Saint-Lambert, [N.ABCD de] ancien Capitaine au Régiment des Gardes Lorraines, de l'Académie Françoise, & de celle de Nancy sa patrie, né en 1717.
M. Clément a critiqué trop sévérement son Poëme des Saisons. Un Militaire qui ne cultive vraisemblablement les Muses que par délassement & sans prétention, méritoit sans doute un peu plus d'indulgence. C'étoit bien assez que le Public se fût apperçu que cet Ouvrage manque souvent de chaleur, de force, d'élévation ; que l'élégance en est communément froide, la versification foible, les Vers pénibles & solitaires, la monotonie fatigante, la philosophie trop forcée & infiniment parasite, &c. Pourquoi le dire à l'Auteur lui-même, dans un temps où ses amis s'empressoient avec tant de zele à célébrer son triomphe dans leurs bénignes Sociétés ? Aujourd'hui même que l'enthousiasme est refroidi, il seroit inutile de le répéter. Aussi doit-on peu s'étonner que M. de Saint-Lambert ait répondu à cette critique en vrai Militaire. Tous les honnêtes gens qui se sont récriés contre l'abus qu'il fait de son crédit, en réfutant si brusquement son Censeur, ne savoient pas assez peut-être qu'un homme dont le sang est plus bouillant que le génie, est sujet à confondre les moyens de défense. Ceux qui auroient désiré encore, pour l'honneur de la Philosophie, que l'Histoire de notre Littérature n'offrît point un trait si propre à la dégrader, ignorent également que la Philosophie est terrible, quand on résiste à son zele pour l'instruction & le bonheur du genre humain : Discite justitiam moniti, & non temnere Divos.
Quant à nous, nous aimons mieux croire que l'amour-propre de M. de Saint-Lambert est trop robuste pour s'être laissé aller à une pareille foiblesse. Il est assurément trop savant dans l'Histoire, pour n'avoir pas appris que l'envoi de Philoxene aux Carrieres ne rendit pas les Vers de Denis meilleurs. Sans doute quelque subalterne a cru lui témoigner son zele, en surprenant l'autorité pour faire emprisonner son Critique, ou quelque ennemi a voulu le déshonorer en faisant retomber sur lui le blâme d'un procédé aussi peu philosophique.
Nous voudrions bien pouvoir croire également qu'il n'est pas l'Auteur de ce Vers blasphématoire en l'honneur de M. de Voltaire :
Vainqueur de deux Rivaux qui regnent sur la Scene.
Mais le moyen d'en douter ? puisqu'il a encore ajouté en prose, dans une note, que le même Poëte est supérieur, dans la Tragédie, à Corneille & à Racine ; que Racine n'a su peindre que des Juifs, tandis que Phédre, Monime, Néron, Burrhus, Mithridate, Bajazet, Acomat, sont nés si loin de la Judée ! Il ne reste donc plus d'autre ressource au désir que nous aurions de l'excuser, que de solliciter, en faveur de sa Critique, la même indulgence que nous avons réclamée en faveur de sa Poésie.
Nous prendrons cependant la liberté de l'avertir, en observant tous les égards qui lui sont dus, qu'un crime de leze-poésie, tel que celui qu'il a commis à l'égard des deux plus grands Poëtes de la Scene, ne peut que faire tort à sa réputation littéraire, & pourroit lui attirer des disgraces plus terribles encore, si le Parnasse avoit ses Inquisiteurs & ses prisons. Il est permis d'avoir des distractions, de se livrer aux caprices d'un faux enthousiasme, au désir séducteur de s'attirer des louanges, en échange de celles qu'on prodigue sans mesure : mais proférer des blasphêmes contre Jupiter, en faveur de Mercure, c'est déshonorer la Divinité, l'Autel, & le Sacrificateur.