(1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47
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(1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Lettre à M. Victor Hugo

Monsieur

Vous me trouverez, sans doute, bien téméraire d’oser diriger contre vous une accusation ; mais le droit que tout homme de lettres a de défendre le théâtre national et la gloire des auteurs qui l’ont illustré pendant près de deux siècles, me décide à me livrer sans réserve au fanatisme de votre parti politique et littéraire. Je vous accuse donc, Monsieur, d’avoir, par des doctrines perverses et des moyens que vous seul savez employer, perdu l’art dramatique et ruiné le théâtre français.

Si, au moment où vous éprouvez des contrariétés, il vous semble peu généreux de ma part de saisir une occasion de combattre votre faux système en littérature, rappelez-vous le passé, les insultes faites à nos grands maîtres et à tous nous autres vieillards que vous et les vôtres appelez si élégamment les ganaches de l’empire.

Le but de ma lettre sera de faire connaître vos outrages envers les auteurs classiques, vos moyens de succès et le résultat qu’ils ont obtenu.

Témoin muet jusqu’à présent de cabales et de nombreuses intrigues, il était de mon devoir, de mon intérêt, comme le plus fécond des auteurs de la scène française, de défendre ce bel art dramatique que vous avez voulu complètement détruire. Quel moment plus favorable aurais-je pu choisir pour plaider ma cause, que celui où les tribunaux retentissent encore du bruit de votre dernier ouvrage ? D’ailleurs, la question littéraire n’est qu’accessoire au but que je me propose. Si je développe les erreurs de votre système, si je brise les ressorts que vous avez fait jouer pour le faire triompher de tous les obstacles que le bon sens vous opposait, c’est afin d’arriver naturellement à la première idée d’un projet de réforme qui doit tourner à l’avantage de l’art, des comédiens français et de vous-même.

Vous voudrez bien m’excuser, Monsieur, si, dans mes révélations, je me trouve obligé de dire avec franchise ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu. Il serait maladroit à moi, en m’exposant aux coups d’un aussi puissant adversaire, de négliger de rapporter tout ce qui peut justifier ma témérité. Ce qu’il y a de bien certain, c’est qu’en racontant naïvement les moyens adroits que vous avez employés pour accomplir, ainsi que l’a dit dernièrement votre honorable défenseur, la mission que vous vous êtes imposée, je ne sortirai point de cette modération et de cette politesse que les gens de lettres d’une opinion contraire doivent toujours conserver entre eux. Je n’imiterai point tous ces prétendus écrivains de nos jours qui, s’armant en votre faveur, nous poursuivaient et nous poursuivent encore, nous autres vieillards, des épithètes les plus injurieuses et les plus grossières. Non, Monsieur, bien loin de mettre de l’amertume dans mes récriminations, j’emploierai avec vous ce ton paternel que peut me permettre mon âge ; et dans la critique même de votre conduite, j’écarterai cette ironie amère plus déchirante que l’injure, et cette fausse pitié plus insultante que le mépris.

Mais avant de signaler les causes de la décadence du théâtre, je dois faire connaître en peu de mots les personnes auxquelles nous les devons. Quelques phrases de Mme de Staël sur la littérature allemande et les raisonnements faux d’un professeur de Bonn (M. Schlegel), qui s’est cru le droit de traiter avec mépris notre littérature dramatique, ont suffi pour armer contre elle tous ceux qui ne se sentaient ni la force ni le courage de marcher sur les traces de nos grands maîtres. De jeunes écoliers, sous le prétexte de briser les entraves qui enchaînaient leur génie, ont rompu tous les liens qui, en resserrant l’action d’un drame, donnaient à toutes ses parties plus de mouvement, plus d’intérêt et plus de vraisemblance. Mais ce n’est point ici le lieu de plaider en faveur des unités. En remontant à la source de la révolution littéraire, je n’ai voulu que faire connaître ses premiers auteurs.

Cette idée répandue tout à coup que le théâtre allemand et celui de Shakespeare étaient supérieurs au théâtre français, il n’est pas étonnant que quelques jeunes gens aient vu dans cette découverte l’espoir de surpasser, en s’affranchissant de toute espèce de frein, nos plus grands maîtres de la scène1. Au nombre de ces jeunes gens, vous avez été le premier, Monsieur, à concevoir les plus grandes espérances de ce nouveau système. Votre imagination, très riche en paradoxes, a saisi avec ardeur ces nouveaux moyens de succès. Déjà connu par des poésies pleines d’énergie, vous avez prêché avec tout l’avantage du talent la nouvelle doctrine. Mais comme si ce n’était pas assez d’indiquer une route inconnue jusqu’à vous à tous vos jeunes néophytes, vous avez cru devoir leur prouver que tout ce que nos pères ont admiré pendant près de deux cents ans, était indigne maintenant de notre attention. De là des écrits nombreux, des diatribes amères contre Racine, Voltaire et Boileau ; et si, dans votre guerre à nos immortels génies, vous avez épargné Corneille et Molière, les plus classiques de tous nos auteurs, c’est que, par pitié pour la France, vous n’avez pas voulu lui enlever toutes ses gloires.

Je conçois très bien, Monsieur, qu’un homme de votre âge ait cherché avec ardeur un nouveau chemin pour arriver plus tôt à des succès ; mais je ne conçois pas qu’en y entrant, vous ayez eu besoin de salir les réputations anciennes et modernes2. Certes je ne crois pas qu’aucun sentiment d’envie vous ait inspiré cette mauvaise pensée ; mais je crois plutôt qu’en vous mettant en opposition avec la vieille nation, vous avez découvert un moyen pour vous rendre favorable une jeunesse vive, spirituelle, toujours prête à s’émouvoir pour le triomphe d’une idée nouvelle.

Votre influence, celle de vos amis a dû finir par conquérir un grand résultat qui devait vous être favorable. Après mille attaques contre nos grands poètes3 vous l’avez enfin obtenu. D’un avis unanime vous êtes devenu le chef de la doctrine romantique. Avec vous notre jeune France s’est mise à l’œuvre ; avec vous elle a voulu détruire ces grands monuments littéraires auxquels nous autres auteurs de l’empire avions enchaîné notre gloire et notre fortune. J’ai dit notre gloire, Monsieur, parce qu’il est bien convenu entre nous que tout auteur a de la gloire. Vous avez la vôtre, et moi j’ai la mienne. La mienne, j’en conviens, mal servie par les trompettes de la renommée, s’est toujours bornée à suivre dans la carrière ces hommes de génie que nos pères avaient la faiblesse d’appeler grands. Si je n’ai pas atteint mes prédécesseurs, au moins, comme l’un de leurs plus dignes disciples, ai-je eu le bonheur de ne pas marcher très loin d’eux. Mais cet avantage n’a pas duré aussi longtemps que ma vie. Vous avez voulu paraître sur la scène française, et les grands maîtres et leurs disciples en ont disparu.

