(1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205
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(1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Frédéric le Grand littérateur.

J’ai essayé précédemment de dégager le Frédéric roi et politique dans sa forme la plus haute et la plus vraie, le Frédéric historique et non anecdotique. C’est ainsi que lui-même il pensait qu’il faut, en définitive, juger les grands hommes, sans s’amuser aux accessoires, et en s’élevant jusqu’au point qui domine en eux les contradictions et les travers. Pourtant la vie intérieure et privée de Frédéric est entièrement connue ; toutes les parties de son caractère sont éclairées ; on a ses lettres, ses vers, ses pamphlets, boutades et facéties, ses confidences de toutes sortes ; il n’a rien fait pour les supprimer, et il est impossible de ne pas reconnaître en lui un autre personnage bien essentiel, et qui est au cœur même de l’homme. On peut dire que, chez Frédéric, si le grand roi était comme doublé d’un philosophe, il était compliqué aussi d’un homme de lettres.

Le grand cardinal de Richelieu était de même : faire une belle tragédie eût été une chose presque aussi douce à son cœur et lui eût paru une œuvre presque aussi glorieuse que de triompher des Espagnols et de maintenir les alliés de la France en Allemagne : les lauriers du Cid l’empêchaient de dormir. Au sortir de la guerre de Sept Ans, quand d’Alembert alla visiter Frédéric à Potsdam et qu’il lui parlait de sa gloire : « Il m’a dit avec la plus grande simplicité, écrit d’Alembert, qu’il y avait furieusement à rabattre de cette gloire ; que le hasard y était presque pour tout, et qu’il aimerait bien mieux avoir fait Athalie que toute cette guerre. » Il y a certes du philosophe dans cette manière de juger les triomphes militaires ; mais il y a aussi de l’homme de lettres dans cette préférence donnée à Athalie. Je ne sais si Frédéric ne se fût pas dédit, au cas qu’un malin génie l’eût pris au mot et qu’il lui eût fallu opter tout de bon entre la guerre de Sept Ans et Athalie, ou plutôt je suis bien sûr que le roi, en définitive, l’eût emporté : mais le cœur du poète aurait saigné au-dedans de lui, et il nous suffit, pour le qualifier comme nous faisons, qu’il eût pu hésiter un seul instant.

Lorsqu’on étudie Frédéric dans ses écrits, dans sa correspondance, principalement dans celle qu’il eut avec Voltaire, on reconnaît, ce me semble, un fait avec évidence : il y avait en lui un homme de lettres préexistant à tout, même au roi. Ce qu’il était peut-être avant toute chose par nature, et le plus naïvement, si l’on peut dire, et le plus primitivement, c’était encore homme de lettres, dilettante, virtuose, avec le goût vif des arts, avec la passion et le culte surtout de l’esprit. Il n’avait qu’à s’abandonner à lui-même pour se répandre de ce côté. Sa condition de roi, son amour de la noble gloire, et le grand caractère dont il était doué, le dirigèrent à d’autres applications qui avaient pour but l’utilité sociale et la grandeur de sa nation : il estimait « qu’un bon esprit est susceptible de toutes sortes de formes, qu’il apporte des dispositions à tout ce qu’il veut entreprendre. Il est tel qu’un Protée qui change sans peine de formes, et qui paraît réellement l’objet qu’il représente ». Ainsi, il parut né pour tout ce qu’il eut à faire comme roi ; il fut à la hauteur de sa tâche. « La force des États, pensait-il, consiste dans les grands hommes que la nature y fait naître à propos. » Il voulut être et il fut un de ces grands hommes ; il remplit dignement sa fonction de héros. Cette nation qu’avait ébauchée avant lui le Grand Électeur, il acheva de la former, de lui donner un corps, de lui imprimer l’unité d’esprit : la Prusse n’exista réellement qu’au sortir de ses mains. Tel est le rôle du grand Frédéric dans l’histoire ; mais, au fond, ses goûts secrets ou même très peu secrets, ses réelles délices étaient de raisonner en toute matière, de suivre ses pensées de philosophe, et aussi de les jeter sur le papier, soit au sérieux, soit en badinant, comme rimeur et comme écrivain.

