(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 130-131
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 130-131

Rotrou, [Jean] né à Dreux en 1609, mort dans la même ville en 1650, le meilleur, après Corneille, des cinq Poëtes choisis par le Cardinal de Richelieu, pour exécuter les sujets de Tragédie ou de Comédie que ce Ministre leur fournissoit lui-même. Le style de Rotrou est plus naturel que celui de ses Contemporains. Il substitua, aux pointes ridicules de Mairet & des autres Poëtes dramatiques qui l'avoient précédé, des pensées vives & fortes qui naissoient du sujet. Sa facilité étoit étonnante : une Tragédie s'imaginoit, se composoit, s'exécutoit souvent en quinze jours, ce qui n'est certainement pas le moyen d'atteindre à la perfection. On joue encore son Venceslas, dont la premiere scene & presque tout le quatrieme acte sont des chef-d'œuvres. Ses autres Pieces, si l'on en excepte Cosroès, ne valent pas la peine d'être lues.

L'anecdote que nous allons rapporter, fait certainement plus d'honneur au caractere de son ame, que ses Pieces n'en font à son génie. Pendant le cours d'une maladie contagieuse qui régnoit dans sa Patrie, où il étoit Lieutenant Civil, il résista aux sollicitations de ses amis, qui le pressoient de se soustraire au danger & de revenîr à Paris. La fermeté de son ame ne lui permit pas d'écouter de semblables avis. Il ne cessa point de veiller au bon ordre, & de secourir ses Concitoyens. Ce n'est pas que le péril où je me trouve ne soit fort grand , répondit-il, puisqu'au moment où je vous écris, on sonne pour la vingt & deuxieme personne qui est morte aujourd'hui : ce sera pour moi quand il plaira à Dieu. Il mourut en effet de la contagion. Les Poëtes tragiques, qui l'emportent aujourd'hui sur Rotrou pour le langage du sentiment, seroient-ils capables d'un pareil courage ? Et les Lettres ne seroient-elles pas doublement honorées, si ceux qui les cultivent puisoient dans leur propre cœur les hautes maximes qu'ils étalent dans leurs Ouvrages avec tant d'appareil ?