De cette puissante voix qui se fait entendre tout à la fois dans vos ouvrages, dans les journaux, dans les salons vous avez dit : « L’art dramatique n’est point connu en France, nos prédécesseurs n’y entendaient rien, nos pères ont eu tort de rire, ou d’éprouver de vives émotions à la représentation de leurs anciens ouvrages, il n’y a de vrai beau que la nature, moi seul je ferai connaître aux Français le vrai beau. »

À ces paroles mémorables cent novateurs ont répondu par des cris de joie ; vous êtes tout à coup devenu leur prophète, leur Dieu ; vous avez parlé, ils vous ont écouté avec respect ; vous avez prêché votre loi, ils ont suivi vos préceptes ; vous avez ordonné des chefs-d’œuvre, ils ont travaillé ; enfin vous avez opéré vos miracles, et les théâtres sont tombés.

Mais vos sectaires, Monsieur, qui, au moment où vous avez commencé à leur prêcher la parole romantique, avaient encore la modestie, la douceur des apôtres du divin Messie, grâce au succès rapide de votre doctrine, sont devenus tout à coup cruels, intolérants. Après avoir attaqué timidement les gloires passées et les célébrités présentes, ils ont fini, comme je l’ai déjà dit, par disputer à nos grands hommes leurs brevets d’immortalité. Devenus prédicants passionnés de la loi nouvelle, ils ont voulu la faire exécuter dans ces derniers temps, comme les guerriers de Mahomet ou comme les satellites de Robespierre, la barbe au menton et le sabre au côté.

J’ai tort d’anticiper sur les événements. L’instant viendra où je ferai paraître cette bruyante cohorte, armée de pied en cap et prête à mourir en défendant son chef.

C’est vous, Monsieur, que je veux représenter en ce moment à mon lecteur, environné du cortège de vos zélés admirateurs, venant lire aux comédiens français votre premier évangile. Ils en ont conservé un souvenir qui de l’intérieur du temple est passé dans le monde profane. Quel jour ! quel triomphe que cette lecture d’Hernani ! de quelle couleur les acteurs ont peint l’enthousiasme de votre brillant entourage4. À peine répandiez-vous avec douceur et modestie la parole divine, que les comédiens émus, enivrés des transports que vous faisiez naître parmi vos disciples, se sont prosternés devant vous et ont adoré le vrai Dieu.

Hélas ! ce beau triomphe bien ordonné en vous couvrant de gloire est devenu pour nous, pauvres auteurs du temps de l’empire, un arrêt de proscription. Tous les auteurs vivants qui avaient illustré la scène se sont vus abandonnés. Au milieu de ce fanatisme universel en faveur de la nouvelle loi, les images durables dont une postérité reconnaissante avait fait hommage à nos grands hommes, ont été sur le point d’être brisées et de vous être offertes en débris, comme un holocauste digne de votre génie5.

Les comédiens, froids témoins de tant d’extravagances, séduits par votre éloquence, entraînés par vos disciples, se sont alors empressés de sortir de la voie sacrée que leur avaient tracée leurs prédécesseurs. Bientôt j’ai prévu qu’envahis par une horde de barbares (passez-moi le mot) ils ne laisseraient plus approcher de leur théâtre le bon goût, l’esprit et la raison. J’ai prévu même que la liberté du théâtre qui devait être un inévitable effet des événements de juillet, en enlevant tout frein à ceux qui ne reconnaissaient déjà plus les lois du savoir et de l’expérience, aiderait à violer bientôt celles de la décence et de la morale. Enfin j’ai prévu que ce Théâtre-Français jadis si noble, si élégant, si épuré, deviendrait plus tard un mauvais lieu où tout honnête homme craindrait de conduire, certains jours, ou sa femme ou sa fille.

Vous excuserez, Monsieur, cette sortie un peu amère sur les suites de vos doctrines. Elle s’échappe d’un cœur ulcéré. Oui, vous me pardonnerez quand vous saurez que celui qui vous écrit avait placé tout le charme de sa vie sur la splendeur de ce grand théâtre. Il n’y a jamais cherché la fortune, mais il y poursuivait une renommée pure, légitime : douce chimère qui nous fait oublier l’absence de la richesse, et berce, par l’espoir de n’être pas tout à fait oublié, les derniers ans de notre laborieuse existence ! Hélas ! je me suis dit bien souvent, c’en est fait du Théâtre-Français, puisque je vois cette actrice célèbre, qui tant de fois a partagé mes succès, endurer avec un front calme les outrages des aveugles que vous n’aviez point encore convertis à votre foi nouvelle. Il faut qu’elle soit bien fanatisée, bien imbue des principes nouveaux, puisque, si supérieure dans les rôles qui exigent la finesse, la grâce et la décence, elle brigue, en grimaçant des parodies tragiques, les honneurs d’un martyre qui finira par avilir tout à fait son noble talent6.

Attristé de toutes ces idées, et comme je vous l’ai dit, prévoyant tous les orages de l’avenir, j’ai brisé ma plume… Quoique fatigué d’avoir écrit plus de cinquante ouvrages, je sentais pourtant encore le désir d’offrir au public les derniers fruits de mon expérience… Mais dans ces temps de folie et de dévergondage littéraire, quel aurait été le prix de mes efforts ? Je n’aurais pu comme vous, comme tous vos imitateurs, offrir ces hardiesses dramatiques qui font reculer d’horreur, ces héros de potence, ces tueurs du moyen âge, ces brigands de nos révolutions, ces assassins, ces voleurs de nos jours, ces prostitutions de filles publiques, ces viols accomplis presque sur la scène. Les comédiens d’ailleurs m’auraient-ils entendu, eux qui ont eu la sottise de prendre pour un succès l’empressement d’un public curieux de voir une fois, une seule fois, ce qui est monstrueux, ridicule et bizarre ? Ne savaient-ils donc pas, ces insensés, que la réputation d’un auteur n’est pas bornée à l’enceinte de Paris ? que le parterre de leur théâtre, composé selon le plus ou moins d’adresse et d’activité de l’auteur ou du directeur, n’a aucune influence hors de leur juridiction ? Ne savaient-ils donc pas enfin que les pièces applaudies par les bandes romantiques allaient souvent expirer sous les sifflets mérités du public impartial de la province7 ? Cependant ils n’ont pu ignorer que de tous les chefs-d’œuvre dont ils croient depuis cinq ou six ans avoir enrichi leur scène, aucun n’a reçu, dans les départements, cet accueil bienveillant qui les attache au répertoire, et les fait ressembler à ceux

Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Sont au bout de vingt ans encor redemandés.
(Boileau.)

Mais, me dira-t-on, que pouvaient faire les comédiens ? Après avoir arboré l’étendard du romantisme, pouvaient-ils ramener le public par des ouvrages simples, intéressants ou gracieux ? Sans doute ils le pouvaient, en cédant aux conseils des hommes qui, pendant plus de quarante ans, ont contribué à leur fortune par leurs travaux. Ils devaient bien s’apercevoir qu’on les conduisait à leur perte ; que leurs prétendus succès n’étaient point légitimement obtenus ; que leurs recettes n’étaient que fictives ; que leur salle n’était remplie que par des billets vendus à vil prix, et qu’enfin cette apparence de richesse ne tournait qu’au profit de l’agiotage, du décorateur et du costumier.

