Henriette d’Angleterre
Madame de La Fayette, Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, première femme de Philippe de France, duc d’Orléans, publiée par feu A. Bazin.
Plus bibliographe que critique, cette fois, nous tenons pourtant à signaler un livre retrouvé d’une des plus aimables contemporaines de madame de Longueville3. C’est une Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, première femme de Philippe de France, duc d’Orléans 4, par madame de La Fayette. Imprimé en Hollande cinquante ans après la mort de l’héroïne, vingt-sept ans après celle de l’auteur, ce livre était semé de fautes hollandaises, les plus belles fautes qui puissent étaler leur sottise sur le sens ou la langue d’un ouvrage. Un écrivain dont nous regretterons longtemps la perte, — un esprit assurément moins original, moins profond, moins artiste que Stendhal, mais qui était de la même race, qui en avait l’acier, moins damasquiné mais aussi pur, et surtout le fil, — Bazin, l’auteur du Louis XIII, ce sobre historien que les imbéciles peuvent croire sec, avait entrepris de restaurer le livre de madame de La Fayette, et c’est cette restauration, accomplie avec le tact d’une connaissance approfondie, que l’éditeur Techener a publiée. Matériellement, c’est un vrai joyau typographique. Intellectuellement, c’est tout madame de La Fayette, avec sa douceur de regard, sa pureté de style, sa lueur de perle… Quoique fort bienvenue de cette éblouissante Henriette, qui a laissé inextinguibles dans l’Histoire l’éclair de sa vie et l’éclair de sa mort ; quoique mêlée à ces intrigues, voilées de décence, d’une cour qui commençait alors de mettre la convenance par-dessus toutes ses passions, madame de La Fayette ne nous donne pas sur les hommes et les choses de son temps des lumières bien nouvelles. Un œil si doux peut-il rien percer ? Mais le charme simple de sa manière communique des grâces inconnues à l’histoire, et un genre de pathétique, naïf et réprimé en même temps, d’une incomparable noblesse. La tragédie de cette mort, que Bossuet raconte avec des éclats de tonnerre, madame de La Fayette nous la dit avec cette émotion contenue de grande dame de son temps, où le cœur ne rompait pas le busc, et où la Convenance, sœur de l’Opinion et reine comme elle, n’empêchait pas les larmes de naître, mais les empêchait de tomber. Tout ce qui sort de cette chaste plume de colombe héraldique mérite d’être lu.
Cousin, dans son livre sur madame de Longueville, salue en passant le tendre génie de madame de La Fayette, et il a raison. Seulement, il a tort quand il la donne, avec une légèreté impérieuse, comme très supérieure à madame d’Aulnoy. Cousin n’a donc pas lu les Mémoires de madame d’Aulnoy sur la cour d’Espagne ? Un chef-d’œuvre d’observation aiguë et coupante, qui ne serait, certes ! pas sorti de la tête rêveuse de madame de La Fayette. Madame d’Aulnoy, qui a créé Le Prince gracieux, est souvent un Tacite qui s’ignore, et elle a des portraits, dans ses Mémoires, — comme celui, par exemple, de la grande camerera-mayor, la duchesse de Terra Nuova, — d’un terrible aussi sombre que si les plus sinistres peintres de l’Espagne y avaient passé !