Millet Francisque
Celui-ci et la kyrielle d’artistes médiocres qui vont suivre ne vous ruineront pas. On regrette le coup d’œil qu’on a jetté sur leurs ouvrages et la ligne qu’on écrit d’eux.
La condition du mauvais peintre et du mauvais comédien est pire que celle du mauvais littérateur.
Le peintre entend de ses propres oreilles le mépris de son talent ; le bruit des sifflets va droit à celles de l’acteur, au lieu que l’auteur a la consolation de mourir sans presque s’en douter ; et lorsque vous vous écriez de dépit : la bête ! Le sot ! L’animal ! Et que vous jettez son livre loin de vous, il ne vous voit pas ; peut-être seul dans son cabinet, se relisant avec complaisance, se félicite-t-il d’être l’homme de tant de rares concepts.
Je ne me rappelle plus ce que Monsieur Francisque a fait ; c’est, je crois, une fuite en égypte , ce sont les disciples allant à Emmaüs , c’est l’aventure de la samaritaine, cette femme dont le fils de Dieu lisait dans les décrets éternels de son père qu’elle avait fait sept fois son mari cocu, ô altitudo divitiarum et sapientiae dei ! c’est tout ce qu’il vous plaira d’imaginer de froid, de maussade, de mal peint ; couleur, lumières, figures, arbres, eaux, montagnes, terrasses, tout est détestable. Mais est-ce que ces gens-là n’ont jamais comparé leurs ouvrages à ceux de Loutherbourg ou de Vernet ? Est-ce qu’ils auraient la bonté de faire sortir le mérite de ces derniers artistes par le contraste de leur platitude ? Est-ce pour servir de repoussoirs qu’ils envoient au comité, et que le comité les admet au sallon ? Auraient-ils la bêtise de se croire quelque chose ? Est-ce qu’ils n’ont pas entendu dire à leurs côtés : fi ! Cela est infâme ?
Il y a pourtant quinze à vingt ans qu’on leur fait cette avanie et qu’ils la digèrent. S’ils continuent de barbouiller de la toile, (comme la plupart de nos littérateurs continuent de barbouiller du papier) sous peine de mourir de faim, je leur pardonne aujourd’hui cette manie comme je la leur pardonnais par le passé ; car enfin il faut encore mieux faire de sots tableaux▶ et de sots livres que de mourir ; mais je ne le pardonnerai pas à leurs parens, à leurs maîtres, que n’en fesaient-ils autre chose ? S’il y a une autre vie, ils y seront certainement châtiés pour cela ; ils y seront condamnés à voir ces ◀tableaux▶, à les regarder sans cesse, et à les trouver de plus en plus mauvais. La mère de Jean-Marie Fréron lira ses feuilles à toute éternité, quel supplice ! Cette idée des peines de l’autre monde m’amuse. Savez-vous quelles seront celles d’une coquette ? Elle sera seule dans les ténèbres ; elle entendra autour d’elle les soupirs de cent amans heureux, son cœur et ses sens s’enflammeront des plus ardens désirs, elle appellera les malheureux à qui elle a fait concevoir tant de fausses espérances ; aucun d’eux ne viendra, et elle aura les mains liées sur le dos. Et cette demoiselle de Sens, qui fait égorger par son garde-chasse un pauvre paysan qui chaumait dans les champs un jour avant la permission elle verra à toute éternité couler sous ses yeux le sang de ce malheureux. — À toute éternité, c’est bien longtemps.-vous avez raison. Les protestans furent des sots lorsqu’ils se défirent du purgatoire et qu’ils gardèrent l’enfer : ils calomnièrent leur dieu et renversèrent leur marmite.
Tous ces ◀tableaux de Millet Francisque passeront du cabinet chez le brocanteur, et ils resteront suspendus au coin de la rue jusqu’à ce que les éclaboussures des voitures les aient couverts.