Mais, au reste, que pourrais-je leur dire de plus sur ce sujet qu’ils ne sachent tout aussi bien que moi ? Leur malheureuse position, pour ne pas dire leur misère, ne leur a déjà prouvé que trop clairement combien ils se sont trompés en descendant, de leur propre volonté, au niveau des petits théâtres. Ils ont complètement oublié que la scène française n’avait acquis sa réputation que par le choix éclairé des ouvrages qui se recommandaient d’eux-mêmes par la pureté du style, l’énergie de la pensée, le naturel du dialogue et par des effets dramatiques ingénieusement amenés. Enfin ils ont prouvé, par l’inconséquence de leur conduite, en sacrifiant avec un dévouement empressé aux idées fausses d’une secte impie en littérature, en accueillant avec un enthousiasme féroce les monstruosités qui leur ont été offertes, en mêlant leur voix injurieuse aux détracteurs des immortels auteurs qui avaient fait de leur théâtre le premier de l’Europe, qu’ils voulaient renoncer à l’honneur d’être les dignes interprètes des hommes de génie qui font encore la gloire de la France et l’admiration du monde entier.

Mille pardons, Monsieur, si je me suis arrêté trop longtemps sur les torts que pouvaient avoir les comédiens français envers leurs auteurs classiques. Quoique très blessé de leur conduite à mon égard, je ne crois pourtant pas avoir exagéré leurs fautes. Maintenant qu’ils sont malheureux par trop de confiance dans vos nouvelles doctrines, je voudrais pouvoir me dissimuler tout le mal qu’ils m’ont fait et qu’ils se sont fait à eux-mêmes ; je voudrais même qu’il dépendît de moi de les faire rentrer dans la bonne voie et de les appuyer d’un ouvrage nouveau qui pût, comme cela m’est arrivé plus d’une fois, les sauver du naufrage en contribuant encore à faire briller leurs talents.

Il en est de même de vous, Monsieur : je ne vous cacherai pas qu’au moment où vous vous êtes armé pour détruire nos anciennes croyances ; de ce moment où Racine, Voltaire et Boileau ont provoqué vos mépris, j’ai redouté dans vous un ennemi d’autant plus dangereux pour le théâtre, que vous avez reçu du ciel ce génie adroit et persévérant qui fait triompher l’erreur et force la vérité à se cacher quelque temps. Cependant, quand j’ai vu qu’après de vains efforts vos apôtres n’avaient pu faire chanceler sur leurs bases les statues de nos grands hommes, quand j’ai vu que des étrangers vraiment patriotes venaient nous demander si les écrivains qui avilissaient des noms immortels, qui reniaient les gloires de leur pays étaient Français…8, je me suis rassuré sur les attaques répétées de ces mauvais citoyens, et j’ai commencé à douter de leur succès à venir.

Comme rien n’a justifié vos nouvelles doctrines, comme on ne doit, classiquement parlant, à vos nouvelles muses que des ouvrages indignes de l’attention publique, j’ai dû profiter de ce moment d’anarchie et d’aveuglement pour soulever le bandeau qui semble encore s’épaissir sur vos yeux, et pour vous offrir les conseils d’un vieillard dont le travail et l’expérience ne peuvent être contestés. Vous possédez, Monsieur, un genre de talent qui, si vous vouliez abandonner vos fausses idées, pourrait faire oublier bientôt toutes vos erreurs. Vous avez une imagination vive, une verve intarissable qui se révèle par des pensées fortes et hardies ; mais il vous manque un ami, ou plutôt parmi tant d’amis un ennemi généreux qui vous éclaire et qui vous dise avec fermeté : Malgré tous les dons que vous avez reçus du ciel, en suivant la route que vous avez prise, vous ne ferez jamais un bon ouvrage dramatique. Vous ne voulez pas croire qu’une action présentée au bon sens du public veut être coordonnée par la raison, liée dans toutes ses parties, rompue et renouée avec vraisemblance, et terminée sans effort par une catastrophe ou par un dénouaient. Ces règles, Monsieur, ne sont point créées par moi ; elles sont le fruit de l’expérience des siècles : et en supposant qu’en les violant on pût obtenir par hasard un succès, cela ne prouverait rien contre leur utilité indispensable.

Vous me pardonnerez ces souvenirs classiques ou plutôt ces préceptes pour lesquels vous avez professé le plus grand mépris ; mais moi, je suis vieux, et trente succès que je leur dois me donnent bien le droit de regretter mon beau théâtre, que, dès votre entrée dans la carrière, vous avez eu le projet d’anéantir9. Réjouissez-vous, Monsieur, votre œuvre est accomplie.

Vous trouvez peut-être que dans mes récriminations je me mets trop en cause, que je parle trop de moi. J’en conviens de bonne foi, et tel n’était pas mon projet. En m’armant contre vous pour défendre un art que j’idolâtre, j’ai voulu d’abord vous écrire au nom de tous mes confrères, victimes comme je le suis de vos idées nouvelles ; mais, en y réfléchissant, j’ai pensé qu’il me serait difficile de parler collectivement. Et d’ailleurs, comme aujourd’hui le moi se montre hardiment partout, comme on le rencontre à la fois à la tribune, dans les journaux et même dans tous vos écrits, je ne craindrai pas de m’en servir. Au reste, comme ma cause est celle de tous les gens de lettres bannis du Théâtre-Français, en la plaidant avec franchise et politesse, je crois aussi plaider la leur.

En vous parlant souvent de moi, je trouve un grand avantage, celui de blâmer votre conduite et de faire approuver la mienne. Ce n’est que dans un parallèle des moyens dramatiques que j’ai adoptés et de ceux que vous employez pour arriver plus vite, que je puis tirer des conséquences utiles à ma cause ; mais le désir que j’ai de la gagner ne me rendra point injuste à votre égard. En vous reconnaissant du talent je n’ai fait que vous rendre justice. Personne n’a admiré plus franchement que moi vos hautes poésies ; je ne dois pas les citer. Aujourd’hui que vous marchez sous un étendard politique, en les désignant seulement par leurs titres, j’aurais l’air de vous lancer des épigrammes. Telle n’est pas mon intention, je vous l’assure. Et si cet écrit ne devait pas avoir pour résultat de sauver le Théâtre-Français de sa chute complète, je ne vous l’aurais pas adressé. Retiré d’un monde que je dois connaître, je ne vis plus que dans mes souvenirs ; et comme je n’ai dû mes instants de bonheur et de chagrins qu’aux péripéties de la scène française, il n’est pas étonnant que dans mon intérêt, qui est celui de tous les auteurs et des comédiens, je vous adresse paternellement de justes reproches. Peut-être verrez-vous dans ma franchise un excès d’amour-propre en vous parlant de mes succès selon les règles. Mais en supposant qu’un peu de vanité puisse être permise à un auteur presque toujours heureux, aujourd’hui j’aurais le droit de m’élever jusqu’à l’orgueil, en prouvant à mon jeune adversaire qui, dans ma qualité de classique, m’a témoigné tant de mépris, que je compte autant de succès qu’il a d’années, et que plusieurs de mes ouvrages, plus âgés que lui, n’ont point été engloutis dans sa révolution littéraire et prospèrent encore, au milieu de cette anarchie, protégés par l’estime publique.

