre les réformes, à l’heure même où elles sont généralement abandonnées. Mais ce n’est point dans les livres quelle inspire, que le lettré cherchera le tableau de la nouvelle littérature dont le caractère le plus apparent est une sorte d’inquiétude, un état de crainte permanente, de regrets, une tendance à revenir en arrière. Dans le désarroi universel des énergies, on ignore le but poursuivi, on redoute l’émotion pour rechercher la sensation et, depuis qu’on ne cesse de nous répéter qu’il faut aller vers la Vie, qu’il faut vivre, la quantité des œuvres artificielles n’a cessé d’augmenter. La nuance a détrôné la couleur, l’écriture a détrôné le style, les thèses et les systèmes ont chassé la vie. Aucune époque ne fut aussi pauvre en romans et en comédie de mœurs. Dans la hâte de tout savoir et de tout comprendre, on aboutit à l’abâtardissement unanime des genres.

Et si même, — comme on le prétend à tort, — on ne lisait plus en France, il faudrait avouer que la faute en remonte aux écrivains.

M. René Boylesve déclare (Gil Blas, 23 août 1904) :

« La tendance la plus nette qui m’apparaisse est celle qui aboutit à tout confondre ; la politique avec le sentiment ; la raison avec la passion ; les pouvoirs entre eux ; l’oppression avec la liberté, l’art avec la science ; la littérature avec la peinture, avec la musique, avec la morale, avec la philosophie, avec la sociologie, voire avec la carrière littéraire !

« Après 1870, Flaubert attribuait notre décadence au même vice, déjà ; il appelait cette confusion “fausseté” et il en voyait la cause dans un reste de romantisme, à savoir :

« “La prédominance de l’inspiration sur la règle.” Je ne veux pas discourir sur cette opinion qui ne me paraît pas dénuée de bon sens ; je me borne à constater d’une part : que le plus grand nom et le plus original que l’art du roman ait produit avec chance de durée, depuis Flaubert, est Maupassant, qui reçut de son maître la règle et ne s’en cacha point ; et, d’autre part, que jamais plus qu’aujourd’hui on ne poussa plus loin l’aversion d’une discipline, ni la croyance à l’inspiration individuelle. C’est que former son talent compte aujourd’hui pour peu de chose ; c’est un génie qu’il faut être d’emblée, et le préjugé court qu’un génie est nécessairement un esprit indompté, tumultueux, semblable aux éléments déchaînés, de préférence un peu fou…

« Ce que je regrette aujourd’hui, c’est qu’aucune voix ne soit assez forte ou assez autorisée pour rétablir un peu d’ordre dans la confusion générale, remettre la littérature à sa place, et dans la littérature, apprendre, sans pédanterie et avec le ton persuasif d’une belle foi d’artiste, à discerner la beauté propre à chaque genre. »

De cette confusion, la responsabilité se répand de Victor Hugo à M. Jules Lemaître et aux Parnassiens. Lorsque l’auteur des Contemporains déclare préférer à Bossuet « cette littérature de la seconde moitié du xixe  siècle, si intelligente, si inquiète, si folle, si morose, si détraquée, si subtile » et l’aimer « jusque dans ses affectations », le trop intelligent critique justifie les erreurs qu’il condamnera bientôt.

Louis Blanc écrivait en février 1839 dans la Revue du Progrès : « On a essayé de faire frémir à la fois toutes les cordes de l’âme humaine, faute de pouvoir en faire résonner assez puissamment une seule », et envisageant l’avenir littéraire, il prévoyait les désastres du romantisme. Aussi lorsqu’en 1897, à propos de M. F. Gregh, le rapporteur des prix à l’Académie, M. Gaston Boissier, constate que « plus personne ne se contente de son métier et ne peut s’empêcher d’empiéter sur celui des autres » il ne fait que confirmer la réalisation des craintes soulevées, cinquante ans plus tôt, par l’auteur de l’Histoire de la Révolution.

Dans une étude de la Revue des Deux Mondes, M. René Doumic (Le Bilan d’une génération, 1902) développa avec des conclusions identiques une thèse semblable :

