Saint-Pierre, [Charles-Irénée Castel de] Abbé, né en Normandie en 1658, mort à Paris en 1743.
Le Cardinal du Bois appeloit ses projets les Rêves d'un homme de bien, expression plaisante, qui peut être juste à certains égards ; mais ces Rêves supposent, dans celui qui étoit capable de les avoir, une grande étendue d’idées, l’esprit de combinaison dans les détails, & par-dessus tout un grand amour du bien public. Les hommes les plus sages trouveront qu’il est très-beau de rêver ainsi.
Si la plupart des spéculations de l’Abbé de Saint-Pierre. sont impraticables, on doit plutôt s’en prendre à l’état actuel des Sociétés, qu’au défaut de justesse & de suite dans ses observations. Les systêmes reçus ne sauroient admettre ses plans, tels qu’il les propose. C’est pourquoi on peut lui reprocher d’avoir plutôt raisonné d’après l’ordre à établir, que sur l’ordre établi. Les Gouvernemens ayant déjà leur marche réglée, il est beaucoup plus sage de chercher à les rectifier par des ressorts imperceptibles, que de songer à les bouleverser, sous prétexte de les rendre meilleurs & plus heureux.
Son Projet de Paix perpétuelle entre les Potentats de l’Europe, a paru chimérique il l’est en effet. Ce défaut, essentiel à la vérité, une fois reconnu, il n’en reste pas moins à admirer le Génie qui a enfanté cette concorde idéale, & qui l’a suivie, pour ainsi dire, dans tous les moyens propres, selon les idées de l’Auteur, à la procurer. Platon. a donné dans le même écueil, & n’a point perdu pour cela sa réputation de grand Philosophe. L’Abbé de Saint-Pierre. se seroit acquis le même nom, s’il eût travaillé dans les mêmes circonstances & dans le même Siecle.
Le plus connu de ses autres Ouvrages est celui qui a pour titre, Annales politiques de Louis XIV, où l’Auteur offre un tableau frappant des progrès de l’esprit chez notre Nation, pendant le regne de ce Monarque, & où M. de Voltaire. a puisé l’idée si mal remplie de son Siecle de Louis XIV, & le plan de son prétendu Essai sur l’Histoire générale. Le détail des faits ne se présente chez l’un & l’autre Ecrivain que de profil. Ils ont à peu près la même marche, avec cette différence, que l’Abbé de Saint-Pierre. ne s’écarte point de son systême, ne dénature point les événemens, ne donne point dans des bévues, & qu’il développe, d’une maniere plus étendue, l’Histoire de notre Gouvernement, de notre Législation, & de nos Etablissemens. Enfin, les Ecrits de l’Abbé de Saint-Pierre, malgré la manie systématique qui y regne, le placeront toujours parmi les Raisonneurs utiles. Ils ont contribué à étendre les lumieres politiques, à éclairer sur les objets qui peuvent augmenter le bien général & diriger la Morale vers la pratique. Ils ont de plus le mérite d’une diction pure, nette & précise, telle qu’elle convient à ces sortes de Productions. Ces qualités le distingueront toujours des Ouvrages prétendus philosophiques, qui fatiguent l’esprit par l’emphase du style, & tendent à dissoudre la Société par le danger des systêmes.