Chapitre II. La poésie lyrique
Il est difficile de classer les poètes. Ils répugnent à tout ordre. Nous n’avons pas même la ressource de les diviser suivant qu’ils pratiquent le vers libre ou la prosodie traditionnelle, en effet beaucoup de poètes ont usé alternativement de ces deux métriques. Cependant on doit avouer que la défaveur du vers libre est allée en augmentant, de 1895 à 1905. En ce moment, il y a un arrêt. Quelques jeunes hommes groupés à nouveau autour de M. René Ghil ou de M. Paul Fort dans les revues Les Écrits pour l’Art et Vers et Prose, tentent d’infuser un sang nouveau au vers libre dont M. Gustave Kahn se dit l’inventeur. Nous adopterons les dénominations générales des groupes, tout en prévenant le lecteur de leur élasticité. Nous ne les considérons guère que comme un simple artifice de typographie.
I. — Naturistes et Toulousains
M. Saint-Georges de Bouhélier. — Églé ou les Concerts Champêtres, Les Chants de la Vie ardente célèbrent avec l’héroïsme des hommes, la force des saisons, le tourbillonnement des énergies naturelles. De Bouhélier est une âme violente et troublée qui n’a soif que d’harmonie, M. Montfort le déclare :
« … Son amour du rythme devait l’empêcher de s’accommoder du vers libre, dont la cadence plus composée, est imprécise encore. Il est revenu au vers classique pour ses strophes bien sonnantes et assurées. Et à juste titre il s’est peu servi de la rime, qui depuis les excès des Parnassiens, est devenue à nos oreilles tellement insupportable, qu’une rime riche maintenant nous paraît plutôt une faute de goût et un manque de beauté qu’une preuve d’art ou de sentiment. »
Son âme, qui s’apparente parfois à celle des poétesses ultra-romantiques, se complaît dans des décors de nature idéalisée suivant le cœur de Mme de Staël. Il mêle à ses expansions lyriques des didactismes agréables, des leçons de morale antique :
Tire un plaisir secret de l’amour et des larmes,De ses molles beautésDécouvre sous chacun quelques-uns de ces charmesQui font la volupté…………………………………………………………Sache-le, tu bâtis, sainte et spirituelle,Ta maison dans le vent,Toute blanche, elle est faite avec un bloc puissantNon de plâtre et de chaux, mais de chair et de sangEt de vie éternelle !…………………………………………………………Pan m’a dit : « Sois la voix de la terre et du monde.Vois, la forêt, pour toi, comme un luth retentit. »J’ai répondu : « Seigneur ! Seigneur Dieu ! me voici ! »Depuis, l’esprit de Pan souffle au sommet des monts !
Or, j’ai chanté vos lois, ô laboureurs profonds !J’ai dit par quels bienfaits jaillissent les forêts,Les rochers, les grains noirs, le seigle et les genêtsDu flanc mystérieux des antiques sillons !
M. Michel Abadie
« de qui l’œuvre illustre en nos rêves demeure inconnue28 »
, est tour à tour grandiloquent, emphatique,
pathétique et fastueux, comme on disait jadis, mais il vaut mieux que les lourdes
louanges de ses amis ne tendent à le laisser croire.
Ce matin, le Dieu d’ombre et de douceur m’a dit…Je greffe avec des chants sur les tendresses mortes,La tendresse des soirs où vivent les parfums,Et quand sonnent mes pas, les vergers un à un,Ouvrent pour m’appeler la candeur de leurs portes.
Les baisers de ma bouche ont la force des fleuves,Et vers mon cœur qui bat dans l’herbe des ravins,Le froment de la plaine élève un chœur divinDoux comme un bruit de harpes neuves,
M. Albert Fleury a une sensibilité menue, frêle, exquise, influencée parfois de Verlaine. Il a dit le charme enveloppant et imprécis des soirs. Sa poésie est douce, intime, aisée.
M. Pierre Camo, de sa terre natale a retenu le sens des couleurs, des parfums, l’harmonie voluptueuse des paysages. Nonchalant et régulier, son vers éminemment plastique, rappelle parfois Samain et Heredia.
Dans son jardin, aimé des vents et des arômes,Où mûrissent, au feu des soleils automnauxLa figue liquoreuse et les citrons royaux,Béatrice de Manissès vit loin des hommes.
Sa demeure est auprès d’une vieux platane blancEt d’un petit ruisseau bordé de lauriers rose ;Un lévrier d’Espagne à sa porte reposePour défendre l’entrée aux visiteurs troublants.
Béatrice promène une âme romanesqueDans un luxe d’objets arabes et persans,De tapis à ramage et de plats reluisantsDans le goût somptueux des hispano-mauresques…
Béatrice de Manissès, à sa fenêtre,Parait avec l’aurore et le chant des oiseaux,Pour voir le jour venir sans changements nouveauxEt monotonément passer et disparaître.
À l’horizon d’azur que rien ne vient changer,Elle aperçoit la ville aux murailles de briques,Avec les aqueducs gonflés d’eaux pacifiques,Et la tour sarrasine, et les bois d’orangers ;
Plus loin, la même mer baigne les mêmes rives,Et Béatrice songe en regardant par làÀ l’amant qui partit du port de MalagaSur un vaisseau chargé d’oranges et d’olives.
Maurice Magre est un poète, il n’est, peut-être, que cela, mais combien parmi ceux qui croient être davantage ne sont pas même cela. Car, Maurice Magre est instinctivement un poète. Il ne pouvait pas ne pas l’être et, précisément, les défauts dont on lui tient rigueur, et que nous signalerons (surtout son manque de mesure), témoignent en faveur de l’intensité lyrique de ses dons.
Son inspiration la plus personnelle lui vient de son amour sincère des humbles, de son intelligence clairvoyante de la poésie quotidienne et surtout d’une grande simplicité d’émotion. Par là, il a mené la muse parmi des chemins neufs, dans les laboratoires et les usines, et lui a dicté des paroles durables (Le Poème de la Jeunesse ; la Chanson des Hommes).
Et nous avons aussi promené notre effort,Sur les sombres sillons, parmi les champs immenses,Nous avons labouré devant les granges d’or,Rêvé les nuits d’hiver aux lenteurs des semences,Scruté, les matins gris, au fond des cieux voilés,Le voyage inconnu que font les pluies nouvelles,Nous avons fait monter de la terre éternelle,Le blé divin, le pain dont vit l’humanité…(La Grande Plainte).
Avec ma part de ciel je créais des contoursLe vent de mes poumons animait les bouteilles.(L’Adieu du Verrier).
Les enfants pour fêter ton culte renaissantRépandaient des parfums, se couronnaient de branchesEt la tête des rois tomba, sans que leur sangTâcha ta robe blanche.(Ode à la République).
Mais il y a aussi dans son œuvre de l’humanitairie, du wertherisme. Il y a de l’anarchie de cabinet particulier, du réalisme d’hôtel meublé, de la philosophie de loge de comédienne.
Souvent tout un poème séduisant dès l’abord, ne résiste pas à une seconde lecture, on aperçoit cette originalité qui est à l’art original ce qu’une toilette de café-concert est à une toilette de bon goût. Et ces défauts sont encore plus apparents dans le théâtre actuel de Maurice Magre, toute son œuvre présente ainsi l’aspect du camp de Wallenstein. Il y a des troupes d’élite et des archers déguenillés, des bohémiens, des juifs, des singes et des filles. Mais elle est aussi, la Muse de Magre, comme Carmen, souvent en loques et pieds nus, bêtement sentimentale, et cependant lorsqu’elle danse avec du cuivre imitant l’or dans ses cheveux, elle domine les amants et les conduit jusqu’à la mort. Et lorsqu’elle laisse à découvert sa gorge brune et nue, qui donc songerait à ses vêtements disparates ou à son geste incorrect. Elle a toutes les grâces, toutes les audaces et toutes les fiertés, elle est la princesse errante, Peau d’Âne sur les routes. Et surtout à certains jours, sa voix est si pure et son cœur si profond qu’on reconnaît en elle, le sang des grands poètes, la voix des meneurs d’hommes. Dans ces instants, elle est bien une incarnation messianique ; ses paroles sont inédites et telles que les premiers lyriques de notre race les voudraient avoir dites.
M. Marc Lafargue. — Dans l’Âge d’or dénote une intelligence clairvoyante, un lyrisme un peu froid, légèrement artificiel. Ses qualités de critique très vives ne sont pas sans nuire à son enthousiasme. Mais il a des dons précieux d’émotion contenue, un amour trop raisonné de la nature.
Recueillons-nous au sein de cette immensité.Dans la nuit de cristal où les astres gravitent,Regarde sur le ciel, dans les ombres limpidesLes grands monts s’ériger avec sérénité.
Au cœur mystérieux des noires sapinières,Les pâtres, comme nous, dans leurs beaux yeux profondsMirent le mouvement des astres sur les monts,Assis au seuil fumeux des cabanes de pierres.
L’azur silencieux est comme un sombre éther.L’air frais de la montagne a fait trembler ta chair.Mets ton châle sur tes épaules grelottantes.
Il est doux de s’aimer dans la nuit. Vois le cielImmense et vois les lys dans les ombres brillantesEt la pâle clarté des glaciers éternels.