Il avait été élevé par un Français, homme de mérite, appelé Duhan, qui lui avait inspiré l’amour de notre langue et de notre littérature. Il avait été initié à une sorte de tradition assez directe par les Français réfugiés à Berlin. Ce désir de gloire que nourrissait la jeune âme de Frédéric et qui cherchait encore son objet, lui faisait tourner naturellement ses regards vers la France. Le siècle de Louis XIV, désormais accompli, étendait graduellement son influence sur toute l’Europe. Le Brandebourg retardait sur les autres nations ; il n’y avait là rien d’étonnant ; mais Frédéric s’en trouvait humilié, et il se disait que c’était à lui d’inaugurer cette nouvelle ère de renaissance dans le Nord. Tant que vécut son père, ce désir purement littéraire de Frédéric prévalut sur ses autres pensées et l’engagea à des démarches, à des avances où le futur roi s’oubliait un peu. Il était prince royal et il avait vingt-quatre ans quand il entama la correspondance avec Voltaire (1736). Voltaire vivait alors à Cirey, auprès de Mme Du Châtelet. Il reçut du jeune prince de Prusse, non pas une lettre de compliments, mais une véritable déclaration passionnée. On peut sourire aujourd’hui de cette première lettre toute gauche encore et plus qu’à demi tudesque, dans laquelle Frédéric mêle son admiration pour Wolff à celle qu’il a pour Voltaire, et où il parle à celui-ci au nom de la douceur et du support « que vous marquez, lui dit-il, pour tous ceux qui se vouent aux arts et aux sciences ». À travers ce singulier style des premières lettres de Frédéric, la plus noble pensée se fait jour. Considérant Voltaire de loin et d’après ses seuls ouvrages, l’embrassant avec cet enthousiasme de la jeunesse qu’il est honorable d’avoir ressenti au moins une fois dans sa vie, Frédéric le proclame l’unique héritier du grand siècle qui vient de finir, « le plus grand homme de la France et un mortel qui fait honneur à la parole ». Il l’admire et le salue, comme Vauvenargues bientôt également le saluera, sans rien entrevoir encore des défauts de l’homme, et d’après les seules beautés de son esprit et les grâces de son langage. Il se déclare en conséquence son disciple, son disciple non seulement dans ses écrits, mais dans ses actions ; car, trompé par la distance et par le nuage doré de la jeunesse, il voit en lui presque un Lycurgue et un Solon, un législateur et un sage. Ne souriez pas trop cependant. Jamais on n’a mieux senti que ce jeune prince ce que les lettres pourraient être dans leur plus haute inspiration, ce qu’elles ont en elles d’élevé et d’utile, ce que leur gloire a de durable et d’immortel. « Je compte pour un des plus grands bonheurs de ma vie d’être né contemporain d’un homme d’un mérite aussi distingué que le vôtre… » Ce sentiment éclate dans toute cette phase de la correspondance. Voltaire est charmé, Voltaire est flatteur ; il remercie, il loue, il enchante ; on ne dirait pas vraiment qu’il se moque tout bas, et sans doute alors il ne se moquait pas trop, en effet, des quelques solécismes et des grosseurs de ton qui accompagnaient souvent ces hommages du Nord. À l’entendre, ce jeune prince fait des vers comme Catulle du temps de César ; il joue de la flûte comme Télémaque ; c’est Auguste-Frédéric-Virgile. — Assez, lui dit Frédéric, qui reprend ici l’avantage du bon sens et du bon goût au moral :

Je ne suis, je vous assure, ni une espèce ni un candidat de grand homme ; je ne suis qu’un simple individu qui n’est connu que d’une petite partie du continent, et dont le nom, selon toutes les apparences, ne servira jamais qu’à décorer quelque arbre de généalogie, pour tomber ensuite dans l’obscurité et dans l’oubli.

Voilà comme il se juge, et il avait raison à cette date ; cet homme de vingt-cinq ans sent qu’il n’est rien encore et qu’il n’a pas même commencé : « Quand des personnes d’un certain rang, fait-il remarquer, remplissent la moitié d’une carrière, on leur adjuge le prix que les autres ne reçoivent qu’après l’avoir achevée. » Et il s’indigne de cette différence de mesure, comme si l’on jugeait les princes d’une nature moindre que les autres hommes, et moins capables d’une action entière.

Un jour, Voltaire a le front de lui dire que lui, Frédéric, écrit mieux le français que Louis XIV, que Louis XIV ne savait pas l’orthographe, et autres misères de ce genre ; comme si Louis XIV n’avait pas été un des hommes de son royaume qui parlât le mieux, et comme si l’une des plus grandes louanges à donner à l’excellent écrivain Pellisson, ce n’était pas d’avoir été en plus d’un cas le digne secrétaire de Louis XIV. Ici encore Frédéric arrête Voltaire et lui donne une leçon de tact :

Louis XIV, dit-il, était un prince grand par une infinité d’endroits ; un solécisme, une faute d’orthographe, ne pouvaient ternir en rien l’éclat de sa réputation, établie par tant d’actions qui l’ont immortalisé. Il lui convenait en tout sens de dire : Caesar est supra grammaticam… Je ne suis grand par rien. Il n’y a que mon application qui pourra peut-être un jour me rendre utile à ma patrie ; et c’est là toute la gloire que j’ambitionne.

