(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455
/ 2714
(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

PANARD, [Charles-François] né à Couville près de Chartres en 1690, mort à Paris en 1765.

Il est regardé, avec raison, comme le Lafontaine du Vaudeville. Tous ses Ouvrages, en effet, respirent une délicatesse & une naïveté qui le rapprochent beaucoup du génie de notre Esope François. Ses Couplets joignent au mérite de l’agrément, celui d’une critique de nos mœurs, aussi juste qu’ingénieuse. Dans tous ses Opéra comiques, il a su se garantir de la contagion du Bel-esprit, répandue aujourd’hui jusque dans les Chansons, qui, pour être bonnes, ne doivent être le fruit que de l’imagination & de la gaieté. Le pinceau de M. Panard est presque toujours negligé, mais piquant. Sans aucune apparence de prétention, le Poëte sait plaire, & ses leçons n’ont rien de cette philosophie fade & baroque qui ose se montrer dans les Opéra comiques, & finira par en dégoûter. On peut juger de sa maniere, par ces morceaux tirés d’une de ses Comédies, intitulé l’Impromptu des Acteurs.

Non, l’on ne vit jamais l’orgueil & l’insolence
Régner autant que dans ces jours.
La Bourgeoise à présent n’est plus reconnoissable,
On la voit magnifique, aux Spectacles, aux Cours ;
La Coquette soutient un train considérable,
Et le moindre Commis arbore le velours.
Rien ne distingue un homme de naissance ;
Tout le monde se donne un air de qualité.
Une Actrice se croit fille de conséquence ;
L’Acteur se perd par sa fatuïté.
Contre un juste Public un Auteur révolté
Se croit un Bel-Esprit, malgré son ignorance.
Le Maître de Musique est un homme fêté,
Et jusques en carosse on voit rouler la danse.
L’esprit n’est plus qu’un faux brillant,
La beauté qu’un faux étalage,
Les caresses qu’un faux semblant,
Les promesses qu’un faux langage.
Fausse gloire, fausse grandeur,
Logent par-tout le faux honneur.
Par-tout on voit fausse Noblesse,
Fausse apparence, faux dehors,
Faux airs, fausse délicatesse,
Faux bruits, faux avis, faux rapports.
Le cœur est faux chez Amarante,
Vesta nous montre un faux maintien,
Lise est une fausse ignorante,
Clindor est faux homme de bien.

Ces noms sont ceux des personnages de la Piece. Dans le même rôle on trouve le morceau suivant.

Petit bien qui ne doive rien,
Petit jardin, petite table,
Petit minois qui m’aime bien,
Sont pour moi chose délectable.
J’aime à trouver, quand il fait froid,
Grand feu dans un petit endroit ;
Les délicats font grande chere,
Quand on leur sert, dans un repas,
De grand vin dans un petit verre,
De grands mets dans de petits plats.

Ses autres Comédies & ses Opéra comiques sont remplis de traits aussi agréables, & qui naissent également du fond du sujet. C’est ainsi qu’un Auteur doit attaquer le ridicule, & qu’il travaille plus utilement à la réforme des travers de sa Nation, en les frondant par une satire fine, que ces Poëtes mornes & langoureux, qui ne savent étaler que des sentimens outrés, & un faux pathétique, incapable de produire aucun effet.

Le quatrieme volume des Œuvres de M. Panard offre une Collection agréable de petites Poésies, où l’esprit & le sentiment brillent sans affectation. L’heureux naturel y embellit tout, & sans ce naturel on doit renoncer à ces sortes de Productions.

La personne de M. Panard ressembloit à ses Ouvrages ; il étoit doux, modeste & agréable, qualités qui le rendirent cher à tous ceux qui le connoissoient. Quoiqu’il eût infiniment plus d’esprit & de talent que n’en ont les Laharpe & les Marmontel, il vécut & mourut dans l’indigence. La raison qu’en donne M. l’Abbé de Voisenon, c’est que sans mépriser les Grands, il ne savoit pas les cultiver. « Leur rang, ajoute-t-il, ne l’offusquoit point ; il ne les trouvoit pas de trop sur la terre, comme font nos Philosophes : il se contentoit de ne pas se rencontrer sur leur passage. La candeur de son ame, l’égalité de son caractere, & la gaieté de son esprit, ne laissoient pas soupçonner qu’il eût besoin de rien. Quelques amis lui en épargnerent la peine. Il étoit logé chez un, il recevoit une pension modique de quelques autres, & avoit assez bonne opinion d’eux pour ne pas les en remercier. Il mourut paisiblement, comme il avoit vécu, sans souffrances, sans maladie ; on crut qu’il s’étoit endormi ».