(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XI. Le plus brave des trois. »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XI. Le plus brave des trois. »

XI. Le plus brave des trois.

(Bambara)

Deux amis vivaient dans un même village, chacun avec sa maîtresse. Un jour, la maîtresse de l’un d’eux alla en promenade dans un village pas très éloigné. Au soir, l’amant, qui se nommait Kéléké, ne la voyant pas revenir, pria Missa, son ami, d’aller au devant d’elle.

Comme Missa revenait avec la jeune femme, celle-ci qui marchait en avant de lui aperçut un morhoméné ouâra158 (c’est-à-dire une panthère mangeuse d’hommes)159 qui s’avançait à leur rencontre.

« Missa, dit-elle, voilà une panthère qui vient sur nous ».

Il tire son grand sabre et, d’un coup, abat le fauve mangeur-d’hommes. Ensuite il dit à la femme : « Il faut que je mette à l’épreuve la bravoure de ton amant ! Étends-toi sur le dos, je vais placer le morhoméné ouâra sur toi, les pattes de derrière repliées sur tes cuisses, celles de devant sur ta poitrine et sa gueule à ta gorge. Puis j’irai prévenir Kéléké que tu viens d’être étranglée par une panthère et qu’elle est en train de te dévorer. Nous verrons s’il a du courage ! »

La femme accepte l’épreuve et Missa, la laissant là toute seule dans l’obscurité ; s’en va trouver son camarade :

« Ami, lui dit-il en l’abordant, près de la grande termitière rouge qui se trouve sur la route du village voisin, une panthère m’a pris ta maîtresse et elle est en train de la dévorer. J’ai eu peur et je me suis enfui ».

Kéléké n’attend même pas que son camarade ait fini de parler. Sans armes, sans même un bâton, il part comme le vent. Missa a peine à le suivre. Quand il est auprès de la bête, Kéléké se précipite sur elle et, d’un formidable coup de poing, la rejette violemment sur un côté du chemin.

Sa maîtresse alors se relève et lui dit en riant : « Ne te fais pas de mal à la main ; le morhoméné ouâra est déjà mort. Missa et moi nous avons voulu savoir si tu m’abandonnerais en cas de péril réel ».

Dites-moi : quelle est, de ces trois personnes, la plus brave ? Est-ce Missa qui a osé s’attaquer au morhoméné ouâra, armé d’un simple sabre ? Est-ce la femme qui a eu le courage de rester seule, en pleine nuit, sous le cadavre du fauve, sans savoir si celui-ci était tout à fait mort ou bien encore si une autre panthère ne surviendrait pas ?

Est-ce enfin Kéléké qui voulait combattre l’animal, armé de ses seuls poings ?

Conté par SAMAKO NIEMBELÉ dit SAMBA TARAORÉ.