On aime à rencontrer, au milieu des fadeurs et des exagérations parfois ridicules de ce début de correspondance, plus d’un de ces endroits où perce déjà le roi futur, l’homme supérieur qui, bien qu’il ait la fureur de rimer et de produire ses premiers ouvrages, saura en triompher par une passion plus haute, et qui ne sera jamais un rhéteur sur le trône. En tout, même dans ces jeux de l’esprit, Frédéric finit toujours par donner le dernier mot à l’action, à l’utilité sociale et à celle de la patrie : c’est un génie qui s’amuse en attendant mieux, qui continuera de s’amuser et de s’égayer dans les intervalles des plus rudes travaux, mais qui aspirera en tout temps, à force de fermeté, à se réaliser en grandeur pratique et utile. Il y a temps pour lui de rire, de jouer de la flûte, de faire des vers, et temps de régner. L’homme de lettres peut balancer quelque temps le roi et s’ébattre au-devant, mais pour lui céder le pas chaque fois qu’il le faut, à l’heure précise. On peut dire de lui que jamais un de ses talents, jamais une de ses passions ni même de ses manies, ne fit invasion dans un de ses devoirs.

Au point de vue du goût, il y aurait bien des choses à remarquer. La nature rude et un peu grossière du Vandale se fait sentir chez Frédéric jusqu’à travers l’homme d’esprit et le dilettante avide de s’instruire et de plaire. Ce n’est pas seulement la langue ici et l’expression qui lui fait faute et qui résiste, c’est souvent le tact délicat qui est absent ! Toutes les fois qu’il parle à Voltaire de Mme Du Châtelet, il a bien de la peine à ne pas être grossier ou ridicule : « Je respecte trop les liens de l’amitié, lui écrit-il à Cirey, pour vouloir vous arracher des bras d’Émilie… » Quand il veut être galant, il l’est avec cette légèreté. Frédéric ne trouve rien de plus gracieux que d’envoyer en présent à Voltaire un buste de Socrate, le sage patient par excellence ; ce qui aurait pu paraître une épigramme, si alors il avait mieux connu son poète. Mais ce Socrate rappelle à Frédéric Alcibiade, et, de là, plus d’une allusion équivoque et hasardeuse, dans laquelle Voltaire d’ailleurs ne dédaigne pas d’entrer. Tout cela sent le Goth et l’Hérule de grand esprit, mais dont le poli n’est encore qu’à la surface, et dont plus d’un coin même n’est pas poli du tout. Il faut quelque temps à ce diamant brut pour se dégager de sa gangue.

Pourtant Frédéric se forma vite ; il se forme à vue d’œil dans cette correspondance, et il vient un moment où il possède et manie sa prose française de manière à tenir tête vraiment à Voltaire. Quant aux vers, il faut en désespérer avec lui : sur ce point son gosier restera toujours rauque et dur, et il ne se corrigera jamais. Il dira par exemple sans difficulté :

Les myrtes, les lauriers, soignés dans ces cantons,
Attendent que, cueillis par les mains d’Émilie…

ou bien encore :

Que vous dirai-je, ô tendre Ovide ?
Vous dédiâtes L’Art d’aimer

Ce sont là de ses moindres défauts. Sur ce chapitre des vers, finissons-en avec Frédéric. Il savait très bien que cette manie était chez lui un faible et presque un ridicule, qu’on le louait en face pour l’appeler Cotin par derrière. « Cet homme-là, disait un jour Voltaire en montrant un tas de paperasses du roi, voyez-vous ? c’est César et l’abbé Cotin. » Un éminent historien anglais, M. Macaulay, renchérissant là-dessus, a appelé Frédéric un composé de Mithridate et de Trissotin. Frédéric savait ou pressentait tout cela, et il cédait pourtant à son ardeur de rimer. Très amoureux dans sa première jeunesse d’une jeune fille qui aimait les vers, il avait été piqué de la tarentule, et, très bien guéri d’un mal (du mal d’aimer les jeunes filles), il ne s’était jamais guéri de l’autre. On ne saurait rien lui opposer ni lui reprocher à cet égard qu’il ne se fût dit cent fois à lui-même :

J’ai le malheur, écrivait-il, d’aimer les vers, et d’en faire souvent de très mauvais. Ce qui devrait m’en dégoûter et rebuterait toute personne raisonnable, est justement l’aiguillon qui m’anime le plus. Je me dis : Petit malheureux ! tu n’as pu réussir jusqu’à présent ; courage !…

Il se dira encore : « Quiconque n’est pas poète à vingt ans ne le deviendra de sa vie… Tout homme qui n’est pas né français, ou habitué depuis longtemps à Paris, ne saurait posséder la langue au degré de perfection si nécessaire pour faire de bons vers ou de la prose élégante. » Il se comparera aux vignes « qui se ressentent toujours du terroir où elles sont plantées ». Mais enfin cela l’amuse, cela le dissipe et le délasse dans l’entre-deux des grandes affaires, et jusqu’à la fin il rimera. Il composait également de la musique dans le goût italien, des solos par centaines, et il jouait, dit-on, de la flûte en perfection ; ce qui n’empêcha pas Diderot de dire : « C’est grand dommage que l’embouchure de cette belle flûte soit gâtée par quelques grains de sable de Brandebourg. »