Puisque aussi dans ma triste qualité de vieillard il m’est permis de rappeler un passé qui me fut honorable ; puisqu’il est également convenu que tout auteur a de l’amour-propre, je ne craindrai pas de vous parler avec franchise de ma vie littéraire et de la manière dont on obtenait des succès de mon temps. Je prends à témoin de la vérité de mon récit tous les comédiens qui jouaient dans mes pièces et tous les auteurs mes confrères, qui n’agissaient pas autrement que moi. Nous ne connaissions point alors ce charlatanisme des journaux et des billets donnés. S’il existait quelque cabale, elle ne pouvait être que contre nous. C’était presque toujours celle de l’école polytechnique qui jouait à croix ou pile le sort de nos pièces10. Si l’ouvrage était repoussé, après deux ou trois représentations en appel, nous nous soumettions à notre sort avec résignation. Si nous obtenions un succès, il était aussi franc que mérité ; et malgré la critique injuste d’un journal, dont la vénalité était connue11, l’auteur pouvait jouir de son triomphe, car il l’avait obtenu sans intrigue et sans scandale.

Il n’en est pas de même aujourd’hui, Monsieur ; et vous, plus que personne, pourriez nous donner une idée de la tactique employée de nos jours dans les premières représentations ; non que je prétende que votre intention ait été d’obtenir des succès de vive force ; mais on ne peut pas toujours diriger ses fanatiques prosélytes, qui, dans la crainte d’une opposition, deviennent hostiles et menaçants. Vous ne pouvez ignorer que, pour prévenir la cabale classique12, le premier moyen qu’on emploie est de s’emparer de la salle tout entière, afin de ne vendre les stalles et les loges qu’à ses amis et à ses connaissances13. Quand à force de soins, de courses, on s’est formé un public assez intrépide pour applaudir des absurdités, on peut espérer que les cris, les menaces, le bruit parviendront à faire taire la raison, ce qui est déjà un triomphe. Ce que je rapporte ici, je l’ai vu, de mes propres yeux vu. À certaines représentations, on se trouvait environné d’hommes effrayants dont le regard scrutateur épiait votre opinion, et si, par malheur, votre figure indiquait l’ennui ou le dégoût, ils vous attaquaient par l’épithète épicier, mot injurieux selon eux, qui signifie, dans leur argot, stupide, outrageusement bête 14 ; mais si vos cheveux étaient blanchis par le temps, alors vous étiez des académiciens, des perruques, des fossiles contre lesquels on vociférait des cris de fureur et de mort. Je vous assure, Monsieur, qu’il n’y a rien d’exagéré dans ce tableau d’une première représentation romantique. Tout Paris vous en attestera la vérité.

Maintenant parlons de vos ouvrages et de l’effet qu’ils ont produit sur le public. Peut-être il ne m’appartient pas d’en faire une critique raisonnée ; et d’ailleurs cela nous mènerait trop loin ; mais cependant, comme vous et vos partisans avez plus d’une fois critiqué tous nos grands auteurs et jeté le plus grand mépris sur ce que vous appelez la littérature de l’empire, dont j’ai l’honneur de faire partie, il doit m’être permis de vous dire, le plus poliment que je pourrai, ce que je pense de vos drames. Comme il serait trop long de les analyser, et que d’ailleurs cela intéresserait fort peu le lecteur, je me contenterai de vous prouver, par quelques raisonnements généraux, combien vous connaissez peu le théâtre.

Je vais essayer en quelques mots de vous donner une idée de la poétique suivie par tous les auteurs de mon temps jusqu’au moment où il vous a plu de commencer votre révolution. Après le choix du sujet, le premier but que se propose l’auteur est d’en tirer une conséquence morale ; le second d’intéresser au sort de tels ou tels héros, connus ou inconnus, vertueux ou coupables, par des qualités qui les élèvent au-dessus du vulgaire ; le troisième de les environner de figures secondaires propres à faire ressortir leur caractère ou à émouvoir leurs passions ; le quatrième de faire jouer tous ces personnages dans la chaîne d’une intrigue claire et pourtant variée ; le cinquième de les faire parler selon le temps, la circonstance, leur rang dans le monde, leur caractère bien exposé, dans un style simple, naturel, énergique et toujours élégant ; enfin, Monsieur, de les faire arriver à une catastrophe qui n’inspire pas une trop grande horreur, ou à un dénouement qui ne blesse ni la raison, ni la décence.

Voilà ce que nous ont appris nos prédécesseurs, nos maîtres dans l’art dramatique. Voilà les règles que mes contemporains et moi avons toujours suivies, et voilà ce dont vous ne voulez pas.

Si je ne vous ai point parlé des unités, quoique bien convaincu qu’elles sont nécessaires, indispensables même pour nous conduire à des beautés supérieures, c’est qu’il est des circonstances où le sujet peut forcer à en secouer le joug. Mais des trois unités, il en est une que l’on ne peut jamais violer, c’est celle de l’action ; et c’est cependant, dans votre nouveau système, ce qui se fait tous les jours. Aussi, que voyons-nous !

Examinons d’abord, Monsieur, si, dans l’un des trois ouvrages que vous avez donnés au théâtre, vous avez suivi ces premiers préceptes de l’art qui nous sont commandés par le bon sens. Dans votre Hernani, vous avez deux intérêts, l’un d’amour, l’autre d’ambition. Vos héros, gens très singuliers, et fort peu historiques, grâce à vos changements de temps et de lieu, changent également de caractère. Vos événements, pressés les uns sur les autres selon votre bon plaisir, sont plus romanesques qu’intéressants : ils se composent de la proscription d’un noble devenu chef de brigands, ce qui n’est pas nouveau ; d’un acte de générosité fait par un vieillard rodomont, jaloux et bavard, faible et fausse imitation du beau don Diègue de Corneille ; d’un galantin devenu empereur et philosophe profond au moment de son couronnement ; enfin, de la noce d’une demoiselle tant soit peu dévergondée ; et tout cela finit au bruit d’un cor merveilleux, qui force deux tendres amants, près de s’enivrer de la coupe du plaisir, à s’empoisonner de compagnie, le tout pour satisfaire la vengeance d’un vieillard stupide ; car c’est ainsi que vous l’appelez vous-même.

Je ne vous parlerai pas de tous ces mots gothiques et grotesques dont vous croyez devoir semer votre dialogue. C’est la suite de votre système. Vous vous imaginez à tort que la trivialité est le naturel, et que de vieux mots, qui ne sont plus dans la langue, ajoutent beaucoup à la couleur du style. Eh ! bien, ils font sur moi l’effet du temps qui noircit un tableau et en détruit l’effet. Ce ridicule a si bien gagné votre école que bientôt on ne comprendra plus les livres de vos imitateurs. Ils ont ressuscité Ronsard, si bien qu’ils ont plutôt l’air d’écrire pour nos aïeux que pour les hommes de notre temps et pour la postérité.

