(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 253-255
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 253-255

2. Saurin, [Bernard-Joseph] Avocat, de l'Académie Françoise, né à Paris en 17..

Le succès de Béwerley ne prouve autre chose que la corruption des idées, du goût, & des mœurs du Siecle. Le Poëte eût beaucoup mieux fait de continuer d'exercer ses talens à composer des Tragédies dans le goût de son Spartacus, & des Comédies semblables à ses Mœurs du temps, que de faire paroître sur le Théatre des Traductions plus dignes de plaire à des Canibales, qu'à des Peuples policés. La Scene & les Spectateurs raisonnables rejetteront toujours avec horreur ces caracteres outrés & démoniaques, qu'on ne porte à l'excès, que par l'impossibilité de saisir & de peindre les passions dans le juste point de vue où l'on doit les présenter.

Quoique le caractere de Spartacus soit susceptible du même reproche, que le développement de la Piece soit brusque, la versification rude & seche ; quoique la Comédie des Mœurs du temps soit écrite d'un ton plus maniéré que piquant, qu'elle ressemble, pour le fond, l'intrigue & la morale, à l'Ecole des Bourgeois de l'Abbé d'Allainval ; ces deux Pieces sont néanmoins préférables à bien d'autres qui n'ont eu pour elles qu'un moment de séduction, & n'ont plus reparu dès que les ressorts de la cabale qui les faisoit valoir ont été usés. Le Public revoit au contraire ces deux-ci avec plaisir.

Les Epîtres & les autres petites Poésies de M. Saurin, ne sont distinguées de celles qui nous inondent tous les jours, que par quelques traits de chaleur & de facilité, qui ne les exceptent pas de la réprobation commune.

On sait que ce Poëte est fils de Joseph Saurin, de l'Académie des Sciences, qui n'a rien de commun avec le précédent, que d'avoir été Ministre comme lui. Ce M. Saurin n'est aujourd'hui connu que par l'Histoire des fameux Couplets & par l'Apologie que M. de Voltaire a prétendu faire de sa conduite. Il paroîtra singulier que cet Apologiste, après avoir employé tant de raisonnemens pour le justifier, parle ensuite de sa conversion, de maniere à donner une idée peu favorable de sa droiture. Il ne craint pas de dire nettement qu'elle ne fut qu'un trait d'hypocrisie. Selon lui, le Ministre Protestant se joua de l'Evêque de Meaux, qui crut, dit-il, avoir converti un Ministre, & qui ne fit que servir à la fortune d'un Philosophe.

Que pensera-t-on de la Philosophe, si elle inspire de semblables détours ? Un Philosophe est donc, de l'aveu de M. de Voltaire, un être versatil, souple, artificieux, toujours prêt à profiter des circonstances, à quitter le masque, à le reprendre, dès que les métamorphoses peuvent servir à sa fortune ?

Quand le trait seroit vrai, ce dont on peut douter, M. de Voltaire, en qualité d'ami de M. Saurin, n'auroit pas dû l'avancer ; & M. Saurin, en fils jaloux de l'honneur de son pere, auroit dû réclamer contre une aussi odieuse imputation.