« Réputé jadis pour son bon sens un peu court, et pour la lucidité de son esprit étroit, le Français se découvrit tout à coup une intelligence indéfiniment compréhensive. Nulle idée ne lui paraissait plus vraie ou fausse mais vraie et fausse tour à tour ou tout ensemble. Entre le bien et le mal, il n’apercevait plus d’opposition irréductible. Nulle part aucune distinction tranchée, mais seulement des nuances imperceptibles se résolvant l’une dans l’autre par une série de dégradations continues. Nulle assertion qui ne dût être aussitôt corrigée par l’assertion contraire. Une rhétorique nouvelle enseignait à ménager d’habiles transitions, en sorte que la fin de chaque phrase en détruisit le commencement. Entraîné d’un pôle à l’autre et sans cesse emporté dans un mouvement de pendule, l’esprit devenait incapable de se fixer, c’est-à-dire de choisir, de conclure et de se décider. Il fallait tout comprendre, partant tout admettre. Un seul état d’esprit paraissait intolérable ; c’est ce qu’on appelait entre initiés “l’horrible certitude”. L’origine de ce mouvement remonte à Renan dont l’influence a si lourdement pesé sur cette génération pénétrée de son esprit. Il se plaisait alors à donner par les propos frivoles de sa vieillesse un démenti à une vie consacrée tout entière à la recherche laborieuse de la vérité. Pour sa part, il continuait de rester fermement attaché aux principes de la critique rationaliste et d’avoir la même foi inébranlable dans l’avenir de la science ; aux autres, il recommandait une philosophie de doute universel, d’indifférence sceptique, d’insouciance. De la philosophie, la contagion s’étendait à toute la littérature, roman, poésie, théâtre, et aux genres mêmes dont la définition répugne le plus au dilettantisme, tels que la critique. Il n’était plus question pour le Critique ni de juger ni de classer, mais de raconter les aventures de sa sensibilité à travers les livres. Où donc aurait-il pris le droit d’émettre un avis d’une valeur générale, réduit qu’il était à noter des impressions incertaines, changeantes, dépendant de mille causes variables, du caprice de son humeur et de l’air du temps ? Bien peu ont résisté à cet entraînement, au risque de s’entendre reprocher leur épaisseur d’esprit… »

La négation des vérités platoniciennes ne laissa subsister que le culte de la forme. On sait à quel fanatisme les Parnassiens le poussèrent, se condamnant ainsi à la perfection stérile ou la mort.

L’art classique ce fut le tourment de l’Unité, l’art parnassien ce fut l’absorbant souci du pittoresque ou de l’éclat, la dernière fusée au ciel romantique, et par un de ces retours, plus fréquents qu’on ne croit en littérature, l’acheminement à cette uniformité dans le pittoresque qui n’était que l’exagération de l’unité classique, brisée par les disciples de Hugo.

Le naturalisme, avec sa passion absorbante du frisson nouveau, échouait bientôt à la même erreur, se traînait entre les deux pôles du bizarre et du vulgaire, sans parvenir à nous révéler la vie ; car toutes ces écoles avaient oublié que pour traduire la vie, il faut la porter en soi d’abord, ensuite, par une connaissance précise de sa langue et de son métier, la révéler le plus simplement possible. La méthode classique subordonnait les détails à l’ensemble ; les romantiques, les parnassiens, les symbolistes, les naturalistes, — comme tous les artistes, — s’hypnotisèrent dans la contemplation du détail original. « L’harmonie des couleurs est d’un effet plus puissant que leur opposition brusque, mais c’est un effet plus difficile à obtenir. (Louis Blanc) » L’affaiblissement général de la culture « humaniste » masqua longtemps cette vérité générale aux yeux du public français1.

Ce manque de culture générale sera le principal défaut des jeunes écoles. Elles aussi prônaient la domination de l’inspiration sur la règle. Cependant, elles contribuèrent à réintégrer quelques vérités oubliées.

Ce que le symbolisme avait voulu, M. Henri de Régnier l’a dit excellemment (Poètes d’Aujourd’hui, Mercure de France, août 1900).

« Le poète cherchera moins à dire qu’à suggérer. Le lecteur aura moins à comprendre qu’à deviner. La poésie semble donc résigner son vieux pouvoir oratoire dont elle s’est servie si longtemps. Elle n’exige plus, elle suggère. Elle ne chante plus, elle incante. De vocale, si l’on peut dire, elle devient musicale.

« Ce désir d’être plus suggestive que péremptoire est, je crois bien, l’invention capitale de la poésie d’aujourd’hui. C’est à cela qu’elle doit la plupart de ses qualités et de ses défauts. Cela explique ce qu’elle a acquis de vague, d’incertain et de mystérieux2.

