2. Blanc. [N. Gillet le] Nous avions négligé de parler de celui-ci dans la premiere édition de notre Ouvrage, parce que sa Tragédie▶ de Manco-Capac est une de ses productions que la Critique doit oublier, à l’exemple du Public.
Cet Auteur a depuis cherché à se rendre célebre par une autre ◀Tragédie▶, intitulée, les Druïdes. Il y auroit peut-être réussi, si la multitude eût pu être de l’avis des protecteurs zélés qui se sont donné tant de peine pour la soutenir. Cette Piece bizarre, qui n’a point été imprimée, n’a présenté à l’esprit du Spectateur éclairé, qu’un tissu de hardiesses & d’extravagances dignes de tous les anathêmes du goût & du bon sens. La ridicule contexture des événemens, l’inconséquence des caracteres, les contradictions perpétuelles dans l’intérêt & les sentimens, l’ont fait reléguer dans la classe des monstres tragiques qui, après avoir hurlé quelque temps sur la Scene, vont se cacher pour toujours. On avoit cependant fondé de grandes espérances sur les grands effets qu’on s’en promettoit. Un vieux Prêtre énergumene, déclamant contre sa Religion, & renversant, par frénésie, des Autels qu’il avoit servis toute sa vie ; de longues tirades contre tous les Cultes ; de fréquentes oraisons à la Divinité ; des personnages tous Déïstes, venant, chacun à leur tour, exhaler leur dépit contre le Sacerdoce & la Religion ; des allusions prétendues ingénieuses, & qui n’ont décélé que de l’audace ou des puérilités ; toutes ces heureuses combinaisons ont été crues propres à répandre dans les esprits ce que le Monde philosophique appelle des lumieres. Qu’est-il arrivé ? Malgré les additions, les suppressions, les corrections, les changemens de dénouement qu’on y a faits à chaque représentation ; malgré les efforts de génie, des Poëtes, des Orateurs, des Géometres, des Journalistes, des Philosophes zélateurs qui se sont épuisés à ranimer cette Piece, la réflexion & l’analyse ont réduit en fumée ce pénible appareil. On a compris qu’un Roi imbécille, sottement disposé à croire le premier qui lui parle ; qu’une Princesse indéfinissable, occupée sans cesse à gémir & à hésiter ; qu’un Amant enthousiaste qui ne sait ni ce qu’il dit ni ce qu’il fait ; que des Prêtres en délire qui ne se rencontrent que pour disputer & s’injurier ; que des incidens accumulés sans vraisemblance & sans nécessité ; que des Scenes déclamatoires absolument décousues, étoient le comble du ridicule. Et les ordres du Gouvernement, qui ont défendu l’impression de cette ◀Tragédie, n’ont fait que lui épargner une seconde chute, déjà décidée par la réprobation des Gens de goût.
On eût souhaité, pour la gloire de cet Auteur, qu’on lui eût également défendu de faire imprimer son Drame d’Albert le Grand, Piece plus médiocre encore que les Druïdes, & dont la langueur de l’action théatrale égale la froideur du style.