(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 222-223
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 222-223

Saint-Réal, [César Vichard, Abbé de] de l’Académie de Turin, né à Chambery, mort dans la même ville en 1692.

Nous le plaçons parmi les Auteurs François, parce qu’il a passé la plus grande partie de sa vie en France, & que tous ses Ecrits sont dans notre Langue. Il fut l’Eleve de Varillas, dont il prit le style, le goût, & sur-tout l’amour du merveilleux. Il faut cependant convenir qu’il a surpassé son Maître, c’est-à-dire, que, né avec plus d’esprit, ayant moins écrit, ses Ouvrages sont plus purs, plus exacts du côté du langage. S’il eût rejeté de fausses Anecdotes, choisi des faits plus avérés, ses morceaux d’Histoire pourroient passer pour des modeles ; mais sa Conjuration de Venise, celle des Gracques, l’Histoire de Dom Carlos, sont à présent regardées, avec raison, comme des Romans ingénieux, qui ne renferment de vrai que le nom des Personnages, & quelques faits trop ajustés au tour de sa brillante imagination. Malgré ces défauts, on ne peut refuser à l’Abbé de Saint-Réal. la gloire d’avoir écrit en Homme d’esprit, d’avoir su répandre dans son style un prestige séducteur, qui fait regretter de ne pouvoir joindre le suffrage de conviction à l’intérêt qu’il fait naître dans l’ame du Lecteur.

La Conjuration de Venise a fourni à Otwai. le sujet de sa Tragédie de Venise sauvée, représentée à Londres en 1682. M. de la Place, qui a composé aussi une Tragédie sur le même sujet, prétend que la Piece d’Otwai. est antérieure à l’Ouvrage de l’Abbé de Saint Réal. Sans rien décider sur ce fait, il est du moins certain que la Venise sauvée. du Poëte Anglois n’a paru que huit ans après. Le Manlius Capitolinus. de Lafosse. vient aussi de la même source, & celui-ci a infiniment mieux rendu les caracteres de l’Original que les deux autres Imitateurs.

Nous ne parlons pas des autres Ouvrages de M. de Saint-Réal. ; en exceptant son Traité de la valeur, qui est un chef-d’œuvre de raison & de bon goût, le reste ne vaut pas mieux que son Eloge de Madame de Mazarin, composé plutôt pour la gloire de cette Dame, que pour celle de l’Ecrivain.