M. Henri Muchart. — Dans la Revue Périgourdine, M. Henry Cellerier écrit sur ce poète (août 1903).
« Parcourons la table des Balcons sur la Mer : chaque titre évoque une couleur ou une forme nettes. Ouvrons le livre : chaque mot — plus exactement, chaque épithète — vise à la détermination d’un détail réaliste :
Dans un angle, le bloc d’argent de la cascadeAvec le jour blafard qui tombe du ciel bleuSe mêlent aux changeants et chauds reflets du feu,Comme un couchant fondu dans l’éclat des nuits noires.« Il faut bien le reconnaître, cette strophe, qui a la dureté anguleuse d’un beau marbre bigarré, éblouit l’œil plus qu’elle ne parle directement à l’esprit ou au cœur. Muchart a rendu admirablement le pittoresque de son pays ; il ne l’a pas pénétré de cette pointe spirituelle dont palpitent les œuvres françaises. C’est un “barbare” qui ignore ou dédaigne les jeux de la pensée et les effusions du sentiment, pour s’adonner à la griserie des sens… »
M. Emmanuel Delbousquet se souvient de René Ghil, de H. de Régnier,
de Leconte de Lisle ; l’âme ardente, éclatante et sonore de sa province est en lui.
M. Marc Lafargue a dit à son propos : « Delbousquet est Gascon, Toulouse est
pour lui son centre intellectuel ; sa patrie c’est le pays qui va de la Garonne à
l’Océan et aux Pyrénées. Ramiers et jardins de l’Âgenais, dunes de l’Océan, neiges
du Béarn, voilà ses frontières. Passé la Gironde au nord, tout lui est étranger.
Être bizarre, direz-vous, étroit, peu français, sans humanité. C’est une erreur. Nul
n’est plus français. Il l’est à travers sa province. C’est elle, cette terre, qui
met de l’ordre dans son esprit. Il reprend par sa belle vie le sens de la
tradition ; il s’éprend naturellement de Racine et de Chénier ; il écrit
d’admirables églogues d’une pureté classique ; il devient enfin, tous les jours,
plus vigoureusement organisé. »
L’heure de volupté s’écoule, insaisissable,Comme l’eau qu’illumine un long rayon du soir,Et mon âme, sachant que tout est périssable,Comprend la vanité même du désespoir…
Le chant du rossignol module sa tristesseEt lui donne l’extase ardente du sanglot ;Car tous les bruits du soir ont accru son ivresse :Chants, feuillages froissés, vent sonore sur l’eau.La voix pure, au lointain, des beaux pêcheurs de sable,Redit aux longs échos du fleuve un air ancienAu rythme d’or, tandis qu’ils tirent sur les câbles,Dans la limpidité du soir Languedocien,
M. Jean Viollis débuta par la Guirlande des Jours, poèmes qui présagent le délicat et délicieux conteur que M. Jean Lorrain signala dans un article retentissant.
M. Jean Vignaud (L’Accueil) a su trouver des accents d’une tendresse lyrique émouvante et d’une harmonie sobre.
Mme et M. Nervat (J. Nervat et Marie Caussé)
publiaient vers ce temps Les Cantiques du Cantique, dont Henri de
Régnier disait qu’ils contiennent de fort jolis vers où alternent deux voix, l’une
plus grave, l’autre plus tendre. Ce sont des vers d’amour. « Deux destins se
sont rencontrés et unis pour les bons comme pour les mauvais jours. C’est pendant de
longues fiançailles que ces vers ont jailli de deux âmes qui se sont penchées l’une
vers l’autre pour se pénétrer »
, dit la préface, « et, comme des
enfants qui ont trouvé un beau papillon le montrent à tout
venant, au
bout de l’épingle avec laquelle ils l’ont transpercé, elles ont fixé dans l’ombre,
avec le rythme, le beau papillon de leur amour et fervemment, le portent à la
clarté »
. Aimons-en donc le vol double et les délicates diaprures, d’autant
mieux que ces gracieuses strophes, nées de circonstances sympathiques, ont des
qualités intrinsèques de simplicité et d’harmonie.
Depuis, ils ont composé les Rêves unis (1905).
Au groupe Toulousain, on rattache encore :
MM. Gustave Fréjaville (Près de Toi), Léon Lafage, Fernand Pradel, Georges Bidache, M. Touny-Lérys (Chansons Dolentes et Indolentes), M. Joseph-Marie Bosc, poète de la nature, très ému, très doux, très souple dont les vers sont pleins de parfums et d’eaux chantantes (Du Printemps aux Automnes), Roger Frêne (Paysages de l’Âme et de la Terre), Daniel Thaly (La Cité du Sud), Georges Gaudion (Des Petits Pas sur le sable) et Louis Estève.
II. — Symbolistes
Autour de la Revue Blanche, de l’Ermitage, du Mercure de France, de Vers et Prose, un certain nombre de poètes gardent toujours cette étiquette de symbolistes. — Nous avons même des néo-symbolistes. — Cependant il est difficile de classer M. Francis Jammes et M. Charles Guérin sous ce vocable.
M. Paul Fort. — « Ce poète est une perpétuelle
vibration »
, estime M. Remy de Gourmont. En effet nul n’a l’émotion plus
facile et plus intense que le créateur des Ballades françaises :
« c’est une manière de sentir autant qu’une manière de dire »
.
« Voici le frère de Jules Laforgue, a écrit le meilleur commentateur de son œuvre, M. Pierre Louÿs : — un grand poète, un écrivain dont chaque ligne émeut, à la fois parce qu’elle est belle et parce qu’elle est profondément vraie, sincère et douée de vie… Les Ballades françaises, ajoute-t-il, sont de petits poèmes en vers polymorphes ou en alexandrins familiers, mais qui se plient à la forme normale de la prose, et qui exigent (ceci n’est point négligeable) non pas la diction du vers, mais celle de la prose rythmée. Le seul retour, parfois, de la rime et de l’assonance distingue ce style de la prose lyrique.
« Il n’y a pas à s’y tromper, c’est bien un style nouveau. Sans doute M. Péladan (Queste du Graal) et M. Mendès (Lieder) avaient tenté quelque chose d’approchant, l’un avec une richesse de vocabulaire, l’autre avec une virtuosité de syntaxe, qui espacent aisément les rivaux…
« On trouve, d’ailleurs, des ancêtres aux méthodes les plus personnelles, et celle-ci serait mauvaise si elle était sans famille.
« M. Paul Fort l’a fait sienne par la valeur théorique qu’il lui a donnée, par l’importance qu’elle affecte dans son œuvre et mieux encore par les développements infiniment variés dont il a démontré qu’elle était susceptible.
« Désormais, il existe un style intermédiaire entre la prose et le vers français, un style complet qui semble unir les qualités contraires de ses deux aînés… »
M. André Gide, poète, critique, philosophe, moraliste, passe auprès de certains pour le fondateur du naturisme. En tous cas, il fut, avec le Bataille de la Chambre Blanche, l’initiateur d’une sensibilité nouvelle. Nietzschéen, il a subi à l’excès l’influence de Humain, trop Humain. Subtil, il se refuse aux argumentations des pédagogues, il répudie l’instinct dans l’art et semble l’estimer néanmoins. Ses vers ont une personnalité étrange.
M. Charles Guérin, avec le Cœur solitaire, le Semeur de Cendres et l’Homme intérieur a écrit la plus parfaite des œuvres de sensibilité qui, depuis Samain, Verlaine et Musset, ait gémi, près de nos cœurs. Cris d’angoisse, de doute, de sensualité inquiète, de religieuse souffrance, dans des rythmes d’une fluidité racinienne, d’une limpidité de source. M. Charles Guérin renouvelle les images traditionnelles.
La ligne qui suspend à l’épaule ton seinEmprunte aux purs coteaux nocturnes leur dessin.
Nul n’a mieux que lui traduit le mystère des cœurs torturés. Il se cherche sans cesse, s’accuse, s’épouvante et se désole de ne pouvoir trouver l’apaisement de l’esprit…
Ô morts ! il ne faut pas envier ce vivantQui gémit comme un pin rebroussé par le vent.Alors que vous goûtez enfin, à jamais calmesL’incorruptible paix sous les fleurs et les palmes !Cet homme, cet enfant qui se jette à genouxPour être, ô bienheureux défunts ! plus près de vous !
Ce rêveur âprement s’enracine à la terre !L’insatiable feu des voluptés l’altère,Il ouvre son cœur vide à, la gloire ; il attendComme une église où va tonner l’orgue éclatant :Il espère, il a soif d’aimer, il aime, il douteEt, buttant la fatigue, il traîne sur sa routeL’effroi des jours qu’il faut pour atteindre en marchantLe bas du ciel rougi par le soleil couchant.
Dans « l’éternel duel qui se livre en lui, entre les ardeurs d’une chair
païenne et les élévations d’une âme catholique »
(H. Bordeaux), M. Charles
Guérin a su composer des poèmes simples, puissants, émouvants et clairs…
Le soir léger avec sa brume claire et bleueMeurt comme un mot d’amour aux lèvres de l’été…………………………………………………………Le vaste clair de lune enchante ma douleur…
Il a célébré, par un inoubliable poème, Francis Jammes.
Reviendrai-je dormir dans ta chambre d’enfant,Reviendrai-je, les cils caressés par le vent,Attendre la première étoile sous l’auvent,Et respirer dans ton coffret en bois de rose,Parmi l’amas jauni des vieilles lettres closes,L’amour qui seul survit dans la cendre des choses ?Jammes, quand on se met à ta fenêtre, on voitDes villas et des champs, l’horizon et les neiges ;En mai tu lis des vers dehors, à demi-voix,L’azur du ciel remplit les chéneaux de ton toit…Demeure harmonieuse, ami, vous reverrai-je ?
