(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 75-77
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 75-77

LAPLACE, [Pierre-Antoine de] de l’Académie d’Arras, né à Calais en 1709, Traducteur du Théatre Anglois, Ouvrage qui manquoit à notre Langue, & par lequel M. de Laplace s’est rendu utile à notre Littérature. Cette Traduction nous a procuré des richesses dramatiques ; & ces richesses, pour n’être pas dignes d’être mises en comparaison avec les nôtres, n’en offrent pas moins au Lecteur mille beautés à admirer, malgré l’irrégularité ordinaire aux Pieces Angloises. Le Traducteur s’est attaché à rendre l’Original selon le style dans lequel il est écrit, c’est-à-dire qu’il traduit tantôt en vers, tantôt en prose, & qu’il emploie quelquefois des vers alexandrins sans rimes, qu’on appelle vers blancs, fort en usage en Angleterre, & qui y rendent la versification bien plus facile que parmi nous. Un autre service que M. de Laplace a rendu, par cette Traduction, c’est d’avoir ouvert une source, où ceux de nos Auteurs qui n’entendent pas l’Anglois, peuvent aller puiser des idées, des situations, des caracteres, des sujets même, pour le naturaliser ensuite sur notre Scène. M. de Voltaire, plus que tout autre, n’a pas négligé d’en faire usage, avant que l’Ouvrage même de M. de Laplace parût. La Tragédie de Zaïre est entiérement calquée sur la Tragédie d’Othello de Shakespear. Dans l’une & l’autre Piece, c’est un amour excessif qui forme l’action, c’est la jalousie qui en est le ressort, c’est une méprise qui enfante la catastrophe. Othello croit sa femme infidelle, à la vue d’un mouchoir qu’on lui persuade qu’elle a donné à un de ses Rivaux ; Orosmane entre en fureur à la vue d’une Lettre écrite par Zaïre à Nérestan, qu’il croit son Rival. Othello tue sa femme, se poignarde lui-même après qu’on l’a désabusé ; Orosmane en fait autant. L’un & l’autre expriment, avant de se poignarder, les mêmes sentimens, avec cette seule différence, que ceux d’Othello sont plus vifs & mieux rendus.

M. de Laplace a encore fait passer dans notre Langue plusieurs bons Romans Anglois, en les corrigeant d’une certaine prolixité, de certains détails minutieux, qui n’auroient pas été de notre goût. L’Histoire de Tom-Jones, l’Orpheline Angloise, &c. lui donnent de nouveaux droits à notre reconnoissance.

Il a fait aussi des Tragédies qui méritoient quelque succès. Venise sauvée en a eu beaucoup plus que Jeanne d’Angleterre & qu’Adelle de Ponthieu. De plus, il a long-temps travaillé au Mercure de France ; mais ce n’est pas la partie la plus irréprochable de ses travaux. Les louanges peu justes & trop prodiguées dont il a chargé ce Journal, nous dispensent de lui en donner à cet égard.