« Le Symbole est le couronnement d’une série d’opérations intellectuelles qui commencent au mot même, passent par l’image et la métamorphose, comprennent l’emblème et l’allégorie. Il est la plus parfaite, et la plus complète figuration de l’idée. C’est cette figuration expressive de l’idée par le Symbole que les Poètes d’aujourd’hui tentèrent et réussirent plus d’une fois. Ce très haut et très difficile désir artistique est tout à leur honneur. Par là, ils se rattachent à ce qu’il y a de plus essentiel en poésie. La visée est ambitieuse peut-être, mais il n’est point interdit de chercher haut, et même, si parfois la corde de l’arc se rompt, il est des buts qu’il est déjà méritoire d’avoir envisagé, même en pensée…

« Les Poètes récents ont considéré autrement les Mythes et les Légendes. Ils en cherchèrent la signification permanente et le sens idéal ; où les uns virent des contes et des fables, les autres virent des symboles. Un Mythe est sur la grève du temps, comme une de ces coquilles où l’on entend le bruit de la mer humaine. Un Mythe est la conque sonore d’une idée… »

Le symbolisme nous a donné, en outre d’une réforme poétique, une intelligence plus claire du rythme3 et des moyens d’expressions de l’art. Entre la perfection vide du Parnasse et les obscénités des sous-Zola, il a arrêté la pensée des élites sur un art souvent agaçant, souvent puéril, parfois condamnable, mais intéressant presque toujours, à coup sûr nouveau. Le symbolisme a augmenté la sensibilité esthétique de notre époque et, sans lui, le mouvement de renaissance latine ne se serait pas produit ou serait resté une simple continuation du lyrisme parnassien. Pour le rythme, l’expression, les naturistes eux-mêmes lui sont redevables encore.

Après avoir vaincu, le symbolisme devait connaître la défaite :

« Une nouvelle génération qui vient, rêve à son tour un art à sa convenance et à l’empreinte de son esprit. Son travail est commencé ; de nouvelles tendances se manifestent ; des réputations s’esquissent qui grandiront à leur tour. Que sera demain cette littérature de tout à l’heure ? Il est difficile de le dire. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est qu’une belle activité apparaît parmi les jeunes gens. On fait beaucoup de vers en France à l’heure actuelle. Le meilleur moyen de savoir ce que veulent les poètes de demain est encore de savoir ce qu’ils reprochent à la Poésie qui est déjà pour eux la Poésie d’hier. Or, le reproche général que l’on fait au symbolisme et qui les résume tous en un mot : c’est d’avoir négligé la Vie. Nous avons rêvé : ils veulent vivre et dire ce qu’ils ont vécu, directement, simplement, intimement, lyriquement. Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments. C’est le vœu des meilleurs d’entre les nouveaux venus, des Fernand Gregh, des Charles Guérin ou des Francis Jammes4… »

M. Saint-Georges de Bouhélier réagissait brusquement et préparait un manifeste tumultueux. Le Naturisme groupait MM. Maurice Le Blond. Eugène Montfort, Andriès de Rosas, Michel Abadie, Albert Fleury, Jean Viollis, Joachim Gasquet, Louis Lumet. Une ère de polémiques brutales, s’ouvrit alors. Le nouveau groupe publiait les Documents sur le Naturisme (11 nos), puis la Revue Naturiste (2 séries). Au début, il fut soutenu partiellement par la revue toulousaine l’Effort 5.

M. Maurice Le Blond (Essai sur le Naturisme), en fut le théoricien.

« Nos aînés ont préconisé le culte de l’irréel, l’art du songe, la recherche du frisson nouveau. Ils ont aimé les fleurs vénéneuses, les ténèbres et les fantômes et ils furent d’incohérents spiritualistes. Pour nous, l’au-delà ne nous émeut pas, nous croyons en un panthéisme gigantesque et radieux. Ah ! comme ces gens nous semblent fades et puérils, avec leurs petits sadismes, leurs petites crises d’ascétisme. Et les âmes-sœurs, les vierges-cygnes qui constituaient dans leur tour d’ivoire toute la compagnie de nos Jules Bois, sont des amantes peu fécondes… en art surtout. Oui, comme cet art nous paraît suranné alors que les plus jeunes hommes tendent à se passionner pour des Édens charnels, quand la matière divinisée semble reconquérir des croyants et à l’aube, semble-t-il, d’une renaissance païenne.

« “Dans l’étreinte universelle, nous voulons rajeunir notre individu. Nous revenons vers la Nature. Nous recherchons l’émotion saine et divine. Nous nous moquons de l’art pour l’Art et de ces questions si vaines et stériles…”

« Paganisme, Chrétienté, Génie national, auxquels nous devrons ajouter le mouvement scientifique (qui remontant aux époques immémoriales de Prométhée et de l’inventeur de la charrue, pour aboutir à Képler et Ampère, modifie tous les jours la nature par ses nobles découvertes), voilà les quatre grandes traditions que doivent rénover pour une définitive synthèse, les jeunes et candides esprits, soucieux d’une œuvre humaine, conforme à la nature6.