M. Charles-Henry Hirsch avant de nous narrer les exploits de le Tigre et Coquelicot et les aventures d’Eva
Tumarches, se complaisait aux évocations de la légende. Il aima Ivelaine, Priscilla, Oriane, les princesses fabuleuses aux yeux doux, les
sorcières, les chevaliers, les nuits d’enchantement, les palais de songe, l’Orient
miraculeux aux fruits de pierreries. M. de Régnier le louait pour « son Art est
à la fois souple et transparent… M. Hirsch a puisé dans une eau mélodieuse avec une
coupe de pur cristal »
.
Violaine !… comme elle est morte épouvantée !…
Elle allait son chemin, par les choses fêtée.Elle cueillait ses jours en souriant, sans voirQu’un peu d’elle mourait avec eux, chaque soir.Elle pleurait parfois sans savoir. Elle aimaitParce qu’il faut aimer, comme les fleurs de maiOnt une âme pour la donner à ceux qui passent.Toute candeur, elle ignorait même sa grâce.Sa bonté rayonnait sans qu’elle sût le bien :Quand ses mains pour le pauvre avaient rompu le pain,Le pain semblait plus blanc…Ah, tu l’aurais aimée !
Par sa présence, la douleur était calmée.Ses yeux devinaient la souffrance pour guérir.Les mourants espéraient, au moment de mourir,Tant son regard versait de douceur infinieSur le silence lourd des chambres d’agonie.
M. Tristan Klingsor (Squelettes fleuris, Schehérazade). —
« Ce sont de merveilleux filigranes qui ramagent des satins passés. — L’imagination de M. Klingsor est joliment vieillotte. Son art est achevé, délicat original : Nous avons les chansons de M. Klingsor comme nous avons les ballades de M. Fort.
« M. Klingsor est un orfèvre et un musicien, mieux même un orfèvre musicien, car il parfait des harmonies avec les nuances des mots ; nul plus sûrement que lui ne sait équilibrer les rythmes impairs.
« L’éloge que je fais de M. Klingsor est pareil à une de ses chansons : il est court, mais je ne vois point qu’on y puisse rien ôter29. »
M. Édouard Ducoté (Aventures, Renaissance, le Chemin des Ombres heureuses, la Prairie en fleurs), est un poète et un moraliste en même temps. La sagesse voluptueuse, pacifique et souriante de l’Hellas parle aux chemins des ombres, mais malgré son scepticisme doux, il a connu le doute et la douleur et la voix qui conseillait tout à l’heure le renoncement évoque aussi la tendresse et la passion.
M. André Lebey traduisit les poésies de Sappho et se laissa gagner à toutes les formes successives que voulurent revêtir pour lui plaire, les Muses. Il possède des dons très réels d’évocateur, mais il y a encore beaucoup de morale et de philosophie dans ses vers, avec une mélancolie incurable. Le mot, carpe diem, de l’insouciance helladique n’a pu chasser de son cœur les regrets et les craintes d’une hérédité catholique.
M. Francis Jammes a vu l’enthousiasme déborder autour de lui : « Il est d’une sincérité presque déconcertante… » déclare M. Remy de Gourmont à propos des balbutiements effacés et simulés de ce poète qui a les dons les plus rares sans doute mais qui a généralisé la niaiserie, une sorte de sensibilité puérile et vieillotte. Non, M. Francis Jammes n’a rien de commun avec la jeunesse d’aujourd’hui, il n’a pas d’âme, pas de syntaxe, pas d’ardeur. Le Triomphe de la Vie qui débute par un délicieux poème : Jean de Noarrieu finit par une pitrerie qui nous a suffisamment renseignés sur M. Jammes. Ce sera un jour l’étonnement des bibliophiles que cet humouriste ait pu passer pour un grand poète ; sa prose vaut mieux.
M. Henry Bataille (Le Beau voyage, la Chambre
blanche) rayonne d’une sensibilité tremblante et mesurée. Son naturisme précéda
celui de M. Bouhélier. Né sur le sol albigeois, au pied de « l’Aric poudreux où
montent les bergers »
où fréquentent les perdreaux rauques dans le vent
fiévreux, il a réalisé une poésie vivante et vibrante, douloureuse et forte.
Maurice Magre saluait ainsi le premier recueil de M. Bataille (1898) :
« Un petit livre tout blanc, tout tremblant, tout balbutiant » dit M. Marcel Schwob dans sa préface. Ce sont des vers simples et doux, de délicieux paysages de campagnes, de pénétrantes impressions de pluie sur les champs où de petites maisons grises, avec une sorte de résignation devant les choses. Mais ce que la Chambre blanche contient de précieux, ce sont les pièces où la note doucement sentimentale s’élève jusqu’à la beauté du sentiment pur :
J’accueille quand il veut le souvenir qui passeJe lui dis : « Mets-toi là… je reviendrai te voir… »Je sais toute ma vie qu’il est bien à sa place,Mais j’oublie quelquefois de revenir le voir.Ils sont ainsi beaucoup dans la vieille demeure.Ils se sont résignés à ce qu’on les oublie,Et si je ne viens pas ce soir ni tout à l’heure,Ne demandez pas à mon cœur plus qu’à la vie.Tout le livre est comme la révélation d’une âme, une âme qui vibre et souffre à tous les contacts de la vie. L’on sent dans tous ces vers cette compréhension spontanée et inquiète de la nature que l’on trouve chez tous les grands poètes, chez Musset comme chez Verlaine.
M. Henry Bataille est un poète du vers-libre. Comme M. Vielé-Griffin il demeure obstinément fidèle à cette formule à laquelle, il doit des effets heureux et des notations nouvelles.
Parmi les néo-symbolistes :
M. Tancrède de Visan, avec ses Paysages Introspectifs que précédait une curieuse et savante préface sur le symbolisme, a essayé de renouer la chaîne que les naturistes avaient rompue. Il y a apporté des dons de penseur plus que de poète.
M. Olivier de la Fayette nous a favorablement surpris par son Rêve des Jours où les deux muses, la traditionnelle et la symboliste font entendre tour à tour leurs rythmes. Une fraîcheur exquise, un lyrisme ému, une grande habileté au jeu des rythmes impairs nous font prévoir en M. O. de la Fayette l’un des bons poètes de notre temps.
M. Henri Ghéon publiait, en 1898 et 1899, Chansons d’aube et la Solitude de l’été. Il s’est tu depuis. Il convient de le regretter, car les premiers vers balbutiés et puissants de M. Ghéon, leur panthéisme, bien qu’ils fussent souvent de rythme trop incertain décelaient un tempérament.
Citerons-nous encore M. Achille Segard (le Départ à l’Aventure), M. Henri Degron (Poèmes de Chevreuse), Charles Chanvin, etc.
C’est aux symbolistes encore qu’il faudrait rattacher M. Edmond Pilon pour ses premiers vers (la Maison d’Exil) et M. Edmond Jaloux, M. John-Antoine Nau, dont les vers ont d’étranges couleurs, M. Valentin Mandelstamm, Gabriel de Lautrec, etc.
III. — Indépendants
M. Georges Pioch, le violent et succulent auteur de la Légende blasphémée, Instants de Ville, Toi, la Bonté d’aimer a su trouver des accents ardents, souvent amples, parfois forcés, toujours éloquents.
M. Paul Hubert (Verbes Mauves, Aux Tournants de la Route), a la vision des garrigues en flamme et des vignobles d’or sous le soleil de midi, sous le poudroiement du crépuscule. Ses lumineuses évocations du pays natal ont la sincérité, l’éclat, le parfum.
M. Henry Bauquier, critique des poètes, est un poète païen.
M. Fernand Hauser (La Maison des Souvenirs, Le Château des Rêves) fut un poète délicat et quelque peu précieux, avant de devenir l’infatigable journaliste que l’on connaît.
M. André Tudesq, dans la Vie, tout en demeurant fidèle à la technique parnassienne, donne pourtant une inquiétude hasardeuse, une fièvre bien d’aujourd’hui à la muse antique, aux formules immobiles de la tradition.
M. Pol Lœwengard fait précéder ses Fastes de Babylone d’une lettre de l’auteur sémite à Maurice Barrès, nationaliste. Il ranime le nationalisme juif, sinon le rêve sioniste d’Éphraïm le Hongrois. Exilé, loin de la colline crayeuse de Moriah, où rien ne subsiste du temple de Schlemô le Sage, parmi l’uniforme laideur de nos villes grises d’Occident, il reprend la lyre des Nabis d’Israël. Suivant le rite voulu par « sa Terre et ses Morts », il exalte les voluptés ensoleillées de la Judée sanglante des Rois et des Prophètes. Malgré l’abus fréquent de la couleur et le trop de « Princesses de luxure », venues davantage de Jean Lombard que d’Ézéchiel, il faut lui reconnaître un emportement, une fougue trop rares désormais.
C’est parmi les Indépendants 30 que nous citerons trois des meilleurs poètes.
M. André Rivoire a pour lui la tendresse presque féminine et les états d’âme extrêmement nuancés de les Heures pensives, le Songe de l’Amour, les Cendres des Heures :
Regarde, la pitié des choses nous accueille,Et, comme nous dolente, en ce pâle décor,La sensibilité d’un lac frisonne encoreLe long des bois flétris qui meurent feuille à feuille.Un peu de vent tressaille aux pentes des coteaux :Il fait froid. Dans le gris du ciel qui s’y reflèteAinsi qu’un arbre mort qui mire son squelette,Veux-tu que nous penchions notre aube sur cette eau ?