Je ne m’appesantirai pas non plus sur la catastrophe d’Hernani, qui est devenue pour tous vos disciples le moyen de se débarrasser des héros de leurs drames. On a reproché à tous nos tragiques anciens d’user trop souvent du poignard pour terminer leurs pièces, ainsi qu’on reproche encore aux auteurs comiques de finir les leurs par un mariage. Le reproche n’est pas juste, car il est impossible de faire autrement ; et la nouvelle école n’a pas fait un grand progrès en y substituant le viol, la prostitution, et des boulettes de poison ; d’autant plus qu’elle ne peut elle-même varier ce moyen, et que cette façon d’émouvoir le public peut être beaucoup plus nouvelle, mais à coup sûr est beaucoup plus immorale. Je conviens cependant qu’il y a dans le viol et la prostitution un grand motif de curiosité pour le parterre et la certitude de toucher bien vivement le cœur des femmes sensibles. Aussi ne craignent-elles pas de suivre certaines représentations d’où, après avoir été obligées de rougir du regard malin de certains hommes, elles remportent au moins dans leur intérieur des souvenirs qui ne laissent pas d’avoir quelques charmes.

Vous avez si bien senti, Monsieur, l’efficacité de ce moyen dramatique que vous avez employé un viol et deux prostitutions dans vos deux derniers ouvrages. Tout vieux que je suis, je ne me suis point trouvé froid aux grands effets qu’ils ont produits sur le public ; mais ce qui ne m’a pas autant plu, c’est la tristesse de vos joyeux fous. Vous avez un bien singulier goût pour ces hommes dégradés du moyen âge : de bon compte j’en trouve six (en y comprenant Cromwell) dans trois de vos ouvrages. Cette manie de ramener si souvent des personnages qui ne sont point amusants est, vous en conviendrez, un grand défaut de goût. Il en est de même de votre vieillard, mal imité de Corneille, que vous placez trois fois dans trois pièces différentes, dans la même situation, disant presque la même chose et dans les mêmes mots. Si cette répétition des mêmes personnages et du même caractère prouve une absence d’invention, elle prouve aussi que vous savez distinguer ce qui est beau, et que malgré votre colère contre les anciens auteurs, vous savez très bien leur prendre ce qui vous convient. Mais, comme l’a dit M. le marquis Voltaire15, pour bien dérober il faut tuer les gens ; et jusqu’ici vous n’avez tué personne.

Cependant au milieu de cette confusion de genres, de ces actions heurtées et sans suite, de ces personnages grotesques, rodomonts et ampoulés, de ce cliquetis de pensées hardies et tout à la fois neuves, élevées et communes, il est impossible de ne pas reconnaître dans vos productions dramatiques une imagination vive, une verve surabondante, une manière pittoresque d’exprimer une belle pensée, quelques scènes savamment creusées, et enfin, si vous voulez rétrograder vers le simple bon sens, l’espoir d’un talent vif et original.

Ah ! Monsieur, je n’ai point l’honneur d’être connu de vous ; je n’ai pas plus de titre pour vous donner des conseils que je n’en ai pour faire la critique de vos ouvrages ; et si j’ai pris cette liberté, c’est que j’ai conçu l’espoir, tout en éclairant le public et le gouvernement sur la cause de la décadence de notre beau théâtre, de détruire quelques-unes de vos erreurs romantiques et de rappeler tous nos jeunes auteurs à des idées plus saines sur notre littérature dramatique.

Peut-être serait-il possible aussi qu’à l’époque de l’examen du budget, où le gouvernement et les chambres vont se trouver forcés de s’occuper des théâtres, quelques-unes des idées que je vais vous soumettre à la fin de ma lettre pussent être remarquées de nos législateurs, et les engager par de nouveaux sacrifices à rétablir le théâtre national sur une base durable.

Surtout, Monsieur, ne croyez pas qu’aucun motif de haine ait dirigé ma plume. Sans doute vous m’avez fait du mal, comme vous en avez fait à tous mes confrères en vous emparant d’un théâtre sur lequel vos succès ne vous donnaient aucun droit ; mais enfin vous avez agi dans votre intérêt, et en prouvant aux comédiens que mes ouvrages et ceux de mes confrères n’avaient pas le sens commun parce qu’ils n’étaient pas composés selon votre système, vous n’avez fait encore qu’user du droit que donnent l’esprit et l’éloquence sophistique et paradoxale sur des esprits faibles qui ont cru trouver, au bout de la route que vous leur avez indiquée, les mines du Potose ouvertes à leur avidité. Maintenant que l’expérience doit les avoir détrompés, et qu’il ne leur reste de leurs chimères de fortune que quelques lambeaux de décoration et les vieux habits tout neufs du moyen âge16, ils se rappelleront (car le malheur ramène bien des souvenirs) qu’il existait avant vous des hommes de lettres qui, sans frais, sans dépense, aidés du talent de cinq ou six acteurs et par le seul ascendant de leur esprit et de leur éloquence, contribuaient tout à la fois à la fortune et à la gloire du Théâtre-Français.

Je n’entrerai pas dans de plus longs détails à ce sujet. La correspondance qui s’est établie entre les comédiens et les auteurs, pendant la lutte classique et romantique, nous révélerait tous les petits moyens odieux que l’on a employés pour détruire ce que vous appelez avec mépris la littérature de l’empire ; mais elle ne viendra jamais à la connaissance du public.

J’en reviens, Monsieur, au talent poétique que je me plais à vous reconnaître dans tout autre genre que celui du théâtre ; mais comme je crois que si vous avez échoué sur la scène, c’est que vous êtes parti d’un faux principe, je crois de même que du moment où vous voudrez l’abandonner et revenir à la raison de nos pères, vous retirerez un grand avantage de votre conversion. N’avez-vous pas vu d’ailleurs quels ont été les effets de votre déplorable système ; n’avez-vous pas vu que, dans ce renversement de toutes les lois dramatiques, vous avez excité une anarchie qui vous a donné d’anarchistes imitateurs ? Quoique bien inférieurs à vous, ils vous ont surpassé par l’audace et l’oubli de toute bienséance. Il en sera de même dans toutes les révolutions, soit littéraires, soit politiques. Les chefs d’une opposition, en soulevant leurs partisans contre de prétendus abus, se forment des disciples qui, bientôt devenus leurs maîtres, les forcent à suivre une phalange immorale et perturbatrice.

Je vous ai bien dit, Monsieur, au commencement de ma lettre, que mon langage serait celui d’un père à son fils. Si par ma franchise j’en montre la sévérité, j’en possède aussi la bienveillante justice. Personne, j’ose le croire, ne verra dans les avertissements que je prends la liberté de vous donner, les vils motifs de la haine et de l’envie. Il n’existe aucune rivalité entre nous ; et si vous vous êtes avisé de tourner vos pas vers le théâtre, nous y avons marché sur des routes si différentes, que nous n’avons jamais dû nous y rencontrer. Le moment où vous recommencerez une nouvelle route (car il faudra bien qu’un jour vous en preniez une autre) verra probablement finir la mienne. Je souhaite alors, Monsieur, qu’éclairé par mes bons avis, vous fournissiez une carrière théâtrale qui ne vous laisse, comme à moi, aucun reproche à vous faire. Dans le cours de toute ma vie, je suis certain de n’avoir nui à aucun de mes confrères, et les succès que je puis avoir obtenus sont reconnus par eux bien légitimes. Car il ne suffit pas du désir de chercher à surpasser ses rivaux, il faut encore tâcher de n’obtenir un triomphe que par des moyens communs à tout le monde. Il faut se défendre également de cet orgueil despotique, qui veut en dépit de la raison et des lois nous faire briser les obstacles que nous nous sommes créés nous-mêmes. Sans doute la persévérance qu’on a dans ses opinions prouve la grande conviction que l’on a de son droit ; mais quand la voix publique condamne l’objet de nos récriminations, il est plus que déraisonnable de ne pas céder, ou du moins de ne pas réclamer contre elle avec douceur et politesse. Cette réflexion, Monsieur, me conduit tout naturellement à votre procès. Si mes opinions se trouvent encore sur ce sujet contraire aux vôtres, c’est que probablement il est dans ma destinée de ne pas voir les objets sous la même forme que vous.