« “La mission de l’art est de reconstruire des archétypes ; des paysages il fait des paradis et il ressuscite le Dieu Mort qui gît en chacun des hommes. Le poète ne crée rien. Et c’est l’eurythmie de la Nature qui détermine les rythmes de son harmonie.”

« Il ne faut point qu’un poète fasse retentir dans les dures trompettes mugissantes, les bruissements doux de l’eau, des printemps, des fleurs. Mais le poète est lui-même cette pompeuse trompette qu’embouchent, tour à tour, les eaux et les fleurs.

« “Toute chose est balancée et sonne selon un rythme. Ce n’est pas le poète qui crée le rythme, mais c’est le rythme essentiel des choses qui scande et dirige le poète.”

« Si, comme nous l’avons vu, le poète est prédestiné, le poème aussi a ses lois, et il doit être consubstantiel à l’objet qu’il célèbre : car un hymne est un élément de la nature. Sa grâce est l’effet de son eurythmie. Il lui est docile comme une fleur et non moins qu’une étoile, les rocs. — Ah ! qui dira les lois de l’hydraulique, l’attraction et la répulsion, par quoi se nécessitent tel chant, et cette églogue, et cette puissante statue ?”… Un hymne comme un autre a ses lois. Le paysage le polarise et il subit les attractions7.

« Ainsi le poème est nécessaire et supérieur à la nature, puisqu’il s’affranchit des visions contingentes et triomphe de la mort. Il devient, à la fois, emblème, allégorie, symbole et réalité. Il ne se préoccupe que des types généraux. Il n’est point subjectif, proportionnée à la vision individuelle et étroite d’un seul, mais impersonnel. La rose chantée par le poète surpasse en grâce toute rose, elle est la rose véritable et réelle, et les merveilles de toutes les autres s’y cristallisent et y chantent. La théorie de l’Art-Miroir, préconisée par Émile Zola, se trouve ici outrepassée. L’art n’est plus, comme l’a promulgué le chef du naturalisme, la Nature vue à travers un tempérament, c’est la Nature elle-même qui se volatilise, se transverbe ou s’immobilise, selon que le musicien, le poète ou le peintre l’envisage. Ce n’est plus l’Art-Miroir qu’il faudrait dire, mais le Poète-Protée, qui revêt, tour à tour, et selon ce qu’il veut chanter, une forme nouvelle et une apparence imprévue.

« Cette théorie universelle et frémissante, comme un tressaillement du vieux Pan, aura, en morale et en sociologie, d’importantes et prochaines conséquences. Mais c’est surtout dans la tragédie et dans le roman, qu’il faut en attendre d’immédiates réalisations. Sans futiles artifices, elle présentera une œuvre d’harmonie et de simplicité. Car dans le moindre frisson où se pâment les blés et les cœurs, le poète percevra une loi éternelle ; de la réalité il déduira le paradis et sur ce banal fait divers, que nous apporte le gris papier du jour, il bâtira une éclatante épopée… »

M. Jean Viollis objectait :

« Si M. de Bouhélier voulait strictement s’en tenir à sa théorie, il rendrait, par le fait même, impossible tout roman et tout théâtre. Elle m’apparaît cette théorie (la théorie naturiste) bien plutôt comme une lumineuse méthode d’interpréter la vie quotidienne, de s’intéresser avec une égale allégresse aux successives représentations de l’heure et du jour — que comme un moyen de fixer dans leur détail la multiplicité des réalités vivantes… Où donc M. de Bouhélier trouverait-il les éléments d’un roman ? Tout au plus, pourra-t-il trouver des thèmes à méditations ; or, un roman ne fut et ne sera jamais, que je sache, une suite de méditations présentées en chapitres et groupées selon un certain plan d’unité dans leur ensemble. »

En réalité c’était une révolte de la sensibilité contre la discipline8. Venant après les excès du symbolisme, le naturisme parut en progrès ; en vérité, considéré dans le sens de l’évolution logique de la littérature française, il n’était pas moins dangereux. M. de Bouhélier déclarait :

« Pour moi, si je chante la lumière, le précieux printemps ou les belles campagnes, je ne le fais jamais que dans l’extase. Car toute chose étant Dieu demande une grande ferveur.

