(1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre premier. Que la poétique du Christianisme se divise en trois branches : Poésie, Beaux-arts, Littérature ; que les six livres de cette seconde partie traitent spécialement de la Poésie. »
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(1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre premier. Que la poétique du Christianisme se divise en trois branches : Poésie, Beaux-arts, Littérature ; que les six livres de cette seconde partie traitent spécialement de la Poésie. »

Chapitre premier.
Que la poétique du Christianisme se divise en trois branches : Poésie, Beaux-arts, Littérature ; que les six livres de cette seconde partie traitent spécialement de la Poésie.

Le bonheur des élus, chanté par l’Homère chrétien, nous mène naturellement à parler des effets du christianisme dans la poésie. En traitant du génie de cette religion, comment pourrions-nous oublier son influence sur les lettres et sur les arts ? influence qui a, pour ainsi dire, changé l’esprit humain et créé dans l’Europe moderne des peuples tout différents des peuples antiques.

Les lecteurs aimeront peut-être à s’égarer sur Oreb et Sinaï, sur les sommets de l’Ida et du Taygète, parmi les fils de Jacob et de Priam, au milieu des dieux et des bergers. Une voix poétique s’élève des ruines qui couvrent la Grèce et l’Idumée, et crie de loin au voyageur : « Il n’est que deux belles sortes de noms et de souvenirs dans l’histoire, ceux des Israélites et des Pélasges. »

Les douze livres que nous avons consacrés à ces recherches littéraires composent, comme nous l’avons dit, la seconde et la troisième partie de notre ouvrage, et séparent les six livres du dogme des six livres du culte.

Nous jetterons d’abord un coup d’œil sur les poèmes où la religion chrétienne tient la place de la mythologie, parce que l’épopée est la première des compositions poétiques. Aristote, il est vrai, a prétendu que le poème épique est tout entier dans la tragédie : mais ne pourrait-on pas croire, au contraire, que c’est le drame qui est tout entier dans l’épopée ? Les adieux d’Hector et d’Andromaque, Priam dans la tente d’Achille, Didon à Carthage, Énée chez Évandre, ou renvoyant le corps du jeune Pallas, Tancrède et Herminie, Adam et Ève, sont de véritables tragédies, où il ne manque que la division des scènes et le nom des interlocuteurs. D’ailleurs, la tragédie même n’est-elle pas née de l’Iliade, comme la comédie est sortie du Margitès ? Mais si Calliope emprunte les ornements de Melpomène, la première a des charmes que la seconde ne peut imiter : le merveilleux, les descriptions, les épisodes, ne sont point du ressort dramatique. Toute espèce de ton, même le ton comique, toute harmonie poétique, depuis la lyre jusqu’à la trompette ; peuvent se faire entendre dans l’Épopée. L’Épopée a donc des parties qui manquent au drame ; elle demande donc un talent plus universel ; elle est donc une œuvre plus complète que la tragédie. En effet, on peut avancer, avec quelque vraisemblance, qu’il est moins difficile de faire les cinq actes d’un Œdipe-Roi, que de créer les vingt-quatre livres d’une Iliade. Autre chose est de produire un ouvrage de quelques mois de travail, autre chose est d’élever un monument qui demande les labeurs de toute une vie. Sophocle et Euripide étaient sans doute de beaux génies ; mais ont-ils obtenu dans les siècles cette admiration, cette hauteur de renommée dont jouissent si justement Homère et Virgile ? Enfin, si le drame est la première des compositions, et que l’Épopée ne soit que la seconde, comment se fait-il que depuis les Grecs jusqu’à nous on ne compte que cinq ou six poèmes épiques, tandis qu’il n’y a pas de nations qui ne se vantent de posséder plusieurs bonnes tragédies ?