(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 102-104
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 102-104

DANCHET, [Antoine] de l’Académie Françoise & de celle des Inscriptions, né à Riom en Auvergne, en 1671, mort à Paris en 1748 ; est, parmi les Poëtes, ce qu’est dans un Régiment un Lieutenant qui a beaucoup de Soldats au dessous de lui, & plusieurs Officiers au dessus.

Sa Muse, après avoir passé rapidement sur la Scène, où elle ne pouvoit en effet figurer long-temps, du moins avec avantage, s’est exercée avec plus de succès sur le Théatre de l’Opéra. On joue encore plusieurs de ses Drames lyriques, dont l’accueil est dû en partie à la Musique de Campra.

Nul Poëte ne doit prétendre à un rang brillant & solide sur le Parnasse, avec une Poésie foible, traînante, dépourvue d’images & de coloris ; telle est celle de M. Danchet, qui n’a en sa faveur que de l’aisance, un peu d’harmonie & beaucoup de mollesse. Ses Tragédies lyriques sont fort inférieures à ses Ballets ; aussi est-ce à ces derniers qu’il doit la réputation qu’il conserve encore parmi les Amateurs de l’Opéra.

Si les Littérateurs exacts ne sont pas obligés d’avoir une grande estime pour ses talens, les gens sages doivent au moins rendre justice à l’honnêteté de ses sentimens. Il ne se permit jamais un seul vers satirique au milieu des Critiques, des Epigrammes & des Brocards, que la médiocrité de ses Tragédies lyriques lui attira. Un de ses rivaux l’ayant outragé dans un Pamphlet indécent, il se contenta de lui répondre par une Epigramme très-piquante qu’il lui envoya, en lui déclarant que personne ne la verroit. Son but étoit seulement de lui faire connoître combien il est facile & honteux de montrer de l’esprit, en employant les armes de la satire personnelle.

Il avoit encore beaucoup de zele pour le progrès des jeunes gens qui cultivoient les Lettres ; ses conseils ne leur étoient jamais refusés. C’est sans doute en conséquence de ce zele connu, qu’un jeune homme alla un jour le consulter sur une Elégie qu’il avoit composée sur les disgraces de sa Maîtresse. L’Elégie commençoit ainsi :

Maison, qui renfermez l’objet de mon amour.

Danchet l’arrêta au début, & lui dit, Maison est un mot trop foible ; il faudroit mettre Palais, Beau lieu, &c. Le jeune Poëte répondit : Oui ; mais c’est une maison de force. En ce cas-là, répliqua Danchet, le mot est assez bon.

On a eu tort de mettre cette anecdote sur le compte de M. Piron.