« Que mes poèmes soient des prières ! que tous mes écrits soient des odes ! Voilà toute mon aspiration. J’essaye de la réaliser. La forte patience de l’esprit me soutient. Je sais que seul un juste ouvrage peut posséder l’éternité Je m’applique à ce dur travail obstinément. »

Ce style singulier et immodeste, ce panthéisme cessèrent rapidement d’être à la mode. En préface des Chants de la Vie Ardente M. de Bouhélier renonce à l’empire. « Je ne demande qu’à être compté comme un franc et probe ouvrier9… »

Parallèlement au naturisme s’était formé à Toulouse le groupe de l’Effort, par la fusion des Essais de jeunes avec Les Pages d’art. Le premier numéro parut en mars 1896. Il indiquait comme collaborateurs : G. Bidache, J.-R. de Brousse, Élie Clavel, Cœlio, E. Delbousquet, Fortuné, A. Demeure de Beaumont, Charles Guérin, Marc Lafargue, André et Maurice Magre, Raymond Marival, Jacques Nervat, G. Picard, Pierre Pouvillon, Sybaris, Gabriel Tallet, Verdier, J. Viollis. Plus tard à ces noms s’ajoutèrent R. A. Fleury, Léon Lafage, Jean Vignaud, G. Frejaville, François Perilhou, F. Pradel, etc…

Ils ne dédaignaient pas les grands mots :

« Nous ne sommes pas une coterie, nous n’organiserons pas des congrès, nous ne nous estomaquerons pas d’éloges réciproques, nous ne nous offrirons pas de mutuelles frairies, nous n’avons pas de grand homme de neige à pousser au soleil de la renommée, nous ne tenterons pas de restaurer sur des tréteaux de baladins les tables saintes de Cana, dans la secrète espérance d’y voir surgir entre la poire et le fromage quelque nouveau messie qui nous ferait participer, sur le vain Thabor de la gloire humaine, au resplendissement de son éventuelle divinité.

« Non ! nous voulons simplement dire ce qu’il nous paraît beau et nécessaire de dire. Et s’il nous arrive dans l’exubérance de notre jeune foi de prendre à notre insu des postures d’apôtres, l’on voudra bien nous pardonner, considérant que nos exagérations ne servant pas notre propre gloire ne peuvent provenir d’un hypocrite calcul mais plutôt d’un débordement de nos bonnes volontés. Oh ! nous savons que l’habileté suprême de Tartuffe est de crier au Tartuffe quand il voit passer un juste ; mais cela même ne nous décourage pas. Quant au ridicule, il ne peut effleurer que des âmes incapables de comprendre qu’il n’y a pas puritanisme, mais élémentaire probité à réagir contre le libertinage quand il se change en dégradation. Bien loin de nous tenir pour présomptueux, nul doute que les honnêtes gens ne tiennent à encourager notre tentative d’édification personnelle et sociale.

« Constituons donc une jeunesse intègre et résolue ! Préparons-nous à bien tenir coup aux chocs qu’un avenir évidemment prochain nous réserve. Première génération adulte d’esprits formés par un socialisme dégagé des brumes utopiques et pénétré de claire science, il faut que nous portions témoignage par notre moralité meilleure, notre intellectualité plus nourrie, notre sensibilité toujours aussi vive mais mieux disciplinée des bienfaits que peut conférer à l’homme l’adhésion ardente et méthodique à une théorie rationaliste de l’Univers, de l’individu et de la Société10 » (15 mai 1903).

En 1898, l’Effort avait organisé un referendum sur le sens énergique chez la Jeunesse.

Mais le groupe toulousain comme le groupe naturiste n’était uni que par les liens factices d’une haine commune envers le Symbolisme. Lorsque le Symbolisme abdiqua lui-même, l’erreur de ces jeunes hommes apparut et, seuls, ceux d’entre eux que désignait leur tempérament, continuèrent à écrire.

L’ère des manifestes semblait définitivement close, lorsque dans le Figaro du 12 décembre 1903, en réponse à un article de M. Claveau, M. F. Gregh prononçait le mot d’humanisme. Ce n’est pas une philosophie, « c’est avant tout une esthétique et même essentiellement une poétique11 ». Dans Gil Blas (19 février 1905) M. Fernand Gregh précise :

— Oui, le nom rajeuni d’humanisme me paraît convenir, précisément, parce que, les nouveaux poètes veulent réaliser un art humain. Il ne s’agit pas, comprenez-moi bien, de fonder une école, mais d’exprimer une idée en une formule commode, et qui soit le moins inadéquate possible. D’ailleurs, qu’on les appelle, si l’on préfère renaissants classiques, ou même naturistes, ce qui importe, c’est moins un nom, que de réunir des individus faits pour se comprendre, s’aimer…

Cette école en suscita, par antithèse, une autre. MM. Adolphe Lacuzon, Cubelier de Beynac et Adolphe Boschot et quelques amis signaient à la Revue Bleue (16 janvier 1904) le manifeste de l’Intégralisme.