En Allemagne, où l’on disserte de tout, on a disserté sur les livres et les bibliothèques de Frédéric, sur les auteurs qu’il préférait, et on en a tiré des conséquences sur la nature et la qualité de ses goûts. De ce qu’il appelle dans ses lettres d’Alembert mon cher Anaxagoras, on est allé jusqu’à supposer, par exemple, qu’il avait une certaine prédilection pour la philosophie d’Anaxagoras. Ce sont là des raffinements et des subtilités de commentateurs. Il suffit, pour être informé des vrais goûts intellectuels de Frédéric, de l’entendre lui-même au naturel dans ses diverses correspondances. Il ne connaissait l’Antiquité que par des traductions, et par les traductions françaises ; il ne jugeait donc bien que le gros des choses qui résistent à ce genre de transport d’une langue dans une autre. La beauté poétique des anciens lui échappait entièrement ; il ne la soupçonnait même pas. Il jugeait bien des historiens, qui étaient proprement sa matière d’étude et de méditation : pourtant, quand on le voit prodiguer le titre de Thucydide à Rollin ou même à Voltaire, on est forcé d’avouer qu’il ne paraît pas se douter de la forme particulière qui constitue l’originalité de ce grand historien. Il devait juger mieux de Polybe, chez qui le fond l’emporte ; un critique d’un vrai mérite (M. Egger) me fait remarquer qu’il y a entre Frédéric historien et Polybe des rapports réels et assez frappants. Les réflexions par lesquelles Frédéric termine son récit de la guerre de Sept Ans ressemblent très bien à une page de Polybe : « À deux mille ans de distance, c’est la même façon de juger les vicissitudes humaines, et de les expliquer par des jeux d’habileté mêlés à des jeux de fortune. » Seulement l’historien-roi est, en général, plus sobre de réflexions. Frédéric jugeait bien encore des moralistes et philosophes anciens, ou même des poètes philosophes en qui la pensée domine, tels que Lucrèce : « Lorsque je suis affligé, disait-il, je lis le troisième livre de Lucrèce, et cela me soulage. » Pourtant, même dans ce qui faisait l’objet de ses lectures familières, il y regardait si peu de près quant à l’érudition, qu’il lui est arrivé de ranger par mégarde Épictète et Marc Aurèle au nombre des auteurs latins. Parmi les modernes, il faisait surtout cas de Locke, de Bayle, de ces philosophes à hauteur d’appui, qu’il était tenté de placer un peu trop près ou même au-dessus des grands inventeurs un peu imaginatifs, comme Leibniz ou Descartes, dont les erreurs l’offusquaient. Il raillait volontiers la géométrie transcendante comme inutile, et il se faisait rappeler à l’ordre sur ce point par d’Alembert. Son instruction était le plus volontiers tournée à la morale pratique et à l’application sociale ; en cela il se rapprochait de Voltaire, qui était aussi pratique lui-même qu’un écrivain peut l’être, et il aurait pu dire comme lui : « Je vais au fait, c’est ma devise. »

De la littérature allemande, il en est à peine question avec Frédéric ; il en sent très bien les défauts, qui étaient encore sans compensation à cette date, la pesanteur, la diffusion, le morcellement des dialectes, et il indique quelques-uns des remèdes. Il présage pourtant à cette littérature nationale de prochains beaux jours, et il les prédit : « Je vous les annonce, ils vont paraître ! » Il ne semble pas se douter qu’ils ont, en effet, commencé de luire vers la fin de sa vie, et que Goethe déjà est venu. Mais peut-on s’étonner que Frédéric n’ait pas senti Werther ?

En somme, tout ce qui était pensée mâle et ferme allait droit à son esprit sensé et vigoureux. Pour le reste, on s’aperçoit trop qu’il y est plus ou moins dépaysé ; dans tout ce qu’on peut appeler invention ou poésie, il n’avait que de brillantes ébauches, des saillies natives qui se répandaient surtout dans la conversation, mais qui s’amortissaient sous sa plume ou qui tournaient lourdement à l’imitation et presque au pastiche. Dans son admiration pour Voltaire, il y avait une part de vérité et de justice, et il entrait aussi une part d’erreur et d’illusion. Il sentait à ravir la gaieté de cette imagination brillante. Il jouissait de ce génie vif, familier, enjoué. « Il n’est pas donné à tout le monde, lui disait-il, de faire rire l’esprit. » On ne saurait mieux rendre cette espèce d’attrait, de don lumineux et jaillissant particulier à Voltaire. Vers la fin, et tout en lui souhaitant des sentiment plus doux, il le saluait encore « comme le plus bel organe de la raison et de la vérité ». Tout cela est aussi bien senti que justement exprimé. Mais quand Frédéric admirait dans Voltaire le grand poète par excellence, quand il voyait dans La Henriade le nec plus ultra des épopées, et qu’il la mettait bien au-dessus des Iliade et des Énéide, il prouvait seulement son manque d’idéal, et à quel point il avait borné de ce côté ses horizons. Les grands objets de comparaison étaient restés hors de sa portée et de sa vue : il parlait en cette matière tout à fait en homme qui n’avait vu ni conçu à aucun jour la beauté suprême et véritable.

