Roslin
Si vous voulez avoir mon sentiment sur les autres tableaux▶ de Vernet, il faudra que je fasse encore un tour au Salon. Mon ami, vous êtes d’une impatience qui me désespère ; vous ne me laissez pas le temps de me contenter. Si vous m’eussiez accordé un jour de plus, j’aurais mis la moitié plus de choses, dans la moitié moins d’espace. Ce Salon-ci n’est point du tout comme les précédents ; il n’y a presque pas un ◀tableau▶ qui ne vaille un mot d’éloge ou de critique. Mais pour Dieu, dites-moi un peu comment il se fait que ce griffonnage peut vous servir aujourd’hui, et vous serait inutile demain. Vous me tyrannisez, mon poulet ; vous me tyrannisez, et vous n’en faites pas mieux, ni moi non plus.
Il est de 14 pieds de large sur 10 de haut.
Le ◀tableau▶ où Mr Roslin a peint le Roi reçu à l’hôtel de ville par Mr le gouverneur, le prévôt des marchands et les échevins, après sa maladie et son retour de Metz est la meilleure satire que j’aie vue de nos usages, de nos perruques et de nos ajustements. Le roi et sa suite occupent tout un côté du ◀tableau▶ ; la Ville et ses officiers occupent l’autre côté. Il faut voir la platitude de nos petits pourpoints, de nos hautes chausses qui prennent la cuisse de juste, de nos sachets à cheveux, de nos manches et de nos boutonnières et le ridicule de ces énormes perruques magistrales, et l’ignoble de ces larges faces bourgeoises. Ce n’est pas qu’un talent extraordinaire ne puisse tirer parti de cela ; car quelle est la difficulté que le génie ne surmonte pas. Et puis ce monarque long, sec, maigre, élancé, vu de profil, avec une petite tête couverte d’un chapeau retapé n’a-t-il pas l’air d’un escroc qui a la vue basse. Ce n’est pas lui, c’est certainement ce seigneur à large panse qui est si magnifiquement vêtu et qui a la contenance si avantageuse, qui arrête les premiers regards et qu’il faut regarder comme le principal personnage du ◀tableau. Il couvre le roi qu’on cherche et qu’on ne distingue que parce qu’il a la tête couverte.
Je ne sais si Mr de Marigni ressemble ; mais on le voit assis dans son portrait, la tête bien droite, la main gauche étendue sur une table, la main droite sur la hanche, et les jambes bien cadencées. Je déteste ces attitudes apprêtées. Est-ce qu’on se campe jamais comme cela ? et c’est le directeur de nos académies de peinture, sculpture, architecture qui souffre qu’on le contourne ainsi ? il faut que ni le peintre ni l’homme n’aient vu de leur vie un portrait de Vandick, ou bien c’est qu’ils n’en font point de cas.
Il y a d’autres portraits de Roslin que je n’ai pu regarder après celui de Mr de Marigni.