(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « VIII » pp. 30-32
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « VIII » pp. 30-32

VIII

cousin. — lucrèce. — judith. — madame louise colet. — madame de girardin.

Le succès de Lucrèce redouble ; les têtes se montent. On s’arrache le jeune et modeste auteur : les duchesses, M. Villemain et tutti. S'il résiste à l’entraînement, il aura bonne tête, et il paraît qu’il l’a.

Jeudi dernier, 27, l’Académie française a donné le prix de poésie dont le sujet était l’Éloge ou le monument de Molière à un numéro 34 qui est connu d’avance pour être de madame Louise Colet, poëte déjà une fois lauréat.

Cousin, le grand héraut littéraire depuis quelque temps, a proposé jeudi à l’Académie de décerner à l’auteur de Lucrèce le prix réservé à la meilleure tragédie, prix qui, depuis nombre d’années, était demeuré vacant, in partibus… ; mais le règlement s’oppose avec raison à ce qu’on enlève ainsi les choses d’emblée. Si on veut reproduire la proposition, ce ne peut être qu’en janvier prochain.

On a redonné hier Judith, qui, je crois, a été mieux : madame de Girardin prend très-bravement et spirituellement ce demi-succès… Soyons juste, même en étant sévère : il y a de beaux vers, n’est-ce pas ? et comme témoignage de son talent poétique, madame de Girardin n’a peut-être rien donné de plus fort.

Je suis plus indulgent que l’autre fois ; c’est que je l’ai vue, elle, hier, et qu’elle est toujours belle et spirituelle. Et puis rien n’est plus singulier que d’entendre tous les gens du monde répéter à la file : « Ce n’est pas biblique, » comme s’ils n’avaient jamais rien fait que de lire la Bible.

— L'essentiel en critique, c’est de bien marquer le temps. La pièce de Lucrèce est un temps, c’est-à-dire qu’elle dénote quelque chose de bien tranché dans la disposition du public. Depuis quinze ans qu’après tant de promesses les faiseurs modernes sont à l’œuvre au théâtre, rien n’est sorti d’élevé et de sensé. On est las, on n’a plus de préjugés classiques ou autres, on veut quelque chose, on le prendra d’où qu’il vienne. Sera-ce une leçon pour les faiseurs ? et y a-t-il de telles leçons ? arrive-t-on jamais au théâtre par voie de perfectionnement ? n’est-ce pas d’emblée, de prime saut, par le coche de Rouen, par la patache du Rhône ? Aux nouveaux venus la scène ! les autres ont assez tâtonné. Si ce nouveau venu n’est pas M. Ponsard, ce sera quelque autre ; mais il est indiqué.

— Magnin doit faire l’article dans la Revue du 15 ; il est habile, instruit, prudent ; et on l’a fort seriné. Il est possible qu’il traite tout cela à merveille. Possible aussi qu’il laisse tout dans l’entre-deux et fasse une chronique à la Rossi.

Les feuilletons de théâtre du National, très-remarqués depuis quelque temps, sont de M. Rolle, qui les fait depuis quatorze ans ; mais toute la critique d’alentour ayant baissé, il reste seul. C'est un honnête homme : Il est le fils d’un Rolle ancien bibliothécaire de la grande Bibliothèque royale et savant mythographe.