« Quels plaisirs surpassent ceux de l’esprit ? » s’écriait Frédéric à vingt-cinq ans, — l’esprit, c’est-à-dire la raison brillante, la raison enjouée et vive. Il pensa toujours de même, et tout le secret de sa passion pour Voltaire est là. Cette passion (c’est bien le mot) fut d’ailleurs réciproque : Voltaire ne peut le dissimuler ; lui-même, la grande coquette, il fut pris par Frédéric, et dans le spirituel mais si misérable libelle, et si peu digne de confiance, qu’il écrivit après sa fuite de Berlin pour se venger du roi, il ne peut s’empêcher de dire, en parlant des soupers de Potsdam : « Les soupers étaient très agréables. Je ne sais si je me trompe, il me semble qu’il y avait bien de l’esprit ; le roi en avait et en faisait avoir. » Notez bien l’attrait jusque dans la colère. Voilà la séduction irrésistible qu’ils exerçaient l’un sur l’autre, et qui survécut même à l’amitié. Dans la seconde partie de la correspondance, lorsqu’ils la renouèrent après la brouille, on trouve un tout autre caractère que dans la première moitié. Toute illusion a cessé, et il ne reste plus que ce goût vif de l’esprit qui se manifeste encore. D’ailleurs, le Frédéric primitif et juvénilement enthousiaste a disparu ; il a fait place au philosophe, à l’homme supérieur expérimenté qui ne tâtonne plus en rien. Le roi aussi se fait plus souvent sentir. On se dit de part et d’autre des vérités, et (chose rare) on les supporte. Voltaire en dit quelques-unes au roi, et Frédéric les lui rend : « Vous avez eu les plus grands torts envers moi, écrit-il à Voltaire… Je vous ai tout pardonné, et même je veux tout oublier. Mais si vous n’aviez pas eu affaire à un fou amoureux de votre beau génie, vous ne vous en seriez pas tiré aussi bien chez tout autre… » Cependant, après ces paroles sévères et trop fermes pour ne pas être justes, après ces paroles de roi, comme le fou, amoureux du brillant esprit, se laisse voir encore aisément, quand il ajoute :

Vous faut-il des douceurs ? à la bonne heure : je vous dirai des vérités. J’estime en vous le plus beau génie que les siècles aient porté ; j’admire vos vers, j’aime votre prose, surtout ces petites pièces détachées de vos Mélanges de littérature. Jamais aucun auteur avant vous n’a eu le tact aussi fin, ni le goût aussi sûr, aussi délicat que vous l’avez. Vous êtes charmant dans la conversation ; vous savez instruire et amuser en même temps. Vous êtes la créature la plus séduisante que je connaisse, capable de vous faire aimer de tout le monde quand vous le voulez. Vous avez tant de grâces dans l’esprit, que tous pouvez offenser et mériter en même temps l’indulgence de ceux qui vous connaissent. Enfin vous seriez parfait si vous n’étiez pas homme.

Qu’on dise à présent si celui qui sentait à ce degré Voltaire, et qui trouvait de ces façons françaises pour lui insinuer les douceurs après l’amertume, n’était pas l’homme de son temps qui avait le plus d’esprit à côté et en face de Voltaire !

Quand on a lu certain portrait de Voltaire par Frédéric (1756), portrait tracé de main de maître en toute sûreté de coup d’œil et en toute nudité, on entre mieux encore dans le sens de cette phrase où il vient de dire que ce génie de séduction a de telles grâces, qu’il ressaisit bientôt ceux-là même qu’il a offensés et qui le connaissent23.

