(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Greuze  » pp. 157-158
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(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Greuze  » pp. 157-158

Greuze

Il paraît que notre ami Greuze a beaucoup travaillé. On dit que le portrait de Mr le Dauphin ressemble beaucoup. Celui de Babuti beau-père de Greuze est de toute beauté ; et ces yeux éraillés et larmoyants ; et cette chevelure ; et ces chairs ; et cette vie, et ces détails de vieillesse qui sont infinis au bas du visage et autour du col ; il les a tous rendus, et cependant sa peinture est large. Son portrait peint par lui-même a du feu, de l’action, de la vie ; mais il me plaît moins que celui de son beau-père. Cette petite Blanchisseuse qui, penchée sur sa terrine, presse du linge entre ses mains est charmante ; mais c’est une coquine à qui je ne me fierais pas. J’aime ma santé. Tous les ustensiles de son ménage sont d’une grande vérité. Je serais seulement tenté d’avancer son tréteau un peu plus sous ses fesses, afin qu’elle fût mieux assise. Le portrait de madame Greuze en vestale. Cela une vestale ! Greuse, mon cher, vous vous moquez de nous. Avec ses mains croisées sur sa poitrine ; ce visage long ; cet âge ; ces grands yeux tristement tournés vers le ciel ; cette draperie ramenée à grands plis sur la tête, c’est une mère de douleurs, mais d’un petit caractère, et un peu grimaçante. Ce morceau ferait honneur à Coypel, mais il ne vous en fait pas. Il y a une grande variété d’actions, de physionomies, et de caractères dans tous ces petits fripons dont les uns occupent cette pauvre Marchande de marrons, et les autres la volent. Ce Berger qui tient un chardon à la main et qui tente le sort pour savoir s’il est aimé de sa bergère, ne signifie pas grand chose. À l’élégance du vêtement, à l’éclat des couleurs, on le prendrait presque pour un morceau de Boucher ; et puis si on ne savait pas le sujet, on ne le devinerait jamais. Le Paralytique qui est secouru par ses enfants et que le peintre a appelé le Fruit de la bonne éducation est un tableau de mœurs où l’on voit que ce genre fournira des compositions capables de faire honneur aux talents et aux sentiments de l’artiste. Le vieillard est dans son fauteuil. Ses pieds sont supportés par un tabouret. Sa tête, celle de son fils, et celle de sa femme sont d’une beauté rare. Greuse a beaucoup d’esprit et de goût. Lorsqu’il travaille, il est tout à son ouvrage. Il s’affecte profondément. Il porte dans la société le caractère du sujet qu’il traite dans son atelier ; triste ou gai ; folâtre ou sérieux ; galant ou réservé selon la chose qui venait d’occuper son pinceau. C’est un beau dessin que celui du Fermier incendié. Une mère sur le visage de laquelle la douleur et la misère se montrent ; des filles aussi affligées et aussi misérables, couchées à terre autour d’elle ; des enfants affamés qui se disputent un morceau de pain sur ses genoux ; un autre qui mange à la dérobée dans un coin ; le père de cette famille qui s’adresse à la commisération des passants. Tout est pathétique et vrai. J’aime assez dans un tableau un personnage qui parle au spectateur sans sortir du sujet. La scène est supposée au coin d’une rue. Le lieu en pourrait être mieux choisi. Pourquoi n’avoir placé tous ces infortunés sur les débris incendiés de leur chaumière ? J’aurais vu les ravages du feu ; des murs renversés ; des poutres à demi consumées ; et une foule d’autres objets touchants et pittoresques. Il y a des têtes qui sont autant de petits tableaux très vrais, entre lesquels on distingue l’enfant qui boude, et la petite fille qui se repose sur sa chaise.