« Le rôle de la poésie est d’agrandir la conscience humaine au-delà même des vérités contrôlées : la poésie réalisée est la forme transcendante du savoir. La poésie, phénomène subjectif, est la volupté de la connaissance. Intégralisme s’explique ainsi : exprimer la vie en fonction de la vie universelle. »

En réalité ce n’était pas, comme on l’a cru, une poésie scientifique, mais une sorte d’intégration, et non de synthèse, l’aboutissement de l’harmonie universelle. Enfin de compte, les théories exprimées par M. A. Lacuzon, en termes moins solennels, se ramènent aux formules classiques de l’Hermès d’André Chénier12.

Le 15 avril 1903, La Renaissance latine publiait sous le titre « La Renaissance classique » la préface que M. Louis Bertrand destinait aux Chants séculaires de Joachim Gasquet. Avec plus de fougue que de mesure, avec plus d’enthousiasme que de sens critique, l’auteur du Sang des races, glorifiait le culte de la Tradition, de la terre et des morts, l’Âme, la Race, l’Épée. On s’étonna. Pourtant ce que M. Bertrand venait de crier, dix écrivains l’avait clamé en vain, au cours de ces dernières années. MM. Xavier de Ricard (Le Fédéralisme, 1875), Auguste Fourès, Péladan, Maurice Barrès, Charles Maurras, Amouretti, Jean Carrère, avec des talents inégaux sans doute s’étaient fait les champions de cette thèse. Ce qu’ils vantaient n’était pas à proprement parler une renaissance classique, mais une renaissance latine, le retour à la discipline, à l’harmonie, mais aussi le culte de l’inspiration personnelle, du lyrisme conforme aux aspirations de la race, le dédain des abstractions factices, du subjectisme vulgaire, du document spécial — en un mot les soucis classiques de l’âme, de l’idée, de la race, de l’essentiel humain et de la vérité générale, augmentés d’une préoccupation de lyrisme facilement romantique13 — et aussi des conceptions politiques divergentes.

Ce genre un peu spécial de classicisme qui n’est ni celui de Bossuet, ni celui de Racine, ni celui de Fromentin, a son origine dans l’œuvre du plus grand poète européen : Frédéric Mistral. C’est de là qu’elle s’est infiltrée jusqu’à nous. Mireille, le Poème du Rhône, Les Îles d’Or ont eu leur retentissement aussi bien sur M. Charles Maurras que sur M. Joséphin Péladan.

Car il y a deux sens au mot classique, ainsi que l’a marqué Sainte-Beuve :

« Le mot classicus se trouve employé dans Aulu-Gelle et appliqué aux écrivains ; un écrivain de valeur et de marque, classicus assiduusque scriptor, un écrivain qui compte, qui a du bien au soleil… Un vrai classique, comme j’aimerais à l’entendre définir, c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain, qui en a réellement augmenté le trésor, qui lui a fait faire un pas de plus, qui a découvert quelque vérité morale non équivoque ou ressaisi quelque passion éternelle… qui a rendu sa pensée, ou son observation, sous une forme n’importe laquelle, mais large et grande, fine et sensée, saine et belle en soi, qui a parlé à tous dans un style à lui, et qui se trouve celui de tout le monde, dans un style nouveau sans néologisme, nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges. Un tel classique a pu être un moment révolutionnaire, il a pu le paraître du moins, mais il ne l’est pas… il n’a renversé ce qui le gênait que pour rétablir l’équilibre “au profit de l’ordre et du beau”… »

C’est aussi :

« Les écrivains d’un ordre moyen, justes, sensés, élégants, toujours nets, d’une passion noble et d’une force légèrement voilée… écrivains modérés et accomplis… Cette théorie dont Scaliger a donné le premier signal chez les modernes est la théorie latine à proprement parler et elle a été aussi pendant longtemps la théorie française… Le chef-d’œuvre que cette théorie aimait à citer c’est Athalie. »

En somme, c’est ici la théorie de l’unité soutenue par Buffon dans le Discours sur le style, et Sainte-Beuve conclut :

« Il n’y a pas de recettes pour faire des classiques : ce point doit être enfin reconnu évident.