Il a dit avec un charme nuancé les caresses :
Nous ne mêlerons pas nos deux enchantements,Et nous ne serons pas ensemble des amantsTrop enivrés tous deux pour songer l’un à l’autre ;Mais le plaisir de l’un tour à tour sera nôtre ;Nos corps épuiseront le bonheur de savoirTour à tour seulement donner ou recevoir.Des cris silencieux empliront nos deux bouches ;Mais nous ne serons pas emportés ni farouches ;Nous saurons nous contraindre à l’effleurant baiserQui domine sa hâte et craint, parfois, d’oser,Et, tardif à dessein, prolonge en ses paressesL’espoir toujours accrû des prochaines caresses.Nos mains lentes auront des caprices rôdeurs ;Nous nous posséderons de contours et d’odeurs,Et, plus que des amants, nous serons les complicesDu même effort d’extase et des mêmes délices.
M. André Dumas (Paysages) possède un talent très délicat et très sûr, sobre, en demi-teintes, une âme d’automne finement mélancolique.
Novembre, dans le parc jaunissant, se précise.Les sentiers sont déserts. Seule, une femme assiseSur un vieux banc de bois que la mousse a verdiRêve languissamment dans le soir attiédi.Chaque feuille qui tombe avec un lent bruit d’aileA l’air d’éparpiller un peu d’ombre autour d’elle,Et la tiédeur du parc, le charme agonisantDe l’automne et la paix de la nuit qui descendLui versent tant de trouble et de mélancolieQue, perdue en un rêve indicible, elle oublie…Le soir qui la remplit d’une molle torpeurS’incline lentement, par degrés, et, de peurD’interrompre le cours de son extase douce,On dirait qu’il s’applique à tomber sans secousse.Et l’ombre cependant s’étend sur le jardinLes dernières clartés se fondent, puis soudain,Comme pour mieux marquer la fin du crépuscule,Une brise s’éveille, et frissonne, et circule,Bruissante, à travers le parc silencieux.Et la pâle rêveuse alors, rouvrant ses yeuxQu’avait clos la langueur exquise de l’automneVoit que la nuit s’est faite autour d’elle, et s’étonne.
M. Henri Barbusse est ainsi jugé par M. Mendès :
« C’est plutôt un poème, ce livre, un long poème, qu’une succession de pièces, tant s’y déroule visiblement l’histoire intime et lointaine d’une seule rêverie. Les Pleureuses viennent l’une après l’autre ; tous leurs yeux n’ont pas les mêmes larmes, mais c’est le même convoi, qu’elles suivent, le convoi, dirait-on d’une âme morte avant de naître… C’est bien une âme, oui, plutôt même qu’un cœur, qui se désole en ce poème, tant tous les sentiments, l’amour, les désespoirs, et les haines aussi, s’y font rêve… Les Pleureuses pleurent en des limbes, de souvenance où se serait reflété le futur. Et en cette brume de douceur, de pâleur, de langueur, rien qui ne s’estompe, ne se disperse, ne s’évanouisse, sans disparaître délicieusement… Pas de plainte qui ne soit l’écho d’une plainte qui fut un écho. Et c’est le lointain au-delà du lointain… »
IV. — L’Humanisme
M. Fernand Gregh ne créa point une école à proprement parler. À la poésie éclatante et souvent vide du Parnasse, fluide, ésotérique du symbolisme le grave et douloureux et puissant poète qui évoquait, en d’admirables pages lyriques, le devoir que nous tracent les aïeux, M. Gregh a voulu opposer la poésie humaine.
— Cette poésie humaine, caractéristique des tendances de la jeunesse, de l’écrivain qui le premier avait voulu concilier les rythmes nouveaux avec l’expression de la vie, M. Fernand Gregh l’a appelée la poésie humaniste. Le mot est heureux, on a cru voir dans le manifeste de M. Gregh (Figaro, 12 décembre 1902) une tentative d’embrigadement qui n’était pas dans la pensée du poète. La Maison de l’Enfance, la Beauté de Vivre, les Clartés Humaines, l’Or des Minutes, réalisent heureusement le noble programme de l’auteur. (En même temps que des artistes, soyons des hommes… Nous ne sommes ni mystiques, ni sceptiques…).
… Substance universelle ou Raison souveraine,Vaste inconnue où tient mon sort, qui que tu sois,Force qui m’auras fait naître et mourir, — reçoisDans l’humble vérité de cette heure sereine,Reçois en mon esprit, silencieux autelOù tremble ta lueur auguste qui dévie,Au mystère où bientôt aboutira ma vieLe consentement grave et tendre d’un mortel…… Rien ne pourra remplir cette âme aride et triste !Toute la gloire et tout l’amour sont superflus :Toujours elle voudra quelque chose de plus,Et, comme un grand feu mort qui brusquement rougeoie,Son désir renaîtra des cendres de sa joie !…
On sent qu’il n’y a pas dans les idées énoncées par M. Gregh, un simple appel de chef d’école, il y a une grande et douloureuse émotion d’art et de vie. Répudiant les didactismes étroits, les subjectivités banales, M. Fernand Gregh gravit la colline qui domine la cité d’aujourd’hui sur laquelle s’éploie l’aurore. Et songeant au destin des hommes, aux joies éphémères de l’amour et de l’orgueil, il entame le chant Lucrécien avec un cœur blessé, mais toujours confiant dans la Bonté et la Beauté de Vivre.
Des hommes ont meurtri d’un refus volontaireTon cœur nu qui s’offrait,Ton cœur qui, ne pouvant demeurer solitaire,Se reprend à regret.
Peut-être avaient-ils droit de le haïr ? Peut-êtreEst-il aussi trop nu ?Il blessait leur tristesse en laissant trop paraîtreSon orgueil ingénu.
— Mais la vie après tout n’en est pas moins la vie.Et, dans l’éternité,La mort n’en mettra pas moins d’accord leur envieAvec ta vanité.
Peuvent-ils empêcher d’ailleurs qu’un cher poèmeT’enlève ton souci,Et que, si plein d’erreurs sans doute et de torts même,Tu sois heureux ainsi ?
Et n’as-tu pas, le soir, toute la paix possibleDans ta vieille maison ?…Et puis ne sens-tu pas, d’une force invincible,Que ton âme a raison ?
V. — Les Parnassiens
Les Parnassiens d’aujourd’hui ne ressemblent pas tout à fait à ceux d’hier. Ils ont conservé la métrique rigoureuse de Leconte de Lisle, mais ils ont élargi leur âme et leur sensibilité. M. Sébastien-Charles Leconte représente ce nouveau Parnasse avec éclat.
M. S.-Ch. Leconte est aussi un intégraliste. L’art parfait, la noblesse idéologique des Bijoux de Marguerite et du Sang de la Sirène sont dignes des plus nobles poètes de France :
Mais le sang a voilé mes yeux, et rien ne luitDans ces antres de pourpre, où l’éternelle nuitDu Sort à jamais se prolonge.Antigone sévère et douce, je te suis,Devinant ta beauté sans la voir, car je suis,L’Œdipe étrange de mon songe.
Car je suis l’exilé de ma cité : le seuilDes palais de mon rêve à mon terrestre orgueilJeta le dernier anathème ;Je suis l’Aveugle-Roi de mon propre Destin,Le quêteur de l’énigme humaine, le lointainEt sombre ancêtre de moi-même.
Je suis très las, ô Femme ! Asseyons-nous auprèsDe la source qui chante en ses vasques de grès,Au plus profond de la cépée :Là, désireux de faire immortels l’odieuxForfait de ma victoire et la haine des Dieux,Du fer de l’inutile épée,
J’inscrirai nos deux noms dans le calcaire, et pourQu’à jamais favorable à notre grave amourSoit l’infernale souveraine,Je dédierai, sur un simple autel de gazon,Et le glaive héroïque et la fauve toisonÀ la déesse souterraine.
M. Albert Lantoine dont Rodenbach disait à propos de son Eliscuah ! qu’il se résume
en des parfums, sur des
blessures
a une imagination curieuse, tourmentée, voluptueuse et
précise : certains de ses poèmes : La Courtisane, Merodac le Fou, la
Lapidation méritent de devenir classiques.
Le prophète demande à l’Iahvé cruelLe mot qui fait mourir et le mot qui délivreMais mes amants repus soulèvent leur poing ivreVers le proclamateur du devoir criminel !
Eh ! bien oui ! La Luxure et la Mort sont jumelles !C’est vrai ! Toute douleur se tait sous mon amour ;Et parfois la vie âpre et la laideur du jourS’éteignent pour qui dort au creux de mes mamelles.
Sur mon ventre splendide offert pour le plaisirComme un panier rempli de raisins et de pommes,Vieillards blancs ! guerriers bruns ! et vous blonds jeunes hommes !
Venez rêver ! venez aimer ! — venez mourir !
M. Albert Lantoine se rattache aussi à l’Intégralisme.
En réalité les Intégralistes continuent Leconte de Lisle et Vigny. Ils ne le disent
pas, mais on sent qu’ils ont conscience de continuer la vraie pensée de ces deux
maîtres. D’ailleurs, à mieux réfléchir, nous ne croyons pas que les Parnassiens aient
bien compris ou voulu comprendre Leconte de Lisle. Pour eux, Leconte de Lisle fut
« une forme de vers »
, pour MM. Lantoine,
Leconte, Lacuzon et ses amis, il est une âme.
VI. — L’Intégralisme
M. Adolphe Lacuzon déclarait (1902) dans la préface d’Éternité :
« Le don du Poète est une condition psychique supérieure, comme l’héroïsme.