Je crois être plutôt resté en deçà du vrai, quand j’ai dit que l’attrait de l’esprit entre ces deux hommes survécut même à l’amitié ; car il est évident, à lire de bonne foi toute la suite et la fin de cette correspondance, que l’amitié elle-même n’est pas morte entre eux, qu’elle a repris avec un reste de charme mêlé de raison, et qu’elle se fonde, non pas seulement sur l’amusement, mais sur les côtés sérieux et élevés de leur nature. En même temps qu’il combat les instincts toujours irascibles et colériques de Voltaire vieilli, Frédéric exalte et favorise tant qu’il peut ses tendances bienfaitrices et humaines. Il se plaît à louer, à encourager en lui le défenseur de l’humanité, de la tolérance, celui qui défriche et repeuple la terre presque déserte de Ferney, comme lui-même il a peuplé les sables du Brandebourg ; en un mot, il reconnaît et il embrasse dans le grand poète pratique son collaborateur en œuvre sociale et en civilisation. Par un reste de culte et, si l’on veut, d’idolâtrie encore touchante, dans toutes les comparaisons qu’il établit entre eux deux, toujours il donne l’avantage à Voltaire, et d’un ton senti dont la sincérité n’est pas suspecte. Parlant de cet avenir de raison perfectionnée, dont il aperçoit à peine l’aurore, et dont, tout sceptique qu’il est, il ne désespère pas tout à fait pour l’avenir de l’humanité : « Tout dépend pour l’homme, dit-il, du temps où il vient au monde. Quoique je sois venu trop tôt, je ne le regrette pas : j’ai vu Voltaire ; et, si je ne le vois plus, je le lis et il m’écrit. » À de tels accents on devinerait, quand il ne le dirait pas, la passion qui était encore la plus profonde et la plus fondamentale chez Frédéric, celle que Voltaire vivant personnifiait à ses yeux : « Ma dernière passion sera celle des lettres ! » Elle avait été la première aussi.

La relation de Frédéric avec d’Alembert fut d’une tout autre nature que sa liaison avec Voltaire ; elle ne fut jamais aussi vive, mais elle eut durée et solidité. Ce n’était pas seulement un goût naturel qui portait Frédéric vers d’Alembert : « Nous autres princes, nous avons tous l’âme intéressée, disait Frédéric, et nous ne faisons jamais de connaissances que nous n’ayons quelques vues particulières, et qui regardent directement notre profit. » Frédéric avait songé de bonne heure à attirer d’Alembert à Berlin pour le faire président de son Académie. Ce projet devint tout à fait sérieux après la mort de Maupertuis, et quand Frédéric fut sorti de la guerre de Sept Ans. J’ai sous les yeux le recueil manuscrit et inédit des lettres écrites par d’Alembert à Mlle de Lespinasse pendant son séjour auprès du roi de Prusse24. En juin 1763, d’Alembert alla trouver Frédéric, qui était alors dans ses États de Westphalie ; il le joignit à Gueldre, et fit à sa suite le voyage jusqu’à Potsdam. D’Alembert avait déjà vu Frédéric plusieurs années auparavant ; en le revoyant, il est frappé de le retrouver supérieur à sa gloire même. Frédéric avait ce caractère propre aux grands hommes, qu’avec lui la première vue surpassait encore l’attente. Il commence par causer quatre heures de suite avec d’Alembert ; il lui parle avec simplicité, avec modestie, de la philosophie, des lettres, de la paix, de la guerre, de toute chose. À cette date, c’est-à-dire trois mois seulement après la conclusion de la paix, Frédéric avait déjà rebâti 4 500 maisons dans les villages ruinés : deux ans après (octobre 1765), il n’en aura pas rebâti moins de 14 500. On remarque tout d’abord avec d’Alembert ce côté organisateur et même pacifique chez le guerrier. Le côté aimable, familier et séduisant de Frédéric est parfaitement indiqué dans ce récit de notre voyageur : l’hôte prudent et modeste n’a pas eu le temps ou le désir de s’apercevoir des défauts qui altéraient souvent ce fonds de sagesse et d’agrément. Les honneurs d’ailleurs ne tournent point la tête à d’Alembert : il est touché, mais non enivré. Il a dîné, en passant dans les États de Brunswick, à la table de la famille ducale, et on l’a qualifié de marquis : il s’est soumis au titre après une légère réclamation. Apparemment, dit-il, c’était l’étiquette. Avec Frédéric il n’y a point d’étiquette, et tout se passe comme avec un particulier, homme de génie. D’Alembert aurait peu à faire pour devenir nécessaire à Frédéric par sa conversation, de même que Frédéric le serait à d’Alembert. Le temps n’était plus des soupers brillants de Potsdam, dont Voltaire avait vu et avait fait les derniers beaux jours : les convives familiers d’alors, les amis de jeunesse du roi étaient morts à cette seconde époque ou avaient vieilli. Le roi n’était pas seulement l’homme le plus aimable de son royaume ; si l’on excepte le Milord Maréchal, il était le seul : « Il est presque la seule personne de son royaume, dit d’Alembert, avec qui on puisse converser, du moins de ce genre de conversation qu’on ne connaît guère qu’en France, et qui est devenu nécessaire quand on le connaît une fois. » D’Alembert ne tarit pas sur l’affabilité, la gaieté du roi, les lumières qu’il porte en tout sujet, sa bonne administration, son application au bien des peuples, la justice et la justesse qui se marquent en tous ses jugements. Sur Jean-Jacques, par exemple : « Le roi parle, ce me semble, très bien sur les ouvrages de Rousseau ; il y trouve de la chaleur et de la force, mais peu de logique et de vérité ; il prétend qu’il ne lit que pour s’instruire, et que les ouvrages de Rousseau ne lui apprennent rien ou peu de chose. » Avec d’Alembert, dont il apprécia tout d’abord le caractère estimable, Frédéric se montre purement en philosophe ; on le voit tel qu’il aurait aimé à être dans la seconde moitié de sa vie, quand la goutte et l’humeur ne l’aigrissaient pas trop, et s’il avait eu autour de lui quelqu’un de digne avec qui s’entendre : « Sa conversation roule tantôt sur la littérature, tantôt sur la philosophie, assez souvent même sur la guerre et sur la politique, et quelquefois sur le mépris de la vie, de la gloire et des honneurs. » Voilà le cercle des sujets humains qu’il aimait à traiter habituellement, sincèrement, et en moralisant toujours ; mais la littérature et la philosophie étaient encore ce dont il aimait à causer par-dessus tout pour se détendre, quand il avait fait son métier de roi. Tous les bons côtés de Frédéric sont mis en saillie dans ce récit, et d’Alembert, circonspect d’ailleurs, n’a garde de voir autre chose durant ces trois mois de séjour. Il sait résister pourtant aux caresses et aux offres délicates du roi. Un jour qu’il se promenait avec lui dans les jardins de Sans-Souci, Frédéric cueille une rose et la lui présente en disant : « Je voudrais bien vous donner mieux. » Ce mieux, c’était la présidence de son Académie : il est singulier de voir ainsi rapprochées une présidence d’Académie et une rose. D’Alembert reste sage, il reste philosophe et ami jusqu’au bout, et fidèle à Mlle de Lespinasse. Il revient en France reconnaissant, conquis à jamais de cœur à Frédéric, mais non vaincu.