« Croire qu’en imitant certaines qualités de pureté, de sobriété, de correction et d’élégance, indépendamment du caractère même et de la flamme, on deviendra classique, c’est croire qu’après Racine père, il y a lieu à des Racine fils, rôle estimable et triste, ce qui est le pire en poésie. Il y a plus : il n’est pas bon de paraître trop vite et d’emblée classique à ses contemporains ; on a grande chance alors de ne pas rester tel pour la postérité. Fontanes, en son temps, paraissait un classique pur à ses amis ; voyez quelle pâle couleur cela fait à vingt-cinq ans de distance. Combien de ces classiques précoces qui ne tiennent pas et qui ne le sont que pour un temps ! On se retourne un matin, et l’on est tout étonné de ne plus les retrouver debout derrière soi. Il n’y en a eu, disait gaiement Mme de Sévigné, que pour un déjeuner de soleil. En fait de classiques, les plus imprévus sont encore les meilleurs et les plus grands : demandez-le plutôt à ces mâles génies vraiment nés immortels et perpétuellement florissants. Le moins classique, en apparence, des quatre grands poètes de Louis XIV était Molière ; on l’applaudissait alors bien plus qu’on ne l’estimait ; on le goûtait sans savoir son prix. Le moins classique après lui semblait la Fontaine ; et voyez après deux siècles ce qui, pour tous deux, en est advenu. Bien avant Boileau, même avant Racine, ne sont-ils pas aujourd’hui unanimement reconnus les plus féconds et les plus riches pour les traits d’une morale universelle ? »

Néanmoins, malgré les erreurs qu’elle comporte, la théorie de M. Louis Bertrand semble prévaloir. Sainte-Beuve d’ailleurs l’eût approuvée puisqu’il déclare : « L’important, aujourd’hui, est de maintenir l’idée et le culte (du classicisme). »

La tâche a été rendue facile par les influences subies.

M. Stéphane Mallarmé, sur lequel on s’est si généralement mépris fut le théoricien d’un classicisme rigoureux, et ceux qui l’écoutèrent savent quelle clairvoyance saine, quel sens infiniment averti de la mesure et des limites de l’art, il possédait. Un temps, M. Maurice Barrès agit dans le même sens. « Le culte du moi » aboutissant au culte du souvenir et de la patrie, fut essentiellement classique. L’artifice des phrases ne doit pas nous induire en erreur. Le barrésisme est un développement de l’unité intellectuelle et morale du français. Épanouissement de la sensibilité dans les limites que nous tracent l’exemple du passé, les forces du présent, la logique du devenir humain et national.

Ce qui fut mauvais et contraire à notre génie propre dans les influences reçues de l’étranger, une influence étrangère le neutralisa. Frédéric Nietzsche fit contrepoids à Tolstoï. Avec Zarathoustra, c’était, mêlée aux inquiétudes modernes, toute la lumière d’Hellas qui venait à nous, ses méthodes, son âme, ses erreurs, sa volupté précise. Au troupeau stupide, il opposa le conducteur de troupeau ; à l’adoration naturaliste de l’éphémère, il opposa le culte de l’inactuel ; à l’observation hésitante et méticuleuse du détail, la vision lyrique, la prescience du prophète. Il nous apprit surtout à discipliner les forces et les élans de la cité intérieure. Sa morale fut haute comme son esthétique, elles étaient humaines dans le sens que la Grèce antique donnait à cette épithète, surhumaines par rapport à nous. Ses disciples eurent l’ivresse de la plastique idéale. À la religion de la pitié il substitua celle de l’énergie, du désir de dominer « La vertu qui donne ».

Par Nietzsche, nous revenions au grand lyrisme du Prométhée, de l’Ecclésiaste, d’Hésiode, aussi quelque peu à la déclamation et aux subtilités des philosophes Alexandrins. Il réveilla « la pitié pour les dieux souffrants et voilés », source des forces dominatrices de nous-mêmes et des autres. Zarathoustra a contribué à annihiler chez nous la lourde hypocrisie sentimentale et germanique. Par là, son influence fut conforme aux aspirations françaises. Hugues Rebell le découvrit, M. Robert de Bonnières et surtout l’infatigable Henri Albert assurèrent une victoire nouvelle de la raison.

Cependant Charles Maurras, nourri de Taine et d’Auguste Comte devait aboutir aux mêmes conclusions. Une affaire judiciaire et politique, après avoir bouleversé le pays, marqua une division nouvelle des esprits. Le romantisme de Zola se heurta aux partisans de la vérité française. La préface de M. Louis Bertrand consacre la victoire du goût français sur les enthousiasmes étrangers14.

Mais, il ne faudrait point croire que cette victoire soit définitive ou complète. La confusion règne toujours. Les tentatives d’écoles ou de cénacles que nous avons signalées et qui sont caractéristiques, d’autres qu’il nous plaît d’oublier et qui sont le fait d’ambitions passagères ou basses n’ont point réussi à grouper la jeunesse d’aujourd’hui, encore moins à la diriger. Aux collaborateurs de l’Action Française d’un côté, à M. Marc Sangnier et ses amis du Sillon d’un autre, s’opposent les jeunes rédacteurs de la Petite République, de l’Aurore, des Pages Libres, en politique et en littérature. Il n’y a plus de revue qui soit l’organe d’un groupement d’idées littéraires. Il n’y a que quelques cénacles d’amateurs ou de camarades sans opinions directrices. Aux anciennes querelles d’écoles, a succédé une fusillade de partisans isolés. C’est par cet état seul de la littérature actuelle qu’il faut expliquer le succès qui accueille les femmes de plus en plus nombreuses et qui écrivent.