« Son existence ne correspond, chez l’individu, à aucun signe extérieur, et jamais ne justifia ces singularités d’attitude auxquelles la légende est si complaisante et les farceurs si fort enclins. L’homme à qui l’a dévolu le destin n’est pas un visionnaire halluciné qui butte aux réverbères comme aux arbres de la route. Il ne va point par la ville et la campagne, une main sur son cœur et les yeux au ciel. C’est un être comme chacun de nous, et les notions de l’existence sont en lui pareilles à celles de tous les mortels. Mais s’il est une particularité à laquelle il se doive pourtant reconnaître, c’est à sa bonté, qui n’est autre que son amour de la vérité, c’est-à-dire de la sagesse, suivant l’acception antique : Σοφία. Il n’est pas non plus le rêvasseur ignorant, amant de la lune, dont parle quelquefois la chronique ; le chercheur de rimes dont l’ingénuité confine à la niaiserie. Homo sum, et nihil humani a me alienum puto. C’est à lui, tout le premier, qu’il faut appliquer cette devise. “Il doit tout savoir, et plus encore, s’écrie le bon Banville, car sans une science profonde, solide et universelle, c’est en vain qu’il chercherait le mot propre et la justesse de l’expression !” »
Le poème qui prétend réaliser ou essaie de réaliser cette esthétique nous attire surtout par la réelle beauté des images. M. Lacuzon est, en tous cas, un artiste puissant, et, s’il n’avait autant l’air de s’en rendre compte à travers son œuvre, on admirerait celle-ci sans restrictions.
… Je vois s’enfler la voile au fond de l’estuaire,Puis, derrière, au lointain, du côté de la plaine,Surgir, fondre et passer, l’ouragan pour haleine.Dans l’éclaboussement du sang crépusculaire.
Et droits sur leurs chevaux cabrés qu’un rut enlève,Tes grands conquérants noirs, au profil surhumain,Qui déployant leur geste avec l’éclair d’un glaiveEngouffrent dans la nuit leurs cavaliers d’airain !
Les origines du monde sont ainsi expliquées en cinquante pages… Une impression vraiment profonde naît parfois de l’animation des tableaux évoqués ; mais l’émotion n’y a aucune part. En résumé, Éternité est un poème largement écrit, dans une langue précise, imagée et sonore.
M. Adolphe Boschot débuta par une polémique (au sujet de la prosodie) avec M. Sully-Prudhomme. C’est encore un musicien et un critique musical. Tant de talents ne nuisent point à ses poèmes. On lui reproche ordinairement d’avoir voulu faire la fusion entre des tempéraments dissemblables, et ses Poèmes dialogues gardent trace d’un certain opportunisme, mais leur grâce chantante, leurs images imprécises charment souvent.
Un matin de printemps, nous courûmes les boisOù les bourgeons ouvraient au jour toutes leurs lèvres.Nous allions, nous allions, comme si notre RêveNous avait entraînés en nous prenant les doigts.
De la fraîcheur glissait tout autour de nos mains,De la douceur semblait murmurer sur nos lèvres,Et j’enlaçais, — car l’aube est encore du rêve, —Nos souvenirs d’amour dans l’odeur des jasmins.
M. Léon Vannoz : son vers est harmonieux, sa poésie assez peu impulsive, a souvent des allures didactiques ou d’un lyrisme conventionnel, mais sa langue est sûre, le rythme précis et il y a de la noblesse dans sa pensée et dans sa philosophie optimiste :
Une vaste espérance oppresse la nature…La Psyché renaîtra sous une forme pure…
M. Cubélier de Beynac : lui aussi est didactique et conventionnel, c’est d’ailleurs le reproche qu’on doit faire à tous les intégralistes. Ils sont trop appliqués. D’autre part, ils ont conscience de leur devoir et une belle attitude hautaine. M. Cubelier de Beynac a de beaux élans et des strophes lapidaires.
L’Homme terrifié d’être seul en ces aubesPeuple de dieux l’horreur muette de la Nuit.
Pétrone avait dit :
Primum in orbe terror fecit deos,
ou encore :
L’espoir comme un fanal aux portes de la Mort.
Au fond ces poètes réalisent ce qu’avait rêvé Louis Bouilhet et ce que Leconte de Lisle avait tenté sur la fin de sa vie. Nous ne savons pas si le temps est avec eux, mais ils le confondraient avec l’espace. Et puis qu’importe… puisqu’ils ont du talent.
VII. — L’École romane
Les poètes qui la composèrent sont célèbres aujourd’hui pour la plupart, MM. Moréas, Ernest Reynaud, Charles Maurras. Si MM. du Plessys, Raymond de La Tailhède et Lionel des Rieux le sont moins c’est qu’ils sont plus jeunes et qu’ils n’ont rien fait pour capter une notoriété plus grande et dont ils sont dignes.
L’archaïsme têtu, la pureté formelle, l’inspiration grave et ardente de la Tour d’ivoire et de la Couronne des Jours de M. Ernest Raynaud ont placé l’auteur de ces recueils parmi les meilleurs31.
M. Raymond de La Tailhède s’est toujours tenu à l’écart, jalousement. Ses vers sonnent profond :
Ta plaie est moins saignante encore que ton cœur,Archer qui ne vois point quelle flèche est maligne !Mêle le suc du lierre à celui de la vigne.Quel baume épuiserait sa bouillante fureur ?
Hélène, aux murs troyens, blanche fille du cygne,Attend l’arc d’Héraclès pour nommer son vainqueur,Héros, presse tes pas et retiens ta douleur :Aux oreilles des dieux toute plainte est indigne.
Fais trêve à ton sommeil engourdi de poison :Celui qui de tes maux porte la guérison,Le blond Néoptolème en ton antre se glisse.
Tu le suivras : la rame a bondi sur la mer ;Mais avant qu’à tes pieds manque le sable amer.Brûle au feu de l’Amour les sarcasmes d’Ulysse.
M. Lionel des Rieux, est parfois dur dans sa versification et l’on regrette souvent qu’il se soit enfermé dans une cuirasse qui gêne son élan. Cependant il a un sentiment très exalté de la beauté pure, un culte généreux de la tradition, l’intelligence des lignes harmonieuses. Les Amours de Lyristès, le Chœur des Muses rayonnent par de nobles strophes.
VIII. — La Renaissance latine
En 1901, M. Louis Bertrand signalait ainsi les Élévations Poétiques de M. Paul Souchon :
« … Comme la langue de Lamartine encore (car le parallèle s’impose d’un bout à l’autre), la langue de M. Paul Souchon est d’une extrême simplicité, sauf en de rares passages où l’auteur se souvient trop d’avoir traversé les petits cénacles parisiens et où il se consume en de laborieuses et minuscules inventions verbales. En plein triomphe de la périphrase, le poète du Lac osa écrire ces vers d’une simplicité héroïque :
Regarde, je viens seul m’asseoir sur cette pierreOù tu la vis s’asseoir !« M. Paul Souchon est coutumier de hardiesses toutes semblables. Les beaux vers ingénus abondent dans son recueil. Et cependant ils ne sont ni lâchés ni faciles. Je ne connais pas de poète contemporain, si ce n’est Emmanuel Signoret, qui rencontre aussi souvent la forme stricte et définitive d’une pensée poétique.
« Mais ce qui paraît absolument neuf chez lui, c’est son dessein de faire entrer dans la poésie tous les thèmes de la vie moderne et, pour tout dire, de réconcilier l’art et la vie. Je sais qu’une foule de jeunes gens se piquent précisément de cela. Au rebours des romantiques, ils acceptent, disent-ils la vie moderne tout entière, et c’est elle qu’ils vont chanter. Mais il ne suffit pas de regarder les choses et la vie, il faut encore les voir d’un œil purifié de toute littérature. Comme disait le vieux peintre David à ses élèves : « Mes amis, il faut être bien humbles devant la naturel » Nos jeunes gens n’ont point cette humilité ! La mémoire alourdie de formules apprises, ils sont comme les pseudo-classiques de 1830, — les Casimir Delavigne et les Baour-Lormian, — qui traitaient des sujets romantiques dans le style et avec les habitudes d’esprit du xviiie siècle. M. Paul Souchon a échappé à cette erreur. Il ne prend point d’attitudes triomphales devant la nature. Il ne la considère point dédaigneusement, en rhéteur uniquement curieux des mots. Il est humble et docile devant elle. »
M. Paul Souchon est digne des éloges de M. Bertrand. Venu des bords latins de cette terre provençale où flottent encore parmi l’harmonieux souvenir d’Hellas, ces images de beauté et ces méthodes précises qu’y apportèrent les colons phocéens et les architectes des camps proconsulaires, il reste fidèle au nombre, à la sonorité, à l’intégrité de la forme. Chez lui comme chez tous les poètes nés autour du Rhône, il faut noter aussi l’influence des grands lyriques provençaux, Mistral et Aubanel, ces chantres des déesses protectrices de la terre et instigatrices du désir. L’auteur de Nerto et des Isclo d’or, celui de La Migrano ont pesé sur la vision de Paul Souchon. Nous doutons qu’il veuille répudier un tel parrainage conforme à l’enseignement de sa race. Que de fois en ses vers M. Souchon pleura comme Ovide le lumineux mirage des villes d’or enfuies et de sa jeunesse errante parmi ces paysages de cinabre que Cézanne exalta par des toiles immortelles. M. Paul Souchon fut l’ami de ce grand et déjà oublié Emmanuel Signoret dont les dons lyriques promettaient une œuvre importante.
Nous en rappellerons ces strophes de l’Hymne à Jupiter :
Vide sur leurs cités ton carquois insondableApollon furieux ;Toi qui vis sur ma bouche et t’assieds à ma tableLève sur eux l’égide ô Pallas formidable !Toi leur père et le mien, brise sur eux tes cieux.
Toi qui naquis du temps, père tu fus le nombre !Pour l’homme châtiéTe voiles-tu de foudre et son cœur devient sombre ;Tes fils sans ton appui sculptent en vain dans l’ombrePandore qui fléchit au poids de la pitié !
