(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11

COLLÉ, [Charles] Secrétaire ordinaire & Lecteur de M. le Duc d’Orléans, premier Prince du Sang, né à Paris en 1709.

Nous voudrions bien que Dupuis & Desronnais, & la Chasse d’Henri IV, n’appartinssent point à ce comique attendrissant, contre lequel le bon goût se récriera toujours. Mais s’il n’est pas possible de tirer ces deux Pieces, d’ailleurs excellentes, d’une classe proscrite, il est du moins très facile d’adoucir la rigueur de leur condamnation. D’abord M. Collé ne les avoit point composées pour le Public, mais pour la récréation de ses amis, ou plutôt pour celle du Prince auquel il est attaché ; & quand on ne travaille que pour un Théatre de Société, il est très permis de céder aux idées d’autrui, quoique peu conformes aux principes. En second lieu, il s’est expliqué si souvent lui-même en faveur de la bonne & vraie Comédie, contre celle à laquelle il a sacrifié, qu’un jugement si désintéressé n’est propre qu’à lui procurer une double gloire, l’une d’avoir fait les deux meilleures Pieces d’un genre qu’il condamne lui-même, l’autre de savoir rendre hommage aux regles & au goût.

Ce ne fut point l’ambition de paroître qui l’engagea à donner ces deux Pieces au Public. Quoique connu dans les meilleures Sociétés, par des Chansons, des Vaudevilles, des Parodies, des Amphigouris, & d’autres Productions marquées au coin de l’agrément & de la gaieté ; néanmoins une grande modestie, beaucoup de défiance de lui-même, une juste idée des difficultés de l’Art, l’empêchoient de se produire sur le Théatre de la Nation. Il fallut que des Littérateurs éclairés, M. le Duc d’Orléans lui-même, encourageassent sa timidité, & le fissent consentir à ne plus soustraire au Public ce qu’on avoit si fort goûté dans le particulier.

Dupuis & Desronnais parurent donc, en 1763, avec les changemens qu’exigeoit le Théatre François. Cette Piece fut reçue avec les plus grands applaudissemens, & les Connoisseurs n’improuveront son succès, que parce qu’elle excite les larmes, & qu’elle étoit annoncée sous le titre de Comédie. Malgré cela, si l’on fait attention à la vérité, à l’intérêt, à la noblesse des caracteres, on sera plus indulgent à l’égard de l’Auteur ; on lui fera même grace en faveur des sentimens qu’il déploie & du coloris qu’il leur donne.

La Chasse d’Henri IV auroit été accueillie avec enthousiasme, quand elle n’auroit eu d’autre effet que de rappeler un trait intéressant de la vie d’un Monarque, dont le nom seul suffit pour attendrir les cœurs ; mais M. Collé y a joint tout l’art dont le sujet étoit susceptible, celui de bien amener les incidens, de mettre du jeu & de la variété dans ses personnages, de développer l’ame de son Héros, de faire ressortir, pour ainsi dire, de chaque Scène un intérêt qui lui est particulier & contribue à l’effet général, de joindre enfin à l’énergie du sentiment, l’aisance & le bon ton du Dialogue, en conservant la naïveté & le costume des mœurs du siecle d’Hénri IV.

Quoique ces deux Pieces soient bien éloignées de ressembler à nos Drames langoureux & romanesques, les sentimens particuliers que ce Poëte a fait connoître en plusieurs occasions, doivent le rendre sensible au reproche d’avoir contribué, par ses talens, à accréditer un genre que ses lumieres réprouvent. On peut même penser que c’est pour rendre hommage au goût & réparer ses propres écarts, qu’il s’est occupé à rajeunir plusieurs Pieces de notre ancienne & vraie Comédie. L’Andrienne de Baron, l’Esprit follet d’Auteroche, le Menteur de P. Corneille, doivent à sa plume une touche qui les a réparés & modernés, si on peut se servir de ces termes. Il a encore retouché la Mere coquette de Quinault, sans y changer autre chose que le caractere du Marquis, personnage parasite & hors de nature, qu’il a su ajuster au reste de la Piece. On ne peut être qu’étonné, après cela, de l’indifférence des Comédiens pour ces quatre Pieces. Ils en font reparoître tous les jours tant de médiocres, telles que les Amazones modernes, le faux Savant, &c. qu’il est aisé de voir qu’ils s’occupent moins à contenter le Public qu’à le dominer, en le repaissant des Pieces qu’eux seuls sont capables d’adopter. Nous ne doutons pas que les quatre dont nous venons de parler, n’eussent le plus grand succès, avec les corrections que M. Collé y a faites, puisqu’elles ont été si fort applaudies avec leurs imperfections.