Il faut tout dire : quelques années après, Frédéric communiquait, un soir, de ses vers au professeur Thiébault, bon grammairien et académicien que lui avait procuré d’Alembert, et il se laissa aller par mégarde à montrer une épigramme très mordante qu’il avait faite contre d’Alembert lui-même : ce roi caustique n’avait pu se refuser au malin plaisir de noter quelque ridicule qu’il avait saisi dans ce caractère honorable. C’était là un défaut capital de Frédéric ; il se privait difficilement de dire aux gens des choses désobligeantes ou d’en écrire de piquantes. Dans le cas présent il se repentit vite d’avoir montré son épigramme à Thiébault, et il lui imposa la discrétion ; le bon d’Alembert n’en sut jamais rien. Mais, entouré, comme il l’était dans son intérieur, de beaux esprits courtisans et tous plus ou moins plats, Frédéric était moins scrupuleux à leur égard. Dès qu’il avait découvert leur côté faible, il les piquait sans pitié par ce défaut de la cuirasse ; il faisait d’eux ses plastrons, il s’exerçait à mépriser l’humanité en leur personne, et il s’acquit ainsi une réputation de méchant, quand ce n’était au fond qu’un terrible satirique de société. Les plus spirituels de ces plats courtisans et de ces faux amis, tels que l’abbé Bastiani, se vengeaient sous main du roi en le dénigrant auprès des étrangers. M. de Guibert nous a rapporté dans son Journal de voyage une de ces confidences pleines de noirceur et de perfidie, et à laquelle il se montre trop crédule. Le malheur de Frédéric fut de n’être entouré de tout temps, et surtout vers la fin, que de gens de lettres secondaires, et dont le caractère peu élevé se prêtait trop à ses jeux de prince. Des hommes dignes et ayant le respect d’eux-mêmes, tels que d’Alembert, l’eussent forcé à son tour de les respecter. L’estimable Thiébault, dans sa mesure modeste, sut bien y parvenir.

Revenu en France, d’Alembert continua de correspondre avec Frédéric ; et (si l’on oublie l’épigramme qui ne fut jamais connue) cette correspondance atteste des deux parts bien de la raison, de la philosophie véritable, et même de l’amitié, autant qu’il en pouvait exister alors entre un particulier et un monarque. D’Alembert aussi, ne l’oublions pas, a ses faiblesses ; nous savons déjà que les philosophes du xviiie  siècle n’aimaient guère la liberté de la presse que quand elle était à leur usage : un jour d’Alembert est insulté par je ne sais quel gazetier qui rédigeait le Courrier du Bas-Rhin dans les États mêmes de Frédéric ; il le dénonce au roi. Ici, c’est Frédéric qui est le vrai philosophe, le vrai citoyen de la société moderne, et qui lui répond :