Toi qu’abreuvas le lait de la chèvre AmalthéeMonarque impérieux !Quand au sommet des monts tu clouas Prométhée,Ta prunelle de pleurs fut longtemps humectéeEt ton cœur s’enivra d’un nectar douloureux
M. Joachim Gasquet lui aussi reçut l’investiture classique des mains de M. Bertrand, cependant ses premiers vers portent l’éclatant stigmate romantique L’arbre et les Vents parmi l’échevèlement d’images tumultueuses se ressent de Hugo.
Bientôt cependant par-delà le maître des Chants du crépuscule et de la Légende des siècles, M. Joachim Gasquet écouta les voix des créateurs de la grâce et de la force française. Il avait rejeté très vite le sentimentalisme comme un vêtement étranger ; le mysticisme païen que le catholicisme nous a conservé, il ne s’en débarrasse point. Son naturisme exalté, sa philosophie passionnée s’accommodaient de l’enseignement des mystiques. Lui qui avait paru un instant à l’avant-garde des poètes individualistes qui mêlent anarchie et socialisme, esprit dionysien et solidarité sociale dans le plus réjouissant amalgame, s’excepta bien vite de cette erreur pour revenir au large chemin rectiligne de la tradition. Il brûla avec éclat ce qu’il adorait. Les Chants séculaires glorifient les meneurs d’hommes, aussi bien l’Impérator que le légionnaire, le consul farouche que le dieu aux yeux de femme, vainqueur de l’Inde.
Le cœur de l’homme fort est plus beau que les cieux !
La dure tyrannie lui parut créer à l’artiste des loisirs meilleurs que la condescendance des sociétés républicaines. Ce poète sera du retour des Princes. M. Maurras reconnut en lui un frère intellectuel. Parmi les plus caractéristiques de maintenant son effort déjà notoire le place audacieusement des premiers.
M. Léo Larguier séduit dès l’abord. Dans la Maison du Poète et les Isolements, le métal des vers sonne avec une ampleur de vibration dont nous étions déshabitués depuis longtemps. Au tronc millénaire du laurier latin jaillit une branche vigoureuse et sereine. Entre des évocations de légende et d’histoire s’élancent de purs cantiques d’amour.
Ce classique qui se voudrait impeccable et implacable, a été néanmoins touché par la mélancolie de René, par le mal d’Olympia, par l’ennui Baudelairien. Sa santé cependant résiste à ces maîtres. De petits tableaux de genre qui rappellent Heine, de larges apostrophes qui rappellent Ronsard nous avertissent que ce n’était là que l’abandon partiel d’un instant. Sur sa secrète douleur, sur sa passion profonde, le poète a poussé les volets. Il ne sait plus rien des contingences actuelles. Entre ses dieux et sa maîtresse nue, il chante avec orgueil ; mais souvent aussi il raille, il sourit, il conseille. L’éternel bon sens de sa race l’empêche de se croire la dupe de ses songes. Son lyrisme se pose sur des bases inébranlables, mais il dévoile aussi un cœur avide, pris d’un forcené besoin de tendresse et qui, s’il ne se désespère pas de savoir la mort victorieuse de la beauté, se plaît au jeu divin des rythmes qui masquent mal son humanité chancelante.
« Il pleut, cet homme seul en proie à cette étudeEst noble de travail et beau de solitude.Tout bruit vient expirer à ses carreaux voilés,Avec le souvenir de ses jours en allés,Il vit là. Nul souci sur son cœur n’a de prise ;Il rêve en se levant à Virgile, à la briseD’un matin printanier par l’averse trempéQui descendait joyeux les pentes de Tempé,L’imagination l’exile dans l’histoire.Il peut faire blanchir le vol d’une victoireSur l’horizon marin des promontoires bleus.À la corne d’un bois il a surpris les dieuxSylvestres épiant le sommeil des meunièresDont la gorge s’enflait sous les vertes lumièresQue tamisait un arbre au bord courant des eaux.Son livre est un musée où vivent des tableaux ;J’y sais des coins de ciel sanglant sur Salamine,Une ornière fangeuse où la trace divineDes sylvains est marquée ; une montagne, un champDes palais sur un port doré par le couchant ;Quelques bandes de fer et de bronze bardées ;Le corps chaud d’ambre blond des papesses fardées,Des filles près d’un puits ; et j’y sais un jardinOù lui-même s’est mis contre le fût d’un pinQui dans le noir fouillis de sa maîtresse branche,Retient comme un grand nid la pleine lune blanche.………………………………………………………Mon Despax, croyez-vous que ce soit le bonheur ?Je ne veux pas parler, ô mon ami, j’ai peurD’éveiller les soucis et tout ce qui me guette,Mais sachez que le cœur du paisible poèteEst un morne désert par l’ouragan noyé,Labouré, noir de sang et du vent balayé,Et que dans la maison où j’ai posé des pommesPour parfumer un peu les livres que j’aimaisLa paix que je voudrais ne s’arrête jamais,Et que je suis, ce soir, le plus pauvre des hommes.
M. Louis Le Cardonnel, lui, est un poète catholique. Soucieux même de conformer sa vie à ses chants, il a revêtu la robe sacerdotale. Il penche sa douceur de poète sur des agonisants et du même ton dont aux matins crayeux de ses vingt ans, il célébra la femme, prophétise aujourd’hui la gloire du Crucifié et prononce les paroles déliant sur terre et dans le ciel les âmes des pêcheurs. Ses Poèmes dans un temps de doutes et de blasphèmes ont la rafraîchissante sérénité de l’âme affranchie du doute et n’est-ce pas assez pour leur accorder un accent unique qui les classe en dehors de toute la poésie contemporaine ?
Mystique, du même mysticisme qui enivrait les initiés d’Éleusis et les phallophores du cortège dionysien, M. Louis Payen, dans À l’Ombre du portique et les Voiles blanches, s’incline au passage des immortelles nues. Séculaire amant des amantes passées et des olympiennes en fuite, il guette à l’orée des bois nocturnes, la tunique virginale de Sélené courbée sur le sommeil d’Endymia ou encore la nudité cabrée de l’Aphrodite qui se lamente de la mort d’Adonis. Il a dit les mots symboliques d’Artémis à Actéon :
« Insensé, que fais-tu ?Ton geste sacrilège a tué le bonheur.J’aurais dû pour toujours, hélas ! rester sacréeEt voilée de désir aux brumes de ton cœur.Souveraine d’orgueil, dans ma nuit ignorée,J’entends monter vers moi les prières des hommes,Je devance leur marche, impalpable fantôme,Et je guide leurs pas au seuil des cieux fermés.Je suis la volupté qu’ils n’atteindront jamais,Tous les espoirs, toutes les joies et tous les rêves,Tout l’amour que pour eux filent les heures brèves…Mais nul ne doit cueillir la fleur de ma beauté,Car ma lèvre cruelle a le goût de la mort.Malheureux ! je maudis et redoute ton sort…Viens, regarde mes yeux : jamais plus les étoilesN’auront pour tes regards de regards accueillants ;Viens, touche mes deux mains : jamais tes doigts tremblantsDu lointain idéal n’écarteront les voiles ;Que ta bouche goûte ma bouche ! jamais plusL’amour n’aura pour toi de fruits inattendus,Et le rêve sacré qu’on ne doit pas cueillirN’effacera jamais tes regrets inutiles.Les cieux seront muets et le monde stérile ;Ton geste sacrilège a tué le désir ! »
M. Eugène Vaillé chante à la Gloire de la Luxure en rythmes libres et souvent heureux, et de lui il faut attendre de plus complètes manifestations.
M. Charles Derennes avec l’Enivrante Angoisse s’annonce d’une habileté dont la précocité effraie. La sûreté de la langue et du rythme est presque absolue. Il semble avoir dérobé à chaque maître son secret pour en composer de longues laisses de vers d’une harmonieuse souplesse sans monotonie. Il publiait hier la Tempête qui a noblement réalisé tous les espoirs et qui compte des poèmes définitifs.
M. Émile Despax a donné, avec la Maison des Glycines, un des plus beaux recueils de poèmes parus depuis longtemps, et c’est celui-là même que l’on jugea indigne du prix Sully-Prudhomme ! Il y a dans la poésie de M. Despax une douleur tendre et voluptueuse, une souffrance cachée et hautaine, un cœur ardent qui se répand, s’exalte. Les premiers vers de ce jeune homme égalaient les Noces corinthiennes, les derniers sont personnels et parfaits.
L’inspiration païenne et néo-classique de MM. Souchon, Larguier, Gasquet leur vient de leur atavisme latin. Le paganisme de Albert Erlande lui vient de l’étude. Hélène, le Jasmin se ressentent plus des lakistes et de Shelley que d’un mouvement intérieur spontané. M. Erlande est un poète dont on doit attendre beaucoup.
M. Louis Mercier est un poète traditionnel ; il célèbre la terre, les fruits, les herbes, les saisons, en des vers qui sont parmi les plus sincères que l’on fait aujourd’hui.
Quand nous sentant, un soir, trop seuls dans la maison,Le besoin nous prendra de pleurer sans raison,Et que, malgré le feu, nous aurons froid peut-être,Ô mon Âme, en voyant, dehors par la fenêtre,Tomber la neige immense autour de la maison.
Alors nous emplirons nos coupes cristallinesDu vin des souvenirs mûris sur les collinesEt nous évoquerons le jour cher et lointainOù nos pieds s’embaumaient aux arômes du thym,Lorsque nous descendions en chantant les collines.