Deux courants généraux, trop généraux semblent pourtant avoir entraîné un certain nombre d’énergies.

 

L’Art social a vite dégénéré en un poncif social, c’est-à-dire socialiste, car, jusqu’à présent, les pièces socialistes ont été les seules pièces sociales. Un insuccès complet fut la récompense de ces tentatives, souvent intéressantes. Toute œuvre d’art est sociale, par cela seul qu’elle est vivante ; toute œuvre tendancieuse, si elle l’est entièrement et clairement, est artificielle. Ces vérités évidentes demeurent encore incomplètement admises.

 

Le Régionalisme attire davantage les jeunes hommes. À ce jour, il n’y a pas de théorie précise du régionalisme ou, du moins, il y en a mille ; c’est un groupement d’opposition qui convient au caractère français et qui obtiendra d’importants succès de détail. Nous doutons qu’il réussisse absolument ; pour cela il devrait avoir un credo ; ce serait la dispersion de ses adeptes.

 

L’Art social et le Régionalisme ne sont que, par accident, de la littérature. Nous manquons d’une foi neuve et profonde, d’une tendance qui entraîne et divise les écrivains. L’art comme la vie a besoin de luttes pour s’exalter et s’accroître. Une foi confessionnelle, morale, politique ou esthétique est nécessaire. Sans elle, il n’y a que la sincérité individuelle qui est insuffisante. Certes, un grand nombre de nos meilleurs écrivains se rallie à la foi française, mais un nombre important de jeunes gens s’en éloigne. Cependant, le salut semble résider là. Par une culture raisonnée et profonde des énergies françaises, un écrivain peut se former entièrement et admirablement. Il serait temps d’abandonner nos petites psychologies, nos petites formules, nos petites pitiés et nos grands mots, et notre vague humanitarisme. Il y a une âme française d’aujourd’hui aussi enthousiaste, aussi franche, aussi vive qu’autrefois ; elle sourit davantage, mais elle ne souffre pas moins ; c’est la princesse au bois, qui ne dort plus, mais qui s’amuse dans l’attente du Prince Charmant. L’oisiveté et l’attente sont dangereuses. Qu’il vienne, le maître de la pensée et du verbe, la jeune âme française lui obéira et le suivra. On a dit à tort que nous manquions de critiques, non, nous manquons davantage d’œuvres vivantes. En effet, par une erreur singulière des écrivains, à l’instant où l’amour semble de plus en plus vaincu par l’argent, la littérature est à peu près totalement sexuelle. À l’heure où les modes d’existence tendent à se diversifier, tous les écrivains dédaignent l’observation des mœurs, dans le roman et au théâtre, pour rabâcher éternellement les mêmes aventures de romanesque sentimental, de fantaisie vieillotte ou les mêmes évocations de rétrospective passionnelle. Le mépris des idées, la confusion des intentions nous mènent plus sûrement à l’uniformité. Depuis que chacun fait ou veut chercher du nouveau, toutes les œuvres se ressemblent. Le nouveau, c’est dans la culture de notre tradition que nous le trouverons, si nous sommes dignes de le trouver, mais dans une culture intelligente, active, féconde.

Il faut savoir regarder, comprendre et sentir pour être un écrivain, mais cela ne suffit pas. Un observateur qui ne sait pas son métier d’écrivain, un écrivain qui n’a ni sensibilité, ni rectitude de vision sont des artistes incomplets. Malheureusement ce sont eux qui dominent…

Et il y a ces graves symptômes.

1º L’ignorance encyclopédique des jeunes écrivains, leur manque de culture générale.

2º Le goût de la barbarie qui s’affirme. Une partie du public en est venue à préférer l’ébauche au travail achevé, à aimer les œuvres informes, mal composées, sous prétexte qu’elles sont plus proches de la vérité.

M. Remy de Gourmont disait autrefois : « L’instinct abolit le génie… » Nous pourrions ajouter : « la France est un pays de tradition, d’élégance, de méthode… Elle a préparé la victoire d’un art aux lignes parfaitement délimitées… » Gardons-nous de l’oublier. Notre industrie et notre commerce sont morts, pour avoir oublié que notre industrie et notre commerce étaient commerce et industrie de luxe. Ne visons pas à la quantité. Toutes les productions françaises sont au-dessus de l’utilité immédiate. N’imitons pas les grossiers bariolages anglo-saxons. Nous sommes des latins !…