VIII
cousin. — lucrèce. — judith. — madame louise colet. — madame de girardin.
Le succès de Lucrèce redouble ; les têtes se montent. On s’arrache le jeune et modeste auteur : les duchesses, M. Villemain et tutti. S'il résiste à l’entraînement, il aura bonne tête, et il paraît qu’il l’a.
Jeudi dernier, 27, l’Académie française a donné le prix de poésie dont le sujet était l’Éloge ou le monument de Molière à un numéro 34 qui est connu d’avance pour être de madame Louise Colet, poëte déjà une fois lauréat.
Cousin, le grand héraut littéraire depuis quelque temps, a proposé jeudi à l’Académie de décerner à l’auteur de Lucrèce le prix réservé à la meilleure tragédie, prix qui, depuis nombre d’années, était demeuré vacant, in partibus… ; mais le règlement s’oppose avec raison à ce qu’on enlève ainsi les choses d’emblée. Si on veut reproduire la proposition, ce ne peut être qu’en janvier prochain.
On a redonné hier Judith, qui, je crois, a été mieux : madame de Girardin prend très-bravement et spirituellement ce demi-succès… Soyons juste, même en étant sévère : il y a de beaux vers, n’est-ce pas ? et comme témoignage de son talent poétique, madame de Girardin n’a peut-être rien donné de plus fort.
Je suis plus indulgent que l’autre fois ; c’est que je l’ai vue, elle, hier, et qu’elle est toujours belle et spirituelle. Et puis rien n’est plus singulier que d’entendre tous les gens du monde répéter à la file : « Ce n’est pas biblique, » comme s’ils n’avaient jamais rien fait que de lire la Bible.
— L'essentiel en critique, c’est de bien marquer le temps. La pièce de Lucrèce est un temps, c’est-à-dire qu’elle dénote quelque chose de bien tranché dans la disposition du public. Depuis quinze ans qu’après tant de promesses les faiseurs modernes sont à l’œuvre au théâtre▶, rien n’est sorti d’élevé et de sensé. On est las, on n’a plus de préjugés classiques ou autres, on veut quelque chose, on le prendra d’où qu’il vienne. Sera-ce une leçon pour les faiseurs ? et y a-t-il de telles leçons ? arrive-t-on jamais au ◀théâtre▶ par voie de perfectionnement ? n’est-ce pas d’emblée, de prime saut, par le coche de Rouen, par la patache du Rhône ? Aux nouveaux venus la scène ! les autres ont assez tâtonné. Si ce nouveau venu n’est pas M. Ponsard, ce sera quelque autre ; mais il est indiqué.
— Magnin doit faire l’article dans la Revue du 15 ; il est habile, instruit, prudent ; et on l’a fort seriné. Il est possible qu’il traite tout cela à merveille. Possible aussi qu’il laisse tout dans l’entre-deux et fasse une chronique à la Rossi.
Les feuilletons de ◀théâtre du National, très-remarqués depuis quelque temps, sont de M. Rolle, qui les fait depuis quatorze ans ; mais toute la critique d’alentour ayant baissé, il reste seul. C'est un honnête homme : Il est le fils d’un Rolle ancien bibliothécaire de la grande Bibliothèque royale et savant mythographe.