Et voici qu’en buvant, le soir, nos vins vermeilsNous croirons retrouver les beaux, les vieux soleilsQui luisaient aux coteaux ardents de la jeunesse…— Et nous nous sentirons envahis d’une ivresseTriste et joyeuse au souvenir des vieux soleils !
M. Charles Vellay, qui débuta par des vers symboliques, aboutit à l’esthétique classique.
IX. — Les groupes provinciaux
On trouvera, plus loin, l’énumération de ces divers groupements poétiques. Cependant, il faut mentionner hors pair :
Les Poètes du Beffroi. — Autour de la revue le Beffroi, dirigée d’abord par MM. A.-M. Gossez et Léon Bocquet puis par M. Bocquet seul, se sont réunis tous les jeunes poètes du Nord, Henri Delisle, poète élégiaque et civique (Heures, pour la Cité), Floris Delattre (Les Rythmes de Douceur), qui se souvient de Rodenbach, Roger Allard (La Divine Aventure), Théo Varlet, poète moderniste très curieux, Jules Mouquet (Nocturnes Solitaires), Pierre Turpin, grand poète inconnu, l’admirable et vibrant auteur de la Lumière Natale, M. Léon Deubel, poète à l’âme ardente, hésitante et blessée, qui, après des essais de rythmes bizarres est revenu au large chemin clair de la tradition, M. Edgard Malfère (Le Vaisseau solitaire), etc.
M. Léon Bocquet (Flandre) a célébré le sol natal et le ciel gris et tragique des villes d’usine. Ce qu’un Souchon ou un Gasquet ont fait pour le Midi Français, Léon Bocquet l’a tenté pour la région de Lille ; ce n’est pas toutefois, qu’il ne regrette le ciel de perle et les nets profils d’Athènes. Il annonce La Lumière d’Hellas.
Tous ces poètes ont subi, plus ou moins profondément l’influence de Rodenbach, de Verhaeren ou plus encore d’Albert Samain. On pourrait diviser la France en régions poétiques et en région d’influence poétiques. Verlaine, Rodenbach, Samain et Baudelaire régneraient au nord de la Seine et tout autant en Picardie et Artois qu’en Lorraine.
L’École de Nancy. — Le groupe lorrain comprend un grand poète : Charles Guérin dont nous avons déjà parlé et il comprend aussi de bons poètes. M. René d’Avril (Promenades dans l’Âme), un peu compliqué, un peu diffus, mais plein de trouvailles heureuses, M. Paul Briquel dont les Soirs d’Automne avaient quelque mélancolie artificielle, dont les Joies Humaines tressaillent d’une force mal dirigée mais réelle et qui promettent un poète vigoureux.
X. — Les femmes et la poésie
La revanche des Amazones se précipite. Il en vient de partout. Du monde et même du demi et même du nouveau monde. Il n’y a plus de frontières et il n’y a pas d’âge. Comme la plupart sont jeunes et jolies, parfois titrées, souvent riches, vous devinez les louanges ! D’autant qu’elles acceptent encore moins que les poètes hommes, les reproches des critiques. L’irritabilité foncière du poète se complique de vanité féminine et d’orgueil. On avait un salon, on a un éditeur ; on avait son jour, on a son critique. Ce qui est plus étonnant que ce gymkhana littéraire, c’est qu’elles ont souvent du talent.
Un phénomène s’est produit : l’explosion de la sincérité féminine. Jusqu’à présent les femmes avaient considéré la passion, la vie, la morale, au point de vue imposé par le mâle. Désormais, elles se placent au point de vue de la femme. Nietzsche l’avait prévu. Mme Rachilde donna l’exemple. On la suivit dix ans plus tard. Avec la sincérité des femmes est née une sorte de lyrisme un peu court, savoureux, audacieux, agaçant, d’une sensualité précise et détaillée…
Mme Mathieu de Noailles publia, en 1901, le Cœur innombrable. L’un de nous écrivit alors le premier article de louanges en l’honneur du nouveau poète. Depuis… ç’a été une avalanche, un délire irraisonné et irraisonnable, qui a éloigné de Mme de Noailles, beaucoup de ses plus sincères admirateurs. L’auteur de la Domination est un exemple à prendre. Victime du snobisme, elle n’obtiendra pas les hommages auxquels elle a droit, car beaucoup craindront — à la louer autant qu’il convient — d’être, eux aussi, taxés de snobisme. M. R. de Montesquiou déclare :
« Bittô n’est pas chrétienne. Pas une seule fois elle ne prononce le nom de Dieu. Mais bien qu’elle les nomme souvent, Junon, Éros, Priapos, les dieux ne sont pour elle que de poétiques mythes. Sa déesse, la seule qu’elle invoque avec foi, c’est la Nature. Quand nous nous exclamons : “Seigneur !” elle s’écrie : “Nature !” Elle n’aime, elle n’adore que Gaïa, la Terre.
« Son art maintenant. Il est, comme elle, vêtu à l’antique. À l’ancienne quelquefois, notamment dans cette charmante pièce Le Pays, qui résonne comme d’un accent de la Pléiade. Partout ailleurs, son vers résonne d’un timbre qu’il emprunte à cette épigraphe de Taine : “l’antiquité est la jeunesse du monde”. — On dirait une transposition de la poésie grecque, avec parfois une attitude de Chénier, une intonation de Keats. Ses strophes sont des frises de vases où jouent des bergers tendres et tristes, vivants et rêveurs, rieurs et sérieux. Elles sont enguirlandées de mélisse et de réglisse, de cityses et de citrons, de résine et de menthe dont elle excelle à pénétrer, à saturer ses poèmes, comme des sachets avec un sens de l’olfactif qui aromatise le terme et donne à l’expression quelque chose d’odorant qui ne se rencontre avec cette intensité que dans le style de d’Annunzio. »
Servie par une culture très classique et un sensualisme très païen, elle sait le prix de l’heure qui s’enfuit. La nature lui a montré, dans ses fleurs qui se fanent les champs que l’hiver flétrira, le ciel changeant et ses beautés instables, elle lui a montré l’ombre prochaine et lui a murmuré l’éternel « carpe diem ! » C’est la poésie de l’amour et de la mort, c’est la pensée amère qui secoue Iphigénie à l’évocation des ténèbres inférieures ! La mort, mais elle est dans chacun des poèmes de Mme de Noailles, c’est la hantise baudelairienne, mais il semble que Mme de Noailles l’accepte autant comme un encouragement que comme une crainte. Elle sourit, enivrée encore de l’amour, au fantôme funèbre et elle se retourne vers la vie, plus ardente, plus exaltée. Le culte de la nature mène à la sensualité la plus vive. L’Église l’a compris qui identifiait le faune à ses démons. Mme de Noailles ne s’en épouvante point :
Pauvre faune qui va mourirReflète-moi dans tes prunellesEt fais danser mon souvenirEntre les ombres éternelles.
Va et dis à ces morts pensifsÀ qui mes jeux auraient su plaireQue je rêve d’eux sous les ifsOù je passe petite et claire…
Tu leur diras que je m’endorsMes bras nus pliés sous ma tête,Que ma chair est comme de l’orAutour des veines violettes.
— Dis-leur comme ils sont doux à voirMes cheveux bleus comme des prunes,Mes pieds pareils à deux miroirsEt mes deux yeux couleur de lune.
Et dis-leur que dans les soirs sourdsCouchée au bord frais des fontaines,J’eus le désir de leurs amoursEt j’ai pressé leurs ombres vaines.
Elle dira à la nature :
« Voyez de quel désir, de quel amour charnel,De quel besoin jaloux et vif, de quelle force,Je respire le goût des champs et des écorces !— Je vivrai désormais près de vous, contre vous,Laissant l’herbe couvrir mes mains et mes genoux,Et me vêtir ainsi qu’une fontaine en marbre ;Mon âme s’emplira de guêpes comme un arbre,D’échos comme une grotte et d’azur comme l’eau ;Je sentirai sur moi l’ombre de vos bouleaux ;Et quand le jour viendra d’aller dans votre terre,Se mêler au fécond et végétal mystère,Faites que mon cœur soit une baie d’alisier,Un grain de genièvre, une rose au rosier,Une grappe à la vigne, une épine à la ronce,Une corolle ouverte où l’abeille s’enfonce… »
Elle vaincra l’inquiétude du néant :
Ô Mort de t’avoir crainte un jour, je me repens…Lance-moi ton lacet, des flèches et ton sableEt que je jette en toi la douleur et l’ardeurDe ma raison malade et de mon mauvais cœur…
car, malgré tout son désir, la joie demeure insaisissable et le plaisir amer.
Le rude et lourd baiser dont parlent les chansons,Ne guérit pas le mal dont vous étiez atteinte…Mon sein est puéril, mais mon cœur est faroucheDamétas le sait bien à l’heure de l’accordCar la flûte est moins vive et chaude sous sa boucheQue ne l’est mon baiser qui s’appuie et qui mord…
Mme Henri de Régnier jusqu’ici n’a pas signé ses beaux vers, graves et profonds. Il faut le regretter.