Mais avant de commencer à vous parler de votre procès, je dois vous remercier d’abord du service que vous venez de rendre aux auteurs en forçant les comédiens à venir s’excuser de ne pas jouer une pièce que le public a repoussée avec tant d’éclat. Ces messieurs, de mon temps, avaient beaucoup moins d’égards pour nous ; ils savaient très bien abandonner nos ouvrages, même après un succès. Il suffisait pour cela qu’une phrase blessât la coquetterie de l’actrice en faveur, qu’on y parlât mal de l’âge ou de la beauté du personnage qu’elle représentait, que l’acteur son rival fût plus applaudi qu’elle, qu’elle eût un congé pour aller faire ses récoltes départementales, ou enfin qu’il lui plût de ne pas jouer la pièce par un simple caprice, pour une partie de plaisir de quelques jours. Tous mes confrères, et même les acteurs, vous attesteront de bonne foi que jamais pièce n’a été jouée au Théâtre-Français que selon leur bon plaisir. Aussi, Monsieur, quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai vu les comédiens venir dire en plein tribunal, par l’organe de leur avocat, que sans l’ordre du gouvernement ils auraient rejoué votre pièce. Car, d’un mot, ils pouvaient terminer le procès en attestant que la première représentation de l’ouvrage les dispensait bien d’en donner une seconde, qu’en ne la rejouant pas, ils ne faisaient qu’user du droit qu’ils avaient depuis un temps immémorial. Au reste, Monsieur, honneur à vous qui avez acquis une telle puissance sur les comédiens, qu’ils ont reconnu publiquement qu’on pouvait par arrêt de la Cour les forcer à rejouer une pièce tombée par arrêt du public. Vous nous avez acquis là un beau privilège, et je vous en remercie au nom de tous les auteurs. Reste à savoir si ce privilège ne vous est pas exclusif. C’est ce que l’avenir nous apprendra.

Le malheur que vous venez d’éprouver par la défense de cette pièce m’a rappelé bien vivement celui que j’ai ressenti en 1801. Vous voyez que je vous parle d’un temps où peut-être vous n’étiez pas né. Comme vous, j’avais fait un ouvrage qui avait alarmé le gouvernement sur l’effet politique qu’il pouvait produire. On fit d’abord quelques difficultés de le laisser jouer ; je triomphai de cet obstacle en en faisant une lecture chez le ministre en présence de M. Maret, maintenant duc de Bassano ; et il fut reconnu par les premiers personnages qui gouvernaient l’État, que ma pièce, dont le but était très moral, ne pouvait blesser aucun des partis qui troublaient encore la France. D’après cette décision et le certificat de la censure, je fis représenter mon drame historique qui obtint le plus grand succès. Ce succès fut tel que le premier consul désira voir la seconde représentation. Malheureusement pour moi des applaudissements exagérés, partis de la loge de l’honorable M. de Choiseul, donnèrent au consul beaucoup d’humeur, et dès le soir même il proscrivit l’ouvrage et l’auteur. Tout innocent que j’étais je fus donc obligé de me cacher ; et c’est pendant ma retraite dans une province que j’appris que mon vieil ami Emmanuel Dupaty, auteur d’un opéra-comique qui était encore moins séditieux que mon drame, venait d’être conduit à Brest par la gendarmerie, renfermé sur un vaisseau-ponton, pour être de là déporté dans nos colonies17. Afin d’éviter le sort qui m’était préparé, et sur l’avis secret du ministre de l’intérieur, qui prenait à moi beaucoup d’intérêt, je passai promptement à l’étranger, où une année d’exil me punit beaucoup trop du tort d’avoir fait un ouvrage moral, intéressant, et qui, selon toutes les probabilités, en faisant la fortune du théâtre, devait augmenter la mienne.

Vous voyez, Monsieur, que s’il y a des points de ressemblance dans le genre de malheur qui nous a atteints tous les deux, il y a pourtant cette différence que vous n’avez point été obligé de quitter votre patrie, et que vous avez pu réclamer l’assistance des tribunaux.

C’est un grand avantage pour un auteur de pouvoir faire beaucoup parler de soi, en se mettant sous la protection des lois, d’avoir un célèbre avocat qui puisse vous dire en face « que vous avez reçu une mission de votre génie pour rappeler notre littérature à la vérité, non à cette vérité de convention et d’artifice, mais à cette vérité qui se puise dans la réalité de notre nature, de nos mœurs et de nos habitudes ».

Votre éloquent défenseur, qui sans doute connaît tous vos ouvrages, a vu peut-être une grande réalité de nature dans votre Marion de Lorme, qui se prostitue à un magistrat pour sauver son amant, ou dans le viol d’une jeune fille qui n’est pas trop fâchée de l’événement, ou dans le mauvais lieu que va visiter François Ier.

Passez-moi cette réflexion ; mais je n’ai pu m’empêcher de la faire en songeant qu’un grand orateur, un célèbre jurisconsulte peut très mal raisonner quand il s’agit de théâtre, et qu’il vaut beaucoup mieux une vérité de convention et d’artifice qu’une réalité de nature qui ferait baisser les yeux à la jeune femme de l’avocat, s’il la conduisait aux pièces de son client.

Mais revenons, Monsieur, à cet avantage que vous avez eu de pouvoir réclamer votre pièce aux yeux du monde entier. Il n’en aurait pas été de même si vous vous fussiez trouvé à ma place sous le grand Napoléon. Certes vous ne seriez point venu lui dire qu’à la faveur de l’assoupissement de la nation il vous avait escamoté votre pièce, filouté les produits, et qu’il vous avait enfin dévalisé comme dans un bois, ou si la loi vous eût accordé la liberté de lui tenir en plein tribunal un pareil langage, vous auriez pu vous vanter de jouir de la grande chose ; et le grand homme, défendu par une nation libre, ne serait point mort à Sainte-Hélène.

