Sauvigny, [Edme de] ancien Lieutenant de Cavalerie, Censeur de la Police, de l'Académie de Rouen, né en Bourgogne en 17..
Si, pour seconder sa verve vraiment tragique, il eût eu soin d'étudier plus à fond les regles de la Tragédie▶, de s'attacher à la vraisemblance, de ne point forcer les caracteres, il se seroit procuré des succès mieux mérités & plus solides. Hirza, ou les Illinois, se soutient encore sur le Théatre ; mais Socrate n'a fait qu'y paroître, parce qu'il manque des qualités essentielles à une ◀Tragédie. On s'abuse que de prétendre racheter par la chaleur de la versification, par quelques traits de profondeur & d'énergie dans les sentimens, le défaut d'intérêt & de combinaison dans la conduite d'une Piece.
La Comédie du Persifleur mériteroit aussi des reproches du côté de l'intrigue & de l'action ; mais la finesse avec laquelle l'Auteur a saisi ce caractere si délié dans ses nuances, l'agrément des détails, la gaieté & la vérité des tableaux, la peinture des travers de nos mœurs, & surtout l'aisance de la versification, lui obtiendront grace aux yeux des connoisseurs, & justifieront le succès dont cette Piece a joui.
Les petites Poésies de M. de Sauvigny n'ont pas les
mêmes droits à l'indulgence ; elles manquent de naturel, &
sentent trop le travail : à cela près, ses Lettres
philosophiques & ses Odes anacréontiques
offrent de l'esprit, de la finesse, & quelquefois de la sensibilité.
Ce Poëte a de plus le mérite très-estimable d'avoir dédaigné dans ses
Ouvrages le vernis philosophique, & de s'être élevé contre les
Philosophes, dont les « Ouvrages, dit-il, ne peuvent servir que
de trophée à l'extravagance humaine. Il n'est point de systême,
ajoute-t-il, tel absurde & ridicule qu'on puisse se le figurer,
que des Philosophes anciens n'aient imaginé, & qui n'ait trouvé
des Partisans pour les soutenir. Notre Siecle, en cela, a la gloire
de le disputer aux Anciens ».
Ce zele, qui prouve son bon
esprit, autant que
son discernement, l'a
privé, selon toute apparence, des éloges qu'on lui eût prodigués, comme
à tant d'autres, s'il se fût enrôlé sous les étendards de la
Philosophie ; mais ces louanges, aussi suspectes qu'éphémeres, sont
peu propres à exciter les regrets d'une ame honnête. Il en a mérité
d'ailleurs de très-justes & de très-flatteuses par sa petite Histoire des Amours de Pierre le Long & de
Blanche-Bazu. Ce Roman, écrit dans le style & selon les
mœurs des Siecles de franchise & de naïveté, est un chef-d'œuvre
dans son genre. Il annonce dans l'Auteur, du sentiment, de la
délicatesse, de l'enjouement, & a causé un plaisir universel, en
ressuscitant un langage qui aura toujours son prix, aux yeux de ceux qui
n'ont pas perdu le caractere François.