Mlle Renée Vivien, avec une culture classique aussi profonde que celle de Mme de Noailles, mais avec un luxe moindre d’épithète, et un vocabulaire plus restreint marque un talent très vif dans ses Évocations, Cendres et Poussières, la Vénus des Aveugles. Sur un thème unique, la beauté des fleurs et des femmes, l’horreur de la brutalité et de la souillure, l’amitié saphique, la douceur de l’exil, de la nuit et du départ, les joies de l’orgueil, la jalousie, elle éparpille les ressources d’une imagination disciplinée, d’une sensualité obéissante et contenue :
… Ton visage est pareilÀ des roses d’hiver recouvertes de cendre,Et ton lit nuptial ignore le soleil,Ta chevelure ondoie au reflux des maréesComme l’algue marine et les sombres corauxEt tes lèvres désespéréesBoivent la paix des eaux…
Ô langueur de Lesbos ! charme de MitylèneApprends-nous le vers d’or que ton râle étouffa…Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creusesDe ton corps monte ainsi qu’une légère haleineLa blanche volupté des vierges amoureuses…
MIle Paule Riversdale. — Elle suit la route où fleurissent les violettes de Mlle Renée Vivien. La même inspiration, des qualités moindres, mais réelles et qui font espérer : (Échos et Reflets).
Ma bouche a possédé ta bouche féminineEt mon être a frémi sous tes baisers d’amant,Car je suis l’Être double et mon âme androgyneAdore en toi la vierge et le Prince Charmant…
Mme Lucie Delarue-Mardrus : Dès ses premiers vers M. Gasquet écrivait d’elle : (À Propos d’Occident).
« Celle-ci, je la devine parée de modernité, mais, sous les plis égaux de ses grandes robes, portant une âme en feu comme la mer où Midi brûle. C’est :
« … Carmen blême de tragédie« Intime, les deux yeux dévorés d’incendie,« Tout le sanglot, tout le sursaut, tous les frissons,« Et le vent furieux rebroussant les moissons…ou plutôt, s’il est vrai que ce cœur tout entier batte entre les pages blanches de cet unique livre, écoutez-en jaillir
Comme un rythme incessant la vie universelle.« L’âme en démence a mal de se sentir pareille aux farouches marées. La grande voix de la mer se dresse dans l’espace comme une trombe de lumière et à pleine voix aussi, la poëtesse entonne alors l’hymne marin selon « l’incorruptible rite ».
« L’âme fidèle, inguérissable du mal de ne pouvoir se taire, a retrouvé l’amie éternelle :
Toute seule devant ton flot pendant des heures,Je voudrais promener mon silence anxieuxEt puisqu’il n’est jamais de larmes dans mes yeuxM’écouter longuement pleurer lorsque tu pleuresOu bien, parmi la nuit, le fracas et le vent,À l’heure où la tempête est à son apogée,Crier en toi, sauvage, affolée, enragée,Les cheveux dénoués et les poings en avant.« Et viennent les Paroles, meurtrières, désabusées, terribles et profondes, religieuses, décisives, mystérieuses, dont on ne parle pas, qu’il faut murmurer bouche à bouche avec l’Être ou le Néant.
« Baudelaire l’avait prophétisé : “Au vent qui soufflera demain, nul ne tend l’oreille ; et pourtant l’héroïsme de la vie moderne, nous entoure et nous presse. Nos sentiments vrais nous étouffent assez pour que nous les connaissions. Ce ne sont ni les sujets ni les couleurs qui manquent aux épopées. Celui-là sera le peintre, le vrai peintre, qui saura arracher à la vie actuelle son côté épique, et nous faire voir et comprendre combien nous sommes grands et poëtiques dans nos cravates et nos bottes vernies. Paissent les vrais chercheurs nous donner l’année prochaine cette joie singulière de célébrer l’avènement du neuf !”
« Les vrais chercheurs, ô caprice ! c’est, cette fois, pour ouvrir le siècle neuf, une femme de vingt ans. »
Depuis elle a donné Ferveur et Horizons. Peu de poètes ont atteint comme elle aux limites exaspérées du songe et de la sensation. Son fatalisme orgueilleux, l’étrange et mystérieuse sensualité de ses strophes noyées d’ombre et de soleil, saisissent d’une émotion presque physique. Elle a encore la sens des attitudes plastiques.
Ma chèvre, je tiendrai dans mes mains, si je peuxTa tête brusque et familière,Pour regarder changer de tout près dans tes yeuxCette pupille de sorcière.
J’aurai blessant mes pieds, tes piétinants sabotsJe te tiendrai par les oreilles ;Dans la lutte, nos deux vigueurs seront pareillesEt nos mouvements seront beaux.
Et, parmi le soleil où, toi blanche et moi nueNous irons nous heurtant du frontMa tête bien nattée et ta tête cornueL’une à l’autre se sculpteront.
Mlle Nicolette Hennique a une vision très particulière de la mythologie, elle ne s’embarrasse guère ni des noms, ni des rites, — elle n’hésite guère devant le néologisme ou l’archaïsme et pourtant elle a su créer des poèmes étranges, agaçants d’abord, mais dont on ne saurait nier le charme. Elle est habile aux jeux du rythme, le manie avec dextérité et lui donne des souplesses insoupçonnées. Il y a dans Des Héros et des Dieux du meilleur et du pire
LE REPOS DE CÉRÈS
La terre se contracte, et sans bruit, sans parfum,Calaïs fait tomber au ras des routes nuesLes feuilles qui, naguère écloses par les nues,Vêtaient si clairement d’ombre l’été défunt.
Le paysage est brut, semble morne de vivreEn l’air jaunâtre et gris de cette aube… Pleuvoir !Où pleut-il, ô Zéphyre ? Et l’on commence à voirSur l’herbe des talus étinceler le givre…
Une troupe d’oiseaux jaillit de l’horizon ;Puis une autre : elle forme un triangle… Puis d’autres,Vers ce champ terminal où furent des épeautres,S’abattent d’un jet lourd, pêle-mêle, à foison…
Le bétail, désormais, va rester aux étables,Et la herse qui fait les glèbes végétables,La charrue et le roule attendront sous l’auventQue le froid ait cessé de galoper le vent…Il cessera ; fuyez la crainte ; patience !À la bonne Cérès gardez votre fiance,Votre aide heureuse, vos espoirs, un cœur pareil :Car toujours du même or et toujours de soleil,Lasse de nous donner avec la sève blondeLe pain quotidien dont se nourrit le monde,Elle repose au cœur de la bise profonde.
Mme Catulle Mendès n’a pas imité l’art de son mari ; au contraire. Elle se rapproche davantage des poètes qui ont succédé au Parnasse.
Son émotion profonde s’exprime en vers nuancés, frissonnants : (Les Charmes).
J’ignore de vos yeux le regard qui fait mal,Vos bras impérieux enlacent ma faiblesse,Vous savez d’une voix de fougue et de mollesseFaire du flot de rêve un grand flot baptismal.
Vous me jurez votre bonheur initial,Et que de moi vous vient la force et la noblesseDu génie, et qu’en vous mon seul sourire laisseComme un dépôt sacré tout l’espoir nuptial.
Vous parlez de mourir de mon ingratitude ;Vous aimez à me voir souffrir d’inquiétude ;Vous m’offrez tous les vœux qui vous sont adressés.
Silencieusement j’écoute le poème…Heureuse et douloureuse, ô mon amant, je sais ;Vous pensez à l’amour, et c’est moi qui vous aime.
Mme Hélène de Zuylen de Nyevelt, pourrait se réclamer des théories de M. Lœwengard. Le déroulement ensoleillé des images bibliques, la faveur jalouse qui parle au cœur des nabis d’Israël est en elle. Son vers est clair, net, d’un beau dessin, d’un rythme subtil et ses strophes précises.
Mme Valentine de Saint-Point, descendante de Lamartine, porte la confirmation de ce glorieux atavisme au sein de ses Poèmes du Vent et de la Mer pleins de strophes d’un lyrisme éclatant, précis, audacieux.
Mme Lucie Félix Faure-Goyau (La Vie nuancée), témoigne de ce récent mouvement néo-chrétien auquel nous devons M. Louis Le Cardonnel. Avec un lyrisme moindre, plus de sécheresse, une sorte de virilité mystique à laquelle les femmes ne sont pas accoutumées, elle émeut notre raison, élève notre cœur. Au milieu du concert orphique et aphrodisiaque des autres poétesses, elle se place résolument sous l’égide du stoïcisme catholique.
Ah ! comme tout s’attriste à plaisir dans mon rêve !Là, contre la maison, s’allonge le soleil.Chaque rose inclinée en mon cœur tient conseil,Et feuille à feuille meurt dans l’ombre qui se lève…
La petite pendule a réveillé les heuresEt fait en son tic-tac battre l’éternité !— Notre cœur autrefois de même en vérité ? —Prononces-tu mon nom le soir lorsque tu pleures ?
Minuit, dans le satin de tentures vieil or,Répand les flots de lune et nimbe la fenêtre.Il fait soudain grand’nuit tout au fond de mon être !Pourrais-je donc ce soir te regretter encor ?….
Mlle Jane Dortzal, au privilège de son illustre beauté, ajoute la renommée plus durable de ses poèmes : (Vers l’infini).
Mme Fernand Gregh s’est à peine affirmée par de trop rares publications de vers en de jeunes revues. Mais on sent et espère en elle un poète voluptueux et tendre qui comptera parmi les meilleurs.
Mme Marie Dauguet nous fut présentée par M. Remy de Gourmont : c’est un poète naturiste subtil et simple à la fois.
Mme Marie Weyrich se souvient de Baudelaire dans ses Jardins du Soir, Mme Cécile Périn a de la grâce et de la force. Mme Pierre de Bouchaud (Cardeline) est plus connue pour ses romans. Le poète seul mériterait déjà longuement notre attention.
Chaque jour le nombre des poétesses augmente. La poésie descend à être un sport mondain. Nous avons signalé les vrais talents, — nous en avons oublié peut-être, mais on comprendra aussi qu’il ne nous était pas possible de tenir compte ici de relations mondaines ou politiques. La critique n’a d’égard qu’au talent32.