Je sais qu’un Français, votre compatriote, barbouille régulièrement par semaine deux feuilles de papier à Clèves ; je sais qu’on achète ses feuilles, et qu’un sot trouve toujours un plus sot pour le lire ; mais j’ai bien de la peine à me persuader qu’un écrivain de cette trempe puisse porter préjudice à votre réputation. Ah ! mon bon d’Alembert, si vous étiez roi d’Angleterre, vous essuieriez bien d’autres brocards, que vos très fidèles sujets vous fourniraient pour exercer votre patience. Si vous saviez quel nombre d’écrits infâmes vos chers compatriotes ont publiés contre moi pendant la guerre, vous ririez de ce misérable folliculaire. Je n’ai pas daigné lire tous ces ouvrages de la haine et de l’envie de mes ennemis, et je me suis rappelé cette belle Ode d’Horace : Le sage demeure inébranlable…

Et il continue de lui paraphraser le « Justum et tenacem… » On reconnaît dans cette admirable leçon le disciple de Bayle sur le trône. Un autre jour, ce sera le disciple de Lucrèce. D’Alembert est dans la douleur, dans une douleur profonde et bien légitime : il a perdu Mlle de Lespinasse ; il va perdre Mme Geoffrin. Ce cœur de géomètre, si sensible à l’amitié, ne craint pas de s’épancher dans l’âme de Frédéric, d’y verser son affliction et presque ses sanglots, et le roi lui répond en ami et en sage, par deux ou trois lettres de consolation philosophique, qu’il faudrait citer tout entières. Un haut et tendre épicuréisme y respire, celui d’un Lucrèce parlant à son ami :

Je compatis au malheur qui vous est arrivé de perdre une personne à laquelle vous vous étiez attaché. Les plaies du cœur sont les plus sensibles de toutes, et, malgré les belles maximes des philosophes, il n’y a que le temps qui les guérisse. L’homme est un animal plus sensible que raisonnable. Je n’ai que trop, pour mon malheur, expérimenté ce qu’on souffre de telles pertes. Le meilleur remède est de se faire violence, pour se distraire d’une idée douloureuse qui s’enracine trop dans l’esprit. Il faut choisir quelque occupation géométrique qui demande beaucoup d’application, pour écarter autant que l’on peut des idées funestes qui se renouvellent sans cesse, et qu’il faut éloigner le plus possible. Je vous proposerais de meilleurs remèdes si j’en connaissais. Cicéron, pour se consoler de la mort de sa chère Tullie, se jeta dans la composition, et fit plusieurs traités, dont quelques-uns nous sont parvenus. Notre raison est trop faible pour vaincre la douleur d’une blessure mortelle ; il faut donner quelque chose à la nature, et se dire surtout qu’à votre âge comme au mien on doit plutôt se consoler, parce que nous ne tarderons guère de nous rejoindre aux objets de nos regrets.

Et il l’engage à venir passer quelques mois avec lui dès qu’il le pourra : « Nous philosopherons ensemble sur le néant de la vie, sur la philosophie des hommes, sur la vanité du stoïcisme et de tout notre être. » Et il ajoute avec ce mélange de roi-guerrier et de philosophe, qui semblerait contradictoire s’il n’était ici touchant, « qu’il ressentira autant de joie de le tranquilliser que s’il avait gagné une bataille ». De telles lettres rachètent bien quelques brusqueries de ton qu’on trouverait tout à côté et qui rappellent par accès la présence du maître ; elles répondent à ceux qui, ne prenant Frédéric que par ses duretés et par ses épigrammes, lui refusent d’avoir ressenti jusqu’à la fin des sentiments d’affection, d’humanité et, j’ose dire, de bonté, de même qu’il avait ressenti de vives et vraies amitiés dans sa jeunesse. Pour moi, de quelque côté que je le prenne, et jusque dans les années où ses défauts se marquèrent le plus, je ne puis que conclure en somme à son avantage, et dire comme Bolingbroke disait de Marlborough : « C’était un si grand homme, que j’ai oublié ses vices. » Dans le cas présent, le grand homme avait, malgré tout, du bon et de l’humain, et un fonds de cœur en lui.

Dans une édition choisie des Œuvres de Frédéric qui se ferait à l’usage des bons esprits et des gens de goût, pour ne pas tomber dans le fatras dont le voisinage gâte toujours les meilleures choses, je voudrais n’admettre que ses histoires, deux ou trois de ses dissertations tout au plus, et ses correspondances : ce serait déjà bien assez des vers qui se trouvent mêlés à ses lettres, sans y ajouter les autres. On aurait ainsi en tout une dizaine de volumes d’une lecture forte, saine, agréable et tout à fait instructive. Laissons, au sujet de Frédéric, ces noms tant redits et qui veulent être injurieux ou flatteurs, ces noms trop contestables de l’empereur Julien et de Marc Aurèle ; n’allons pas, d’un autre côté, chercher le nom de Lucien, dont il n’offrirait que des parodies et des travestissements étranges ; et, si nous voulons le désigner classiquement, définissons-le dans ses meilleures parties un écrivain du plus grand caractère, dont la trempe n’est qu’à lui, mais qui, par l’habitude et le tour de la pensée, tient à la fois de Polybe, de Lucrèce et de Bayle.