Vous ne m’en voudrez pas davantage si je vous dis encore que j’ai vu avec chagrin un homme de lettres élever sa bannière politique au sujet d’une pièce de théâtre. Il me semble que ce n’est pas dans un tribunal qu’il doit développer sans motif toute l’étendue de son patriotisme. Selon moi le vrai civisme de l’auteur dramatique qui ne s’est point lancé dans la carrière de la politique est d’éclairer les hommes par une douce philosophie, de les reprendre spirituellement de leurs vices et de leurs travers, et enfin de chercher à les rendre meilleurs. Cependant, Monsieur, je ne vous blâme point d’avoir fait votre courageuse protestation. Sous un gouvernement comme le nôtre, chacun est bien libre d’avoir une opinion et de pouvoir la faire connaître tout entière. Seulement, par égard pour soi-même, il faut en changer le moins souvent que l’on peut ; car enfin je crains qu’en vous rendant aujourd’hui le coryphée d’une ardente opposition, vous ne fassiez dire de vous ce qu’un homme d’esprit disait de La Harpe lors de sa conversion. Il disait « que cet académicien avait eu tort de se faire marchand de poisson la veille de Pâques ». La citation est sans doute triviale, je veux dire romantique, et j’ai peut-être eu tort de la faire, car nous ne sommes pas ici au Théâtre-Français.

Vous devez vous rappeler, Monsieur, que dans la préface de l’une de vos pièces vous avez dit que vous aviez fait le public . Cette idée, vous en conviendrez, a dû paraître bien singulière à celui qui, depuis quarante ans qu’il travaille pour le théâtre, a toujours cru que c’était le public qui formait les acteurs et les auteurs. En effet, je les ai vus tous se conformer à son goût, s’instruire à ses critiques quelquefois très bruyantes, et ne pas appeler même de son jugement. Vous avez changé tout cela, je vous en félicite ; pour peu que l’on vous imite, et pour peu que chaque auteur se croie assez de talent pour faire l’éducation d’un parterre, MM. les comédiens qui paraissent être de votre avis en tout, à force d’avoir des publics, finiront par n’en plus avoir du tout.

Moi, je crois au contraire que loin de nous avoir fait un public, vous avez complètement défait le nôtre ; public bien respectable dont j’ai longtemps brigué les honorables suffrages ; public qui se composait alors d’une grande partie de la jeunesse instruite, de l’élite de la société, d’un grand nombre d’anciens magistrats, d’artistes, de savants qui le soir régulièrement venaient se délasser de leurs graves travaux et chercher de douces émotions ou égayer leur esprit à nos jeux scéniques.

Les claqueurs appointés du théâtre et le genre du public que vous avez voulu nous faire ont pour jamais dispersé ces brillantes réunions. Pour votre public la porte s’ouvre gratis et bien avant l’heure indiquée sur l’affiche18, de façon que le vieux public, s’il en reste encore, ne peut trouver à se placer. Cependant, Monsieur, si, malgré toutes les précautions que l’on prend pour faire votre public, quelques hommes des anciens jours se rencontrent dans la salle et osent vous donner leur avis, selon l’ancienne manière, ils se voient bientôt environnés des hommes les plus menaçants. Trop heureux si ces pauvres partisans de la vieille méthode peuvent échapper la vie sauve à la griffe des démons barbus qui les poursuivent de leurs grincements de dents et de leurs hurlements. Ah ! Monsieur, que vous nous avez fait là un vilain public !

Votre idée de faire des publics m’a fait naître aussi la pensée de refaire le mien. Après y avoir bien songé, je crois en avoir trouvé le moyen ; c’est une idée qui paraîtra singulière d’abord, peut-être une utopie, que je crois devoir soumettre à vous, à tous les auteurs, à tous les amateurs du théâtre, et surtout au gouvernement.

Cette idée, Monsieur, la voici.

On regarde maintenant les théâtres comme une entreprise commerciale ; eh ! bien, il faut en agir avec eux comme avec une maison de commerce, une manufacture. Quand on vient au secours de ces établissements, quel est le moyen qu’on emploie ? C’est de faire des commandes, d’acheter des produits, d’en répandre l’usage de façon que la manufacture étant en pleine activité se soutienne et finisse pas prospérer. De même aussi les sacrifices du gouvernement pour les théâtres doivent avoir pour résultat, en encourageant ces entreprises commerciales, de tourner au profit de la société.

Qui pourrait nier que les théâtres ont de véritables droits aux encouragements, aux récompenses du gouvernement ? L’utilité de ces grands établissements ne peut être contestée. Les théâtres, vrais thermomètres de la prospérité publique, sont tout à la fois le soutien des lettres et des beaux-arts ; en entretenant un certain luxe, ils encouragent le commerce, appellent l’or de l’étranger, amusent les oisifs, instruisent le peuple, et rendent au vieillard les charmes des illusions du jeune âge.

Si les théâtres, pour un vieux peuple, sont devenus une nécessité, un besoin indispensable, il est du devoir du gouvernement de les soutenir convenablement, afin de pouvoir les diriger dans l’intérêt de la morale, des mœurs et de nos grandes institutions. Mais cet argent, qui doit contribuer à leur existence et à leur éclat, ne doit pas leur être donné gratuitement ; il faut, en payant le travail, le zèle et les talents des comédiens, que le gouvernement en retire un bénéfice au profit de l’instruction publique. Le Théâtre-Français, en le supposant aussi épuré qu’autrefois, doit devenir le complément d’une éducation libérale. S’il est tombé dans une effroyable décadence, c’est grâce à trois ou quatre cents billets donnés et à la doctrine romantique qui a voulu se faire un public en dépit du goût et de la raison.

Eh bien, que tous les billets donnés, que toutes les entrées sans titres soient tout à fait supprimés, et que le gouvernement, au lieu de donner de l’argent au Théâtre-Français à titre gratuit, exige tous les jours une valeur en entrées égale à la somme qui lui sera accordée. Il faudrait au moins que le nombre des entrées pût monter à cinq ou six cents. Elles seraient distribuées à toutes les académies, à tous les professeurs de l’université, aux élèves de l’école polytechnique, de droit, de médecine, et enfin à tous les jeunes gens qui reçoivent une haute instruction de la générosité de la nation. Ces entrées, dont chaque élève jouirait à son tour sans le distraire de ses travaux, lui donneraient quelques connaissances dans un genre de littérature auquel il ne faut pas être étranger : là il prendrait les formes aimables d’une bonne éducation, qui comprend tout à la fois une politesse aisée, la pureté du langage et l’élégance du débit. Quelle que soit la carrière que veuille suivre un jeune homme, ce complément d’éducation ne peut jamais que lui être utile.

Si c’est déjà un avantage que celui d’offrir à une partie de nos jeunes gens une honnête distraction, j’en vois encore un plus grand dans la réunion de cinq ou six cents personnes instruites qui seront comme le noyau d’un véritable public. Tous les autres spectateurs, en payant leurs places qui comprendraient les deux autres tiers de la salle, ne craindraient plus alors de manifester leur opinion, certains qu’ils seraient que ce premier public ne leur serait point imposé selon saint Alexandre ou saint Victor. Ce public, dont la majorité se composerait d’éléments honnêtes, pourrait alors manifester franchement son opinion ; et l’auteur, dès la première représentation, saurait à quoi s’en tenir sur sa défaite ou son triomphe. Car enfin, si l’on veut avoir une littérature dramatique, il faut pour la juger un public qui soit tout à la fois le public de tout le monde et qui ne soit le public de personne.

Ce projet, Monsieur, aurait besoin de grands développements ; mais ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans de tels détails. Je suis certain seulement que son exécution est facile. D’ailleurs, cette idée n’est pas nouvelle. Personne n’ignore que Louis XIV, lors de la création du Théâtre-Français, soutint l’entreprise de Molière par des secours pécuniaires ; mais, comme indemnité de cet argent, il voulut qu’on accordât à ses pages et à tous les officiers de sa maison les entrées du théâtre. Dans un temps où les rois pouvaient disposer à leur gré des trésors de l’État, il n’est pas surprenant que les commensaux du palais aient joui seuls du privilège que s’était réservé leur maître.

Observons cependant que, dans quelques provinces au moins, les autorités locales exigeaient aussi des théâtres un certain nombre d’entrées gratuites. Dans la capitale de la Bretagne, par exemple, j’ai vu les élèves de droit recevoir du directeur du spectacle une vingtaine de places au parterre, qui leur étaient distribuées à tour de rôle par leur prévôt, chaque jour de représentation. Ce privilège n’a cessé qu’à la révolution de 89. Si les jeunes pages et les officiers de la maison du roi avaient pris, dans l’habitude de fréquenter le théâtre, des formes aimables et un genre d’esprit qui avait la couleur de la littérature de ce temps, nos jeunes gens, déjà éclairés sur leurs droits par une première éducation, achèveraient, par des représentations de pièces fortes, morales et constitutionnelles, d’acquérir les nobles qualités qui font l’honnête homme, et le grand citoyen. Ils deviendraient dans un tout autre genre ce que les pages de Louis XIV sont devenus, de véritables modèles ; non comme ceux-ci, d’élégance et de frivolité, mais de goût et de raison.

Quant aux autres spectacles qui ne recevraient aucune rétribution du gouvernement, ils conserveraient la liberté de leur commerce, sauf à nos législateurs à empêcher par de bonnes lois la corruption des mœurs et les scandales publics ?

 

Je crois maintenant, Monsieur, avoir rempli les devoirs que je m’étais imposés, en vous éclairant sur les dangers de votre faux système, en vous offrant les moyens de reprendre parmi les gens de lettres de tous les temps cette considération que doivent vous mériter vos talents et qu’on doit toujours craindre de perdre par intérêt pour soi-même. Si, tout en reconnaissant, Monsieur, la richesse de votre imagination, je vous ai fait en même temps connaître la faiblesse et l’immoralité de vos conceptions dramatiques, c’est que je suis certain d’avance qu’il n’est pas un homme de goût qui ne confirme mon jugement. Oui, je vous le répète, si vous continuez à marcher dans la fausse route où vous êtes entré si orgueilleusement, c’en est fait de vous pour le théâtre, jamais vous n’y réussirez. Cette franchise de ma part me rappelle ce que disait un grand maestro au jeune compositeur auquel je dois la musique de mon Prisonnier, et dont la mort est venue trop tôt interrompre les brillants succès.

Ce mot du maestro, je n’oserais pas vous conseiller, Monsieur, de vous l’appliquer, mais cependant fasse le ciel que vous soyez assez sage pour imiter Dellamaria.

Ce jeune artiste, nouvellement arrivé à Naples, et ayant composé un opéra avant d’avoir complètement fini ses études musicales, désira se faire entendre chez une princesse sa protectrice. Il eut l’avantage d’avoir pour auditeur le célèbre Paësiello qui, après avoir écouté tout l’opéra avec beaucoup d’attention, s’avança froidement vers le jeune compositeur et lui dit tout haut en présence d’une nombreuse société : « Vous ne savez pas la composition, votre ouvrage ne vaut rien ; cependant j’entrevois dans certaines parties l’espoir du talent ; venez chez moi, je vous donnerai des leçons. »

On peut se figurer quel fut l’embarras, le dépit, la colère de notre adolescent auteur. Il sortit furieux du palais, s’enferma dans sa chambre, y passa la nuit à pleurer ; mais enfin, devenu plus calme, il comprit que l’orgueil devait céder à l’ascendant de la vérité, qu’il valait mieux profiter des avis d’un grand maître que de persévérer dans une ignorance obstinée. Cette lueur de raison décida de son sort pour l’avenir. Dès le matin il se rendit humblement chez Paësiello, implora sa bienveillance, reçut ses conseils, en profita ; et grâce à la dure vérité du maître, il en devint l’élève le plus chéri et le plus distingué.

Je ne tirerai pour moi aucune conséquence de cette anecdote : je n’ai point l’orgueil d’être un grand maître ; mais si dans l’art dramatique les gens de lettres et le public ont bien voulu me reconnaître une importante qualité, celle de charpenter une pièce, de préparer une situation et d’enchaîner les scènes, je me ferais toujours un plaisir d’offrir à qui me les demanderait des conseils qui seraient le résultat du travail, de l’âge et de l’expérience.

Et qui sait, Monsieur ! si mon utopie venait à se réaliser, s’il plaisait au gouvernement de rétablir le Théâtre-Français sur des bases durables, si nous pouvions être débarrassés tout à fait des cabaleurs, des billets donnés et de tous ces publics portant la livrée de tel ou tel auteur, enfin, Monsieur, si je retrouvais le théâtre ce qu’il était autrefois, j’oserais peut-être encore rentrer dans la lice, et me mesurer avec nos jeunes auteurs. Et si à votre tour, en faisant des pas rétrogrades vers le bien, il vous prenait fantaisie de m’y accompagner sans suite et d’y combattre avec des armes courtoises, vaincu je m’applaudirais de ma défaite, bien certain que ce ne serait qu’à mes bons avis que vous devriez l’honneur de votre triomphe.

Ici, Monsieur, se termine ma pénible tâche. J’ai cru de mon devoir de faire connaître au public mes idées sur un art que j’ai cultivé si longtemps, d’offrir au gouvernement le moyen de sauver le Théâtre-Français de sa perte prochaine, et de garantir la société des effets corrupteurs d’un système qui a déjà détruit toutes les règles du savoir et rompu tous les freins de la morale. À mes yeux un gouvernement est un père de famille, il ne doit permettre à ses enfants que les jeux qui ne peuvent leur nuire, et il montrera encore plus de sollicitude pour eux, si, tout en les amusant, il parvient à les instruire.

Peut-être, plus que je ne le voulais, je me suis trouvé forcé, dans le développement des causes qui ont amené la barbarie actuelle, de vous dire toute la vérité ; mais au moins ma franchise bretonne, en m’obligeant à blâmer certains points de votre littérature, m’a conduit aussi à rendre justice aux qualités brillantes de votre talent. Ces qualités, Monsieur, faites-les tourner tout à fait à votre avantage par le travail et une confiance sans bornes dans le vrai, dans l’honorable public. Lui seul doit nous juger, lui seul nous fait sortir de la fausse voie qui nous égare, lui seul récompense nos travaux, et lui seul enfin, en nous indiquant ce qui est bon, ce qui est beau, nous inspire ces grands et généreux ouvrages qui conduisent leur auteur